Peut-on financer un blog en France ?

Nicolas Furno
12 min readAug 5, 2014

Le modèle du sponsor à l’américaine peut-il et doit-il être reproduit en France ?

Préambule : pourquoi financer un blog ?

J’ai longtemps été totalement contre la publicité sur les blogs personnels. Je pensais qu’un tel site devait fonctionner de manière totalement bénévole, afin de ne pas perturber la seule motivation qui me semblait noble, à savoir le plaisir d’écrire. C’était ignorer une réalité matérielle : pour qu’un blog tourne, il doit être hébergé sur un serveur, et cet hébergement est forcément payant.

Même si l’auteur d’un blog ne paye pas directement un hébergeur, ce dernier trouve toujours un moyen de se financer. Par exemple, si vous utilisez le service clé en mains de WordPress, vous aurez une publicité sous chaque article, sauf si vous payez une vingtaine de dollars par an. Même Medium, la plateforme utilisée pour écrire cet article, commence à mettre en place son modèle économique : pour le moment, il s’agit d’une publicité très discrète — une collection d’articles sur le design financée par BMW —, mais j’imagine qu’à terme, le service pourrait être plus agressif et glisser des publicités de manière plus visible.

Exemple de publicité affichée sur les blogs WordPress.com : héberger un site est toujours payant, quelle que soit la méthode pour payer.

Le cas d’À voir et à manger

Pour prendre mon propre exemple, j’héberge sur un serveur mon blog quasiment depuis son lancement. Après avoir profité de l’hébergement gratuit offert par un célèbre fournisseur d’accès qui a tout compris, j’ai hébergé le blog sur des serveurs situés aux États-Unis, un choix motivé uniquement par des raisons financières. C’était en 2009 et on ne pouvait pas avoir un hébergement “illimité” en France, du moins pas au prix que je payais à l’époque — un peu plus de 100 € par an. Deux ans après, je réalisais mon erreur : mes lecteurs étant principalement en France, héberger le site hors des frontières était le meilleur moyen de leur offrir une expérience médiocre.

En 2012, j’ai donc rapatrié le site chez OVH, sur un hébergement mutualisé. Pour un petit peu plus de 70 € l’année, je dispose d’un tas de fonctions inutiles, mais aussi d’un hébergeur relativement puissant, qui fait tourner le blog sans problèmes depuis deux ans maintenant. Je n’ai pas à m’en plaindre, même s’il a fallu se retrousser les manches et faire un gros travail d’optimisation. À l’arrivée, cela fonctionne, mais j’aimerais profiter d’un hébergement plus confortable, dans l’idéal d’un serveur dédié suffisamment puissant.

Qu’est-ce qui m’empêche de le faire ? L’argent : si je voulais mieux, il faudrait payer au moins le double, probablement plutôt 200 € par an. Et je ne peux pas me permettre de dépenser autant pour un blog qui ne rapporte rien au foyer.

En changeant d’hébergeur en 2012, j’avais justement décidé de rendre le blog plus autonome en ajoutant quelques publicités. Mais je ne voulais pas le faire avec des images qui clignotent et des publicités sans aucun rapport avec le contenu. J’ai mis en place une solution qui me semblait beaucoup plus agréable pour les lecteurs : en bas de chaque critique de film, de livre ou de musique, j’ajoute manuellement des liens vers Amazon ou vers l’iTunes Store. À chaque fois qu’un lecteur achète quelque chose en passant par ces liens, les boutiques me reversent environ 5 % de l’achat. C’est simple, ce n’est pas envahissant et comme ce n’est pas vraiment une publicité, mais une partie de l’article, les bloqueurs de publicité ne peuvent pas les bloquer.

Ma solution pour les publicités : quelques liens trackés ajoutés manuellement à chaque article. Par exemple ici, pour Le Parrain, 3e partie.

Une bonne idée, mais deux ans et demi environ après sa mise en place, le constat est sévère. Avec ces liens, j’espérais au moins financer l’hébergement, mais aussi, en partie en tout cas, la carte de cinéma sans laquelle je ne pourrais pas publier mes critiques de films. Malheureusement, on est loin du compte : ces liens trackés ne suffisent même pas à couvrir tous les frais d’hébergement.

Amazon m’a rapporté un petit peu plus de 160 €. C’est déjà ça de pris, mais ce n’est rien quand quand on rapporte cette somme au mois : environ 5 € chaque mois en moyenne, sachant qu’OVH m’en demande 6 pour l’hébergement et qu’il manque encore le nom de domaine. L’objectif n’est pas atteint du tout.

Je ne veux pas me plaindre, ce n’est pas l’ambition de cet article. D’ailleurs, je voulais au passage remercier tous les lecteurs qui ont pris le temps de cliquer sur ces liens, et encore plus ceux qui m’ont aidé plus directement, avec un don ou un film offert. Je sais que ma méthode est trop discrète pour rapporter vraiment, je sais aussi que j’ai un lectorat trop étroit pour espérer gagner suffisamment d’argent pour financer le blog, encore moins pour devenir riche. Ma réflexion vient plutôt d’une question : pourrais-je faire mieux ?

Le modèle américain du sponsor

Cet article est né d’un constat : en France, on n’a pas trouvé de vrai modèle pour financer efficacement un blog et son auteur. Un détour de l’autre coté de l’Océan Atlantique est une belle preuve que c’est pourtant possible. Aux États-Unis, de nombreux blogueurs vivent en partie, voire totalement de leur site, sans pour autant multiplier les publicités qui clignotent. C’est même l’inverse : le plus souvent, ils favorisent l’exclusivité en proposant à une entreprise de sponsoriser une période de temps. Et les prix peuvent monter très haut : John Gruber, l’unique auteur du blog Daring Fireball qui parle d’actualité technologique en général et de celle d’Apple en particulier, vend ses semaines de sponsor jusqu’à 9500 $ (près de 7100 €). À ce tarif, l’annonceur bénéficie d’une audience importante — environ 200 000 abonnés au flux RSS, plus 70 000 followers et entre 4 et 5 millions de pages vues chaque mois —, mais surtout qualifiée, c’est ce qui lui permet de demander de tels prix.

Sur ce blog, un sponsor d’une semaine peut valoir près de 10 000 $.

Naturellement, il ne faudrait pas prendre cette exception pour une règle, mais de nombreux blogs beaucoup plus modestes vivent très bien en suivant le même principe. Voici quelques exemples de blogs que je suis, tous dans l’actualité technologique autour d’Apple :

  • 512pixels.net : 150 $ par semaine et 50 000 pages vues par mois
  • Matt Gemmell : 400 $ par semaine et 80 000 pages vues par mois
  • Brett Terpstra : 400 $ par semaine et 140 000 pages vues par mois
  • inessential : 650 $ par semaine et 160 000 pages vues par mois
  • Shawn Blanc : 700 $ par semaine et 200 000 pages vues par mois
  • The Sweet Setup : 1000 $ par semaine et 250 000 pages vues par mois
  • Marco.org : 2000 $ par semaine et 500 000 pages vues par mois

Je pourrais étendre ainsi la liste sans fin, mais ce n’est pas très intéressant, d’autant que tous ces exemples sont au fond assez proches, du moins dans leur mode de fonctionnement et leur lectorat. Ils sont malgré tout assez différents dans leur contenu et certains sont extrêmement techniques et pointus. Ce qui ne leur empêche pas, sauf exceptions, de vendre toutes leurs semaines de sponsor. Et pour plusieurs d’entre eux, de ne vivre que de leur blog, ou en tout cas de leur blog et de quelques activités en plus.

On peut aussi constater qu’il y a un lien très direct entre le nombre de visites mensuelles et le tarif demandé, ce qui est assez logique. En me basant sur les neuf exemples cités précédemment, j’ai calculé qu’en moyenne, un sponsor était vendu environ 0,003 $ par page vue mensuelle. C’est une approximation, bien sûr, et peut-être que mes exemples biaisent totalement la réflexion, mais partons de cette idée.

En France, on sponsorise (discrètement) les articles

Le modèle du sponsor n’est pas totalement inconnu en France, mais en général, ce ne sont pas les blogs dans leur ensemble qui sont sponsorisés, mais un article. Pour le lecteur, il n’y a pas forcément beaucoup de différence, puisque tous les blogs américains cités plus tôt publient un article pour présenter le sponsor de la semaine. Il me semble néanmoins que la différence est fondamentale : avec un sponsor hebdomadaire, les choses sont très claires et il n’y a aucun doute sur le produit ou le service qui finance une semaine de blog. Alors que l’on sait d’expérience que les articles sponsorisés sont parfois masqués en articles réguliers, ce qui nuit à la relation de confiance qu’un blog est censé créer avec son lectorat.

Sur ce blog, un article évoque chaque semaine le sponsor et on le retrouve dans la barre latérale

Pourrait-on importer le modèle américain en France ? Il y a plusieurs obstacles à cela, sans aucun doute. Le premier est la langue, et par conséquence l’audience : quand on regarde la liste des entreprises qui paient des sponsors aux États-Unis, il s’agit essentiellement de produits — physiques ou numériques — uniquement proposés en anglais. Y aurait-il assez d’équivalents en français pour sponsoriser des blogs ? Le problème est en fait surtout à chercher du côté de l’audience : les blogs anglophones visent potentiellement le monde entier, alors que la francophonie est très réduite en comparaison. Et même si les Canadiens parlent parfois notre langue, un blog français a du mal à les toucher : au-delà de la langue, la différence culturelle est un frein.

Cette idée du sponsor régulier mériterait pourtant d’être creusée. Par rapport aux entre-deux complexes, où se mêlent articles sponsorisés et cadeaux, le sponsor a le mérite de la clarté. On sait exactement ce qui est sponsorisé et mieux encore, le lecteur peut facilement savoir combien a été versé. C’est totalement transparent, ce qui est le meilleur moyen d’obtenir la confiance de ses lecteurs et en même temps ce n’est pas une publicité que l’on peut facilement masquer, puisque c’est un contenu classique.

Reste qu’il faudrait convaincre des sponsors, ce qui est sans doute la partie la plus difficile. Travaillant dans le métier, je sais que la publicité en ligne devient toujours plus rare, et moins rentable. C’est déjà le cas pour les plus gros sites… ce sera d’autant plus le cas pour un petit blog qui rassemble quelques dizaines de milliers de visiteurs seulement. Cela étant, les sommes pourraient être beaucoup plus modestes.

Avant de couper ses statistiques, mon blog tournait à 20 000 pages vues par mois en moyenne. En restant sur l’idée des 0,003 $ par page vue mensuelle, je pourrais demander 60 $ par semaine, ce qui est énorme par rapport à mes besoins. Même si on se basait sur une hypothèse beaucoup plus basse, mettons 0,001 $ par page vue, on pourrait déjà espérer une quinzaine d’euros par semaine de sponsor. Je connais beaucoup de blogueurs qui seraient bien contents d’avoir une telle somme…

Faut-il vraiment sponsoriser son blog ?

Certes, tenir un blog coûte de l’argent, ne serait-ce que pour le faire tourner sur un serveur. Difficile d’envisager aujourd’hui une solution aussi extrême que de l’héberger chez soi, les résultats seraient trop mauvais — plus personne attend quelques secondes qu’un site charge. Personne ne peut prétendre héberger gratuitement un site, c’est un fait avec lequel il faut composer.

Il faut aussi reconnaître que, non seulement les frais d’hébergement ont considérablement diminué aujourd’hui, mais qu’en plus les offres les moins chères peuvent suffire. À condition de suivre quelques règles de base — que j’ai commencé à rassembler à cette adresse —, on peut obtenir un blog sous WordPress vraiment rapide en payant moins de 100 € par an. En soi, c’est déjà une prouesse et peut-être que l’on devrait accepter qu’il faut payer au moins cela, sans compter sur une somme en retour.

Une demi-seconde pour charger la page d’accueil de mon blog : je peux difficilement espérer faire mieux.

Par ailleurs, même si l’idée des sponsors hebdomadaires évoquée plutôt est séduisante par certains aspects, elle introduit aussi une dimension commerciale à un blog qui devrait peut-être rester complètement gratuit. Au fond, c’est surtout ce point qui me fait hésiter : faut-il vraiment sponsoriser son blog, et donc transformer ce hobby bénévole en un business ? Même si on ne gagne pas sa vie avec ces sponsors, ils créent nécessairement un besoin : on se sent obligé d’écrire et de publier pour satisfaire les sponsors et en obtenir de nouveaux. Ce faisant, on perd au moins en partie le côté plaisir d’un tel système : on n’écrit pas uniquement parce que l’on a quelque chose à dire, ou parce que l’on prend plaisir à écrire, mais aussi parce qu’il faut publier quelques articles là semaine où l’on est sponsorisé.

Il faut à mon sens éviter cet état qui peut nuire à l’attrait d’un blog autant pour son auteur — écrire sans autre objectif que (se) faire plaisir — que pour ses lecteurs — qui peuvent sentir que la quantité prime, ce qui se fait quasiment obligatoirement au détriment de la qualité. Deux idées me viennent pour éviter cette situation inconfortable :

Un sponsor longue durée

C’est une idée que j’ai déjà mise en pratique sur mon blog. Pendant un an, le site Lyonresto a soutenu mon blog en finançant ma carte de cinéma, avec comme seule obligation d’exploiter l’argent économisé pour écrire sur plus de restaurants. Des conditions idéales : je n’avais aucun compte à rendre et je ne peux pas rester plus de quelques semaines sans avoir envie d’aller dans un restaurant.

Pendant un an, mon blog a été soutenu par un site. La seule marque de cet engagement financier : ce message dans le pied de page, avec un lien vers le site en question.

C’était une excellente solution, trop sans doute. Le site n’a pas souhaité renouveler cette expérience, sans doute parce que ce soutien ne leur a pas rapporté grand-chose. C’est bien le problème de cette solution, certainement trop discrète pour qu’elle soit rentable pour le sponsor. Et la longue durée de l’opération permet de lever la pression sur le blogueur qui ne se sent pas obligé de publier toutes les semaines, mais cette formule dilue aussi forcément l’opération.

Le patronage des lecteurs

La meilleure solution est peut-être d’impliquer tous ceux qui profitent régulièrement du lecteur, tous ceux qui lisent et apprécient ses articles. C’est déjà l’idée des liens trackés que j’évoquais plus tôt, mais pourquoi ne pas le faire de manière beaucoup plus directe ? Pourquoi ne pas proposer à ses lecteurs les plus fidèles de participer aux frais d’hébergement ?

L’idée n’est pas nouvelle et elle est même déjà mise en pratique par certains blogueurs, qui font appel aux dons réguliers pour financer leur hébergement, voire pour en vivre. En guise d’exemple, citons le blog économiste de Paul Jorion qui récolte tous les mois jusqu’à 1500 € en dons d’internautes.

Si je lançais une telle idée sur mon blog, mes besoins seraient beaucoup plus modestes. J’aime assez l’idée de fixer une somme assez basse à atteindre chaque mois pour couvrir les frais d’hébergement. Dans mon cas, 10 € seraient largement suffisants à la fois pour le serveur et les quelques noms de domaine que j’ai réservés. Pourrais-je trouver chaque mois dix lecteurs prêts à me donner 1 € sans contrepartie, uniquement pour m’aider à faire tourner un blog qu’ils aiment suivre ? Ce n’est pas sûr, mais c’est une expérience qui mériterait d’être creusée.

Je ne sais pas encore si je concrétiserai cette idée, et je sais encore moins comment je le ferais, le cas échéant. Je suis en tout cas tombé un peu par hasard du Patreon, un site qui fait exactement ce que j’aimerais : permettre à mes lecteurs de me soutenir financièrement, s’ils le souhaitent et s’ils le peuvent. En échange, ils auraient une forme de droit de regard sur les affaires du blog : même si je resterais le seul maître à bord, ils pourraient, par exemple, me recommander un restaurant à tester, ou un film à regarder et je m’efforcerais de les mettre en haut de mes listes.

Patreon reprend exactement cette idée de patronage et offre aux créateurs de contenu, et aux lecteurs qui veulent payer un cadre simple et sûr pour donner et recevoir de l’argent.

C’est une piste qui mérite d’être suivie, mais à l’heure des bilans, je ne suis même plus sûr de vouloir demander de l’argent à mes lecteurs ou à qui que ce soit. Est-ce qu’en faisant cela, je ne remettrai pas en cause la nature du blog, et surtout du travail que j’y réalise ? Si le site existe encore, plus de six ans après sa création, n’est-ce pas d’abord parce que c’est un espace où je peux écrire sans aucune contrainte, ni sur la forme, ni sur le fond ? Et est-ce que devoir rendre des comptes à un support, qu’il s’agisse de lecteurs ou d’une entreprise, ne viendrait pas remettre en cause cette liberté ?

Sans même parler des problèmes fiscaux qui se posent quand un blog commence à être un moyen de rémunération, je me demande si ce type de site ne devrait pas rester libre de toute question financière. Ces questions restent ouvertes et je n’ai certainement pas de réponses définitives à apporter.

Si vous avez un avis ou un témoignage à apporter, n’hésitez pas à m’en faire part sur mon compte Twitter ou en utilisant les commentaires de Medium.

Image de couverture : kiki99

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Nicolas Furno

Journaliste le jour pour @MacGeneration, blogueur la nuit sur @nicolinuxfr.