No Token(-Eco)nomy without Token(-Eco)nomics -Justice et risque (2/4)

Pascal DUVAL
14 min readJan 28, 2023

--

Nous continuons ici notre série d’articles qui prend acte d’un tournant éthique dans la tokenomics. La question du risque et de la justice deviennent inséparables. La responsabilité des ingénieurs qui conçoivent ces systèmes est double : elle regarde vers les risques inhérent à des phénomènes de marché qu’ils formatent et du côté des principes de Justice qu’ils suivent plus ou moins explicitement. Ingénierie et “politique” sont intimement liés dans le Web3 d’une manière originale qu’on n’a pas dans le Web2.
L’univers du Web3 est un peu comme un univers réglé par l’intelligence mathématique, pure, immuable débarrassé des scories des essais-erreurs du Web2. C’est du moins, ce sur quoi se fonde une certaine “utopie” crypto-économique.

Dans cet article, nous proposons une autre vision de l ’économie portée par la “sociologie des agencements marchands” en phase avec cet aspect performatif de la tokenomics.

La tokenomics : une discipline sans fin de l’échange fini ?

Tokenomics et crypto-économie

Tokenomics est un mot valise anglais formé à partir de token et economics. La grande question est de savoir ce qu’elle a d’original. Est-elle par exemple une crypto-économie (mot qu’on utilise parfois pour désigner une économie censée être “alternative”) ?

Pas exactement, pas vraiment !

La raison en est que, toute récente qu’elle soit ,la tokenomics n’en possède pas moins déjà une histoire ou du moins une trajectoire que Francis J. Jervis (From Economization to Tokenization: New forms of economic life on-chain) a très bien tracée dès 2019 et que nous souhaiterions prolonger.

L’idée de systèmes économiques à tokens :

  • a ses origines conceptuelles dans les travaux de Nick Szabo et Vitalik Buterin ( 2002 -2014),
  • passe par l’émergence de l’Initial Coin Offering en tant que phénomène de marché (2107),
  • jusqu’à la naissance de l’ingénierie des tokens (token-ingénierie) en tant que “discipline naissante à l’intersection de l’informatique et de la robotique, de l’économie et des études sociales des marchés”. (2017–2018),
  • … pour venir jusqu’à nous (2023).

La crypto-économie n’est à tout prendre que la première phase de cette trajectoire. On sait que les origines conceptuelles de la plateforme de smart contracts Ethereum se trouvent dans le travail de l’économiste, juriste et informaticien américain Nick Szabo. Selon Francis J. Jervis, l’élaboration par Szabo des grandes lignes du discours alors émergent de la crypto-économie relève d’une théorie populaire de la marchandisation. Cette théorie, comme le dit Francis Jevis, reste influente dans la communauté blockchain, et certainement plus parmi les communauté Bitcoin “historiquement” plus conservatrice sur le plan politique, que dans le courant de la token ingénierie auquel nous nous rattachons et prolongeons.

[…]La token-ingénierie est, un site dans lequel plusieurs objets de la sociologie économique convergent — à savoir les programmes d’économisation et de marchandisation, les études de la performativité au niveau des marchés et les approches de l’infrastructure et des appareils (de marché) compris comme des Agencements Socio-Techniques matériels (ASTm).

Jervis, Francis. (2019). From Economization to Tokenization: New forms of economic life on-chain.

Ainsi lancée la trajectoire de la token-ingénierie s’éloigne, pour des raisons que nous explorerons en cours d’analyse, de la crypto-économie. Même si cette dernière continue toujours à l’habiter et demeure en question, comme nous le verrons, dans toute interrogation sur l’avenir de la tokenomics.

Mais les choses ont changé, et ces changements sont effectivement inscrits dans son inspiration économico-sociologiques, un type de science studies qui a vu naître des travaux extrêmement précis sur la finance (MacKenzie) et le fonctionnement des marchés (Callon).

Curieusement, aucun travail important de ce type n’a été consacré à la tokenomics et à ce qui la rend opérationnel (la token-ingénierie). Il y a sans doute un gap de connaissances que nous souhaiterions combler, en commençant par nous-mêmes…

L’apport de la sociologie des agencements marchands

C’est peu de dire, que la sociologie des agencements marchands [SAM] développée notamment par Callon (dès les années 80 donc bien avant Bitcoin) et reprise plus récemment par Latour (notamment dans le cadre de sa théorie de l’acteur réseau) reçoit avec la tokenomics une application tout à fait étonnante et une pertinence renouvelée.
En forçant le trait nous pourrions dire qu’elle est La théorie de la tokenomics. Plus qu’un “cas d’usage” fécond : sa réalisation. Nous proposerons une définition de la tokenomics qui se donnera comme une synthèse chimiquement pur de cette théorie.

Nous appellerons économie-discipline, l’ensemble des activités qui concourent à la production d’agents calculateurs. La science économique la plus théorique travaille à plein temps à cette entreprise de formatage car son travail est beaucoup plus pratique, réaliste, effectif qu’elle ne le pense elle-même. De la mobilisation des biens et des personnes, elle extrait de quoi faire des échanges calculables et c’est cette série d’opérations que nous appelons formatage. L’économie-discipline prélève dans les situations de quoi faire le calcul, de quoi produire des agents économiques calculateurs engagés dans une activité d’échange. L’économie comme discipline ne décrit pas de l’extérieur et plus ou moins fidèlement une chose objective, l’économie, qui existerait en dehors d’elle. Elle performe activement cette chose qui n’existait pas avant elle et qui n’existerait pas sans elle. Loin d’être l’objet d’une définition ostensive, l’économie-chose est le résultat performatif de l’économie-discipline . La première découle en quelque sorte de la seconde, aussi paradoxal que cela puisse paraître à première vue. Les économistes pétrissent incessamment quelque chose qui n’est pas du tout économique pour en extraire par filtration, purification, imposition quelque chose qui ressemble à de la calculabilité, à de la gouvernementalité, à de l’organisation des marchés.

Sociologie des agencement marchands — Textes choisis — ch1 “tu ne calculeras pas “ ou comment symétriser le don et le capital — Michel Callon et Bruno Latour. p14–15

La tokenomics s’avère être une telle économie-discipline, distincte de l’économie-chose, qu’elle “fait” (“performe”) par des des “impositions”, des “formatages” particuliers. La Tokenomics peut être définie comme l’économie-discipline des agencements socio-techniques d’un certain type (appelons-les “décentralisés”).

Le formatage exemplaire de la tokenomics

En tokenomics, si on nous autorise la métaphore d’une terra encore largement incognita, il y a bien comme partout ailleurs, la présence d’agents capables de calculer leurs intérêts et de s’engager dans des transactions limitées dans le temps et dans l’espace. Sans un certain “équipement” adéquat,toutefois (c’est ce que nous apprend la sociologie des agencements marchands), ces agents, aussi rationnels-calculateurs qu’ils sont supposés être, ne pourraient réaliser aucune opération de calcul.

Cela va bien au-delà du fait de dire que le contexte matériel est important, c’est renverser en fait la toute la logique économique pour mettre au premier plan ces Agencements Socio-techniques Matériels (ASTm) dans lesquels (plutôt que par lesquels) il y a “performation” économique. C’est mettre l’accent sur le processus d’économisation, de marchandisation. On s’intéresse à la façon dont les comportements, les choses, les échanges acquièrent l’adjectif “économique”, comment quelque chose qu’on appellera encore “économie” se fait. Moyennant quoi, pour rependre une formule paradoxale de Callon, on inverse le rapport entre economics (la science) et economy (la chose “réelle” décrite en terme “économiques”). Il nous faut la retraduire :

“NO ECONOMY WITHOUT ECONOMICS” <=>
“NO TOKEN(-ECO)NOMY WITHOUT TOKEN(-ECO)NOMICS”

Une attention spéciale est donnée aux agencements dits “matériels” ou ses équipements dans lesquels il y a économisation (et dans notre cas tokenisation)

Dans la perspective de la SAM, la performation propre à la tokenomics comprend l’équipement suivant :

  • le temps irréversible des blockchains,
  • l’espace virtuel de toutes les transactions et des contrats,
  • une comptabilité en partie triple,
  • un accès possible à toutes les données/programmes.

Nulle part ailleurs que dans la tokenomics on insiste (avec autant de sens “du métier d’économiste”) sur :

  • l’agent dit “calculant”, dans ses relations aux autres (poussant dans ses limites la théorie au fondement de la théorie des jeux, la théorie de la décision, la théorie des systèmes et la théories des modèles comme l’ABM des systèmes complexes par exemple);
  • les “métrologies”;
  • l’importance du travail de grignotage des externalités qui la hante (repérant de façon toujours plus sophistiqués ces externalités pour ne rien laisser s’échapper);
  • L’enforcement de la différence entre externalité et internalité (un travail continuel à tous les niveaux : des boucles de rétroaction renforçantes au calcul des risques).

Ce qui est intéressant dans la tokenomics, c’est qu’elle est tout à fait dans les termes de la SAM, une discipline qui ne cesse d’essayer d’obtenir une double conformation : celle des agents et celle des (token-)économistes.
Elle présente même pour ainsi dire l’idéal typique de cet aller-retour incessant :

  1. une conformation de cadrage pour cadrer les interactions de ces agents (à commencer par des méthodes d’identification de ces agents puis leur simulation par des outils adaptés)
  2. une conformation d’internalisation pour éviter aux agents toute tentation de débordement (pensons à la chasse aux acteurs malveillants)

Encadrer, cadrer, “to enforce”, circonvenir, imposer, rendre calculable : ce n’est pas pour rien qu’on parlerait d’une (token-économie)-discipline.

En finir avec les externalités ?

Les traits de la tokenomics se présentent à un état si pur, si explicite qu’on peut se demander, si les termes dans laquelle elle-même s’interprète n’hallucine pas l’économie traditionnelle (comprendre “capitaliste” voire “capitalo-financière”) faisant le jeu d’une transparence et une fluidité totale qui annihilerait toute externalité. Ceci résonne, encore, avec la réflexion de Callon et Latour :

Les internalités permettent de faire un calcul qui tombe juste. Disons, pour être précis et plus général, à la fois, qu’elles permettent de définir une interaction, de la cadrer, d’en finir avec elle — qu’il s’agisse d’un prix ou d’un contrat. Sans le formatage des internalités en effet, tout le monde le sait bien, les économistes d’abord et les agents ensuite on n ‘en finirait jamais, on ne saurait jamais dire qui possède et qui profite. Disons-le encore plus simplement : on ne serait jamais quitte.

Sociologie des agencement marchands — Textes choisis — ch1 “tu ne calculeras pas !” ou comment symétriser le don et le capital — Michel Callon et Bruno Latour. p17

Mais peut-on, au juste, en finir avec les externalités ainsi comprises comme voudrait le faire penser une certaine cypto-économie ? Ce n’est pas du tout ce que disent Callon et Latour. “To enforce” cette différence, comme ils tiennent à le dire en anglais, entre externalité et internalité, ce n’est pas faire passer l’une dans l’autre, c’est travailler incessamment sur les deux bords à la fois, de façon toujours complémentaire. Ce travail, nous le voyons quotidiennement chez les tokenomistes — data scientists qui peaufinent leurs métriques, leurs simulations, leurs modèles. Cent fois sur le métier, ils remettent leurs ouvrages ; c’est sans fin qu’ils s’adonnent à cette “discipline performatrice de l’échange fini”.

Que signifierait vouloir en finir dé-finitivement avec les externalités ? Ne serait-ce pas vouloir se soustraire à une Nemesis, c’est-à-dire à la possibilité même d’une Justice ? Nous avons déjà évoqué cette question dans l’ article précédent en prenant à partie la théorie politique de la Justice de John Rawls. Pourquoi se prémunir de tout retour de la Justice, pourquoi tant de précaution pour qu’elle ne puisse être réclamée ? Ne faudrait-il pas au contraire absolument la préserver et cela quelque soit la perfection de nos systèmes, judicieux, comptables, calculatoires ? La réponse est dans la question. Et elle n’est pas évidente. Le propre de cette Nemesis, c’est que le compte n’y est jamais, qu’on ne puisse jamais en finir. Ce n’est pas une question d’assignation. Jamais. Dans aucun système. On ne peut jamais se prémunir d’une juste revendication car elle est toujours contre toute raison, contre toute assignation.

Dure limite posée à toute tokenomics qui penserait résoudre la question de la Justice, l’intégrer à ses diagrammes de flux ! Nous tenterons d’y répondre.

Il en va pour la Justice comme pour le don chez Jacques Derrida : il faudrait pour qu’il existe qu’il échappe à tout système d’échange symbolique. Donner vraiment c’est donner sans retour, dans l’oubli du don et du donateur. De même faire justice, ce serait donner à quelqu’un quelque chose qui lui revient mais hors de toute raison et de tout calcul, et finalement de toute notion de partage.

La manière de comprendre cette aporie est une question importante dans laquelle se décide le sens (et l’avenir) de toute tokenomics : ”empowerment” (comme dit l’anglais) réel pour les individus, (une justice pour tous) ou “enforcement” (bis) à marche forcée (qui reviendrait à une absence complète de justice) ?

”Tu ne calculeras pas !”

La mécompréhension sur le travail de la différence externalité/internalité est le péché originel de la crypto-économie Nick Szabo. C’est une mécompréhension du travail de l’économiste. L’oeuvre de Buterin, à cet égard, peut être vue comme un amendement continuel de cette vue radicale.
Il se trouve que tous deux font ensemble théoriquement et informatiquement le lit de ces Agencements Socio-Techniques matériels [ASTm] (smart-contracts et EVM) avec lesquels nous devons composer.

La critique de Nick Szabo a déjà été entreprise.

Le récit de Szabo de la vie économique des sociétés pré-modernes dépeint schématiquement les moyens d’échange comme des prothèses sociales qui fonctionnent pour “ [augmenter] nos cerveaux et le langage pour parvenir à la solution au dilemme du prisonnier qui empêche presque tous les animaux de coopérer via une réciprocité différées avec des non-apparentés “ (2002). Cette référence au problème peut-être le plus connu de la théorie des jeux, le dilemme du prisonnier, dans lequel les agents doivent choisir entre la coopération et l’individualisme (la plus grande “utilité attendue” étant obtenue si les deux agents choisissent de coopérer), est révélateur de l’hypothèse sous-jacente de la cryptoéconomie, selon laquelle les interactions sociales humaines en général peuvent être utilement réduites à des “jeux à n personnes” (Nash 1950).
[…] La tendance du discours de la cryptoéconomie à entreprendre un programme global d’économisation n’est que trop apparente dans le discours de Szabo qui s’appuie (soit-disant) sur l’économie comportementale et la nature essentiellement calculatrice de ce que nous pourrions appeler l’
Homo cryptoeconomicus.

Jervis, Francis. (2019). From Economization to Tokenization: New forms of economic life on-chain.

Le problème de la théorie des jeux, pourtant, n’est pas qu’elle est anthropologiquement fausse . Son but (dans le prolongement que lui donneront V. Neumann et Morgenstern) est de nous donner les solutions mathématiques à des configurations que l’on appelle des “jeux”. Cela est différent et la difficulté en tokenomics est plutôt de savoir comment l’appliquer, c’est-à-dire comment s’en servir pour sa propre tâche de formatage, de cadrage qui est comme nous l’avons dit est une tâche d’économisation. Beaucoup reste à faire dans ce domaine.

Le problème central de la crypto-économie est un peu différent. Ce n’est pas tant que la crypto-économie est une économie réduite à la théorie des jeux mais plutôt que c’est une vision avec un narratif particulier : une “économisation globale” et qui plus une “économisation globale comportementale”. Cet Homo cryptoeconomicus, censée être augmenté par divers “enforcements” ressemble que trop à son parent l’Homo economicus.

La question est en effet celle d’une approche formaliste (au sein d’un débat en économie entre formalisme et substantivisme) commune à l’un et à l’autre.

Dans le formalisme, l’économie en tant qu’ensemble d’activités est une notion secondaire et non primaire. En fait, les formalistes se soucient peu de définir l’économie parce qu’ils partent du principe qu’elle existe partout. L’objet de leur réflexion et d’investigation est plus simple et plus général : ils s’intéressent à l’action individuelle et à son universalité. Ce sujet est évidemment théorique. Il est initialement avancé comme une hypothèse, laissant aux partisans du programme le soin de vérifier si les observations empiriques confirment sa validité. L’avantage essentiel de cette approche est son immense économie conceptuelle. Un seul concept, la rationalité instrumentale, est mobilisé pour rendre compte de la diversité des sociétés existantes.
Une autre façon de décrire cette approche est de dire que le programme formaliste définit l’action humaine individuelle comme un comportement essentiellement d’économisation où économisation est synonyme de rationalité instrumentale dont les modalités, les formes et les expressions varient en fonction du modèle culturel. On voit comment les formalistes évacuent allègrement la question de l’économie en se focalisant sur les comportements économiques qui sont, plus exactement, des comportements d’économisation. Le substantif est remplacé par un adjectif (en l’occurrence un adjectif verbal) et appliqué à un X qui (en l’occurrence) est l’action individuelle. De là, l’affirmation selon laquelle l’économie est consubstantielle aux cultures humaines est un pas extrêmement tentant et facile à franchir.

Economization, part 1: shifting attention from the economy towards processes of economization — Koray Çalışkan & Michel Callon — 2009.

En résumé, c’est l’action individuelle (le comportement) qui fait tout. L’économie “réelle” n’existe qu’”en face” , comme une projection, d’une rationalité instrumentale. L’anthropologie n’a aucun mal à rejeter cela mais manque peut-être le point que cette approche est elle-même un programme anthropologique. Et c’est ici qu’interviendrait la théorie des jeux. Les supposées capacités de calcul de l’agent individuel peuvent être améliorées pour prendre en compte les interactions stratégiques, que lui met à disposition la théorie des jeux (Nash). Il est également possible d’introduire la recherche d’information et de sélectionner des critères d’optimisation moins restrictifs (rationalité limitée). On peut par exemple remplacer la maximisation par le critère de satisfaction ou en introduisant le simple classement des préférences (Neuman et Morgenstern).
Mais, présentée comme un “progrès”, elle n’est en fait qu’une couche sophistiquée que l’homo cryptoeconomicus ajoute à l’homo economicus (disons néo-classique).

Le meilleur calcul..

Faut-il renoncer à cette économisation globale comportementale, celle que nous propose l’éternel l’Homo economicus qui se cache encore sous les traits de l’Homo cryptoeconomicus ? Quelle économisaton pour la tokenomics ? Faut-il encore critiquer l’Homo economicus ? Et au nom de quoi ? il est de bon ton de refouler l’utilitarisme. Nous avons essayé de le dire dans un article précédent : l’utilitarisme est la philosophie native du Web3 et la seule dont nous disposions.
Faut-il le regretter ?
Non !
Si on suit encore Callon et Latour, ce n’est pas nécessaire. Ils mettent dos à dos l’anti-utilitarisme qui récuse ce qu’il considère comme un réduction pour en appeler à un fond anthropologique et le libéralisme qui feint de croire que la véritable nature de l’homme est l’individu calculateur. L’anti-utilitarisme est, pour eux, le pendant du libéralisme. Car dans les deux cas on oublie que la scène que l’on découpe (comme à l’écran d’une salle obscure) est toujours le résultat de formatage qui opère avec des externalités et des internalités. Mais différemment. Le libéral hallucine l’individu quand il n’est que le résultat d’un formatage qui fait que de l’intérieur de l’échange, les individus paraissent ainsi. Quant à l’extérieur une fois la pleine lumière est faite, on s’aperçoit il n’y a plus de marché que de capitalisme. L’erreur symétrique de l’anti-utilitarisme est d’oublier ce qu’ils appellent le “formatage du désintéressement” (par opposition à celui de l’intérêt).

Il faut exactement autant de travail formatage pour définir un acte collectif de don que pour dé-finir, c’est-à-dire terminer, un acte collectif d’échange. Une fois disparue la psychologie qui peuplait le monde capitaliste de calculateurs intéressés et le monde pré-capitaliste de donateurs désintéressés, il devient possible enfin de distinguer très précisément quelle est la différence entre les régimes de formatage. Ils ne diffèrent aucunement par l’impératif catégorique qui reste le même dans tous les cas “tu ne calculeras pas!”, mais ils se distinguent par la liste de ce qui ne doit pas être pris en compte.

Sociologie des agencement marchands — Textes choisis — ch1 “tu ne calculeras pas “ ou commet symétriser le don et le capital — Michel Callon et Bruno Latour. p24

Si le capitalisme a pour maxime de calculer les internalités de façon à toujours être quitte, sans prendre en compte les externalités (positives ou négatives), le programme anti-utilitariste fait sienne l’interdiction de calculer de façon à ce que personne ne puisse jamais se dire quitte.

Deux “calculs” donc si on veut bien prendre cette notion au sens large de formatage que lui donne la sociologie des agencements marchands.

Mais aussi deux pôles, entre lequel la tokenomics balance et dont elle est la première à savoir que leur compte ne sont pas bons : celui d’un risque nul et celui d’une Justice totale (au détriment de toute finalité).

La tokenomics : une discipline sans fin de l’échange fini.

La tokenomics : une discipline sans fin de l’échange fini.

--

--