Et maintenant ? 8 propositions pour réinventer les appels à projets

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Les résultats de ce premier retour d’expérience mené à chaud permettent de mieux cerner les apports potentiels de la méthode IMGP, comme ses limites. Il invite surtout à la prudence, face aux nombreuses incertitudes qui pèsent sur l’impact de ces appels à projets urbains innovants comme sur la mise en œuvre des projets retenus.

Malgré l’absence de recul, l’engouement pour cette nouvelle méthode l’emporte : après Réinventer Paris 2, une nouvelle édition d’Inventons la Métropole est donc sur les rails. Face à la multiplication de ces appels à projets, prenons le risque de poser quelques propositions pour bonifier le dispositif. Quelques pistes en réponses à trois questions, comme autant de points de vigilance à destination des collectivités comme des opérateurs immobiliers…

Comment faire face à la généralisation des appels à projets ?

Les appels à projets urbains innovants n’en ont pas fini d’essaimer. Rapides, spectaculaires et peu gourmands en dépenses publiques, ces concours de programmation suscitent l’engouement des élus et des collectivités. Au risque que cette généralisation tous azimuts finisse par dévoyer leur intérêt initial. Les réinventer peuvent produire le meilleur… à condition de bien en définir les conditions d’utilisation !

Le choc de simplification des Réinventer consiste à appliquer une procédure légère et uniforme à des sites très hétérogènes, dans leur taille, leur contexte et leur programmation. Cette simplification n’est pas pour rien dans la capacité que ces appels à projets ont eu à mettre en mouvement des fonciers publics. Sans revenir complètement sur cet atout indéniable des appels à projets, quelques ajustements pourraient être apportés :

1/ Adapter la procédure, le calendrier et les rendus en fonction de la complexité des sites. Tous les projets ne demandent pas les mêmes efforts. Certains nécessitent un dialogue dans la durée avec les acteurs publics du fait de contraintes institutionnelles ou contextuelles, d’autres demandent surtout un travail d’identification des bons opérateurs pour porter une programmation atypique. On gagnerait sans doute à distinguer les sites en plusieurs catégories, de manière à aller vite sur les projets déjà bien balisés et à encourager les opérateurs à approfondir leurs montages sur les sites les plus complexes. Cet échelonnement des rendus permettrait en outre d’éviter le burn out généralisé des professionnels de l’immobilier.

2/ Fixer un seuil maximal pour la surface des sites intégrés dans ces appels à projets. Les réinventer prennent tous leur sens lorsqu’ils remplacent des cessions foncières en gré à gré. Ils nous semblent moins opérants lorsqu’ils se substituent à des opérations d’aménagement (d’autant que la masse critique n’apparaît pas dans les réponses comme un élément clé de la viabilité financière des projets). Limiter la taille des parcelles, c’est encourager les collectivités et aménageurs à bien cibler les sites sur lesquels un « concours de programmation » est nécessaire. C’est aussi concentrer le travail des groupements sur les objets les plus complexes.

3/ Acter la répétition de ces appels à projets, en renforçant la cohérence de chaque édition. Sur le principe d’une biennale, ces concours de programmation pourraient porter autour d’une thématique commune : la place du productif en zone dense, les services et commerces à proximité des gares, les nouveaux équipements sportifs et culturels du quotidien, etc. Cela favoriserait une meilleure coordination des projets et les effets d’apprentissages entre sites, et garantirait la bonne articulation avec les stratégies des collectivités (communes, EPT, Métropole voire Région). C’est d’ailleurs la voie qu’a emprunté la ville de Paris avec réinventer la Seine, autour du rapport au fleuve et réinventer Paris 2, autour de l’utilisation des espaces souterrains. Allons plus loin et imaginons que cette thématisation aille de pair avec des actions menées directement par la Métropole. Il en résulterait une lisibilité accrue de l’action métroplitaine ; on ne serait plus très loin des Internationale Bauausstellung (IBA) allemandes et de leur subtil mélange de marketing territorial, d’action publique et de projets privés.

Comment outiller les acteurs publics dans la formulation des attendus et le suivi de la mise en œuvre ?

L’analyse du retour des répondants sur les réinventer montre que « plus de privé » appelle « mieux de public », pour reprendre la formule d’Isabelle Baraud-Serfaty[1]. La liberté laissée aux opérateurs immobiliers sur la programmation ne peut se faire que si elle s’accompagne d’un cadrage renforcé, stable et transparent, de la part des acteurs publics.

Ce qui suppose de réinventer le rôle des collectivités et des aménageurs dans le pilotage et la régulation des opérations immobilières. S’ils ne fixent pas les contenus et les volumes, quelle peut être la fonction des acteurs publics ?

4/ Mieux formuler les objectifs et les finalités pour orienter le travail des opérateurs immobiliers. « Dans ces concours de programmation sans programmistes, qui définit les besoins ? Qui porte la parole des territoires au sein des groupements ? Comment éviter la multiplication des projets hors-sols, tournés uniquement vers les usagers les plus solvables ? » Autant de questions qui reviennent dans les temps d’échanges que nous avons organisé.

Si les opérateurs immobiliers peuvent apporter des solutions innovantes ou proposer des montages inédits, il reste du ressort des acteurs publics de définir les finalités à atteindre. A eux de dire le « pour qui ? » et le « pour quoi ? », pour laisser le privé agir sur le « comment ? ». Pour cela, ils peuvent s’appuyer sur les documents de planification, chartes promoteurs et autres projets de territoires.

La phase de construction du cahier des charges est aussi la plus adaptée pour introduire un temps de concertation, avec les citoyens et les acteurs du territoire : qu’attendez-vous des projets candidats ? Organisés par les villes mais ouvertes aux groupements intéressés, ces séances garantirait l’ancrage territorial des projets.

S’appuyant sur une délibération collective et ciblé sur les objectifs plutôt que sur les modalités, ce mandat servirait de feuille de route aux groupements mais aussi de grille d’évaluation des projets lors des jurys, pour répondre aux besoins de transparence exprimé lors de notre retour d’expérience.

5/ Mettre en place un dispositif de suivi pour accompagner la mise en œuvre des projets. Tout le monde s’accorde sur le fait que les projets lauréats vont largement évoluer, dans leur forme comme dans leur contenu. Il en est effet impossible de lister les exploitants plusieurs années avant la construction du projet, ni de dire aujourd’hui ce qui sera réellement innovant dans 5 ou 10 ans. Face à cela, les clauses juridiques intégrées dans les dossiers de candidatures sont nécessaires, mais pas suffisantes.

Ce qu’il faut, c’est un suivi dans la durée qui soit un accompagnement des opérateurs immobiliers pour garantir que les promesses soient tenues en dépit des incertitudes et des ajustements. Cela pose la question de l’ingénierie territoriale à même de piloter ces partenariats sur le temps long, d’être capable de prioriser et canaliser les innovations, d’arbitrer entre ce qui relève de l’effet de mode et des innovations de fond. De répondre enfin à la question : qu’en restera-t-il dans 15, 30 ans ?

Les aménageurs nous semblent être des acteurs compétents et légitimes pour gérer cette complexité et éviter que les effets d’annonce sur l’innovation ne finissent par être le cache-sexe d’une production immobilière au rabais.

Quel rôle effectif pour les utilisateurs dans la conception et la réalisation des projets ?

La question des utilisateurs est à la fois la plus prometteuse et la plus problématique pour les appels à projets urbains innovants. Comment faire pour renforcer le poids de la maîtrise d’usage et la place des enjeux d’exploitation sans donner l’illusion que tout a déjà été anticipé ? Nombreux sont les promoteurs à reconnaître le caractère formel (voire fictif) des engagements d’exploitants à un horizon aussi lointain… ce qui ne les empêche pas de maintenir la course aux lettres d’intérêt de tous les gestionnaires possibles !

Pour éviter que les Réinventer ne se réduisent aux effets d’affichage, il faut continuer à penser la place des utilisateurs dans les opérations immobilières. En s’inspirant notamment des enseignements à tirer de l’urbanisme transitoire.

6/ Organiser l’intégration échelonnée des utilisateurs. Pour assurer l’intégration de la maîtrise d’usages, tous les exploitants n’ont pas vocation à être présents dès la phase de candidature ; pour certains, l’enjeu peut même être formulé à l’inverse, en portant des stratégies assumées d’espaces réservés pour des preneurs locaux (artisans, commerçants indépendants) qui n’ont pas la visibilité économique à l’échelle d’une opération immobilière. Un moyen efficace de contrer un effet pervers de l’immobilier neuf : des espaces souvent trop grands et trop chers pour ces acteurs. Parler méthode de gouvernance et conditions de mise en œuvre opérationnelle : c’est moins sexy que des noms d’utilisateurs, mais c’est vecteur d’innovations réelles.

7/ Soutenir les exploitants les plus fragiles et/ou les plus indispensables. Le risque des Réinventer serait d’organiser la concurrence généralisée entre les utilisateurs. Cette logique darwinienne conduirait à ré- homogénéiser les gestionnaires de la ville, et notamment des rez-de-chaussés, autour d’acteurs de plus en plus récurrents : des « nouvelles franchises » ?

L’acteur public a donc une responsabilité majeur à travers ces appels à projets pour encourager la biodiversité des utilisateurs, en apportant un soutien particulier aux modèles non-marchands et aux ressources locales. On pourrait par exemple imaginer des meet-up d’utilisateurs organisés localement (par commune, par Territoire)

8/ Pousser plus loin la logique collaborative dans le pilotage des projets. Au delà des acteurs publics, il y a aussi une responsabilité des promoteurs (et des architectes) pour passer de relations bilatérales avec chaque acteur à des discussions multilatérales qui donnent toute leur place aux utilisateurs.

Cela suppose notamment d’encourager les interactions entre les utilisateurs d’un même projet, pour travailler les effets de synergie et de péréquation possibles. Dans cette logique, la conception architecturale pourrait contribuer à renforcer des convergences programmatiques ou à l’inverse à rendre possible leur cohabitation.

Ce recul réflexif engagé avec ce premier retour d’expérience à chaud mérite d’être poursuivi. Le témoignage des professionnels impliqués dans l’élaboration des projets candidats devra être mis en regard avec le vécu des acteurs publics, pour identifier les malentendus et souligner les convergences. C’est tout le sens du deuxième questionnaire à destination des élus, des collectivités et des aménageurs que nous avons lancé avec le soutien du PUCA.

Pour poursuivre la réflexion sur les nouvelles façons de faire la ville, suivez-nous sur twitter : @nicolasrio2 / @sensdelaville

Retrouvez aussi les autres billets de cette série consacrée au retour d’expérience sur Inventons la Métropole :

0. Inventons la Métropole vu par ses participants : toujours autant d’enthousiasme, et de plus en plus de questions !

  1. Inventons la Métropole : quand les réinventer changent d’échelle

2. Le partage des rôles : un fonctionnement collaboratif… à géométrie variable !

3. La programmation : quand la chasse au concept devient programmation

4. La « carte blanche » IMGP : cinquante nuances de gris

5. Appel à projets urbains cherche modèle(s) économique(s)

6. Et maintenant ? Quelques propositions pour réinventer IMGP

La présentation des résultats du retour d’expérience est accessible en ligne ICI et les données du questionnaire sont disponibles en open-source LA.

[1] Le Grand Paris, laboratoire pour une coproduction public-privé, Observateur de l’immobilier du crédit foncier, n°85, 2013

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Partie Prenante / Le Sens de la ville

Retour d’expérience collectif sur Inventons la Métropole du Grand Paris