Grossesse : faisons éclater le silence des trois mois

paula.forteza
4 min readJul 26, 2021

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Deux ans après ma dernière grossesse, qui s’est interrompue de façon brutale, je suis très heureuse d’être à nouveau enceinte. Si j’en parle aujourd’hui néanmoins, ce n’est pas par volonté d’ “étaler” ma vie personnelle sur la place publique, mais parce que, encore une fois, je me heurte à des tabous et des pratiques qui me semblent non seulement incompréhensibles, mais complètement injustes. Pourquoi est-ce que les femmes devraient vivre seules et en silence ces 3 premiers mois de grossesse qui sont extrêmement difficiles à endurer ?

Enormes fatigues, nausées, vomissements, irritabilité… : ces symptômes ne sont pas de simples sauts d’humeur, des réactions psychologiques ou des caprices, qu’il suffirait de maîtriser avec un peu de concentration et de sérieux pour passer à autre chose, mais bel et bien des conséquences physiques des bouleversements que le corps de la femme enceinte traverse. Je ne peux que recommander la lecture de “Trois mois sous silence” de Judith Aquien pour une description fidèle et exhaustive de cette épreuve et de ses implications.

3 mois (de malaises) qui n’existent pas

Rien de plus parlant que le fait que le parcours de prise en charge des femmes enceintes par l’assurance maladie ne commence que vers la fin du troisième mois. Avant cela, comme la grossesse est susceptible de s’arrêter à n’importe quel moment, c’est comme si elle n’avait pas vraiment démarré. Il est question de continuer la routine, comme si de rien était : au travail, auprès de son entourage, parfois même de la famille. Alors que certaines femmes doivent se cacher pour vomir ou s’endorment à leur poste parce que leur corps les lâche.

Saviez-vous qu’à l’époque des opérations chirurgicales transatlantiques, de la santé prédictive et des vaccins ARN, la médecine ne sait toujours pas expliquer clairement la cause des malaises, nausées et vomissements des femmes en premiers mois de grossesse ? Est-ce parce que les femmes ont encore une place à se faire dans la recherche en tant que scientifiques (8,4% des salariées dans les emplois en sciences ou d’ingénieures) ? N’y aurait-il vraiment que les femmes pour s’intéresser à leur propre bien-être ?

Sans même parler d’y trouver un remède. Les méthodes scientifiques pour élaborer des médicaments incluent peu les femmes. Que 20% des expérimentations animales, par exemple, se font sur des femelles. Cela pose pourtant des problèmes scientifiques, notamment en ce qui concerne les hormones. En temps de grossesse, c’est une logique assurantielle qui prime donc, où la plupart des médicaments, même les plus doux, sont interdits, faute de tests. Ne restent que les traitements naturels, plus ou moins efficaces.

Au-delà de la nécessaire prise en charge par l’Etat et la recherche scientifique, c’est aussi le tabou social du silence des trois mois qu’il faut réussir à dépasser. Pourquoi vouloir protéger les autres d’une déception plutôt que de se sentir entourée et accompagnée en cas de fausse couche ? Pourquoi se passer des visites et des petits soins de la famille et des amis alors que l’on a du mal à sortir et les rejoindre comme en temps normal ? Ne sacralisons pas l’enfant en devenir au dépends du soin de la mère en devenir.

De l’égalité des droits à la visibilisation du corps des femmes

Comme l’explique clairement Camille Froidevaux, c’est parce que la “première génération” de féministes a dû cacher et faire oublier le corps des femmes pour pouvoir devenir sujet de droit et non objet de possession, que ces débats ont été si longuement tenus sous silence. Il s’agissait d’acquérir les mêmes conditions de travail que les hommes, et non de mettre en avant les particularités des parcours liés à la maternité. Comme il s’agissait d’avoir le droit de porter des pantalons et non pas de revendiquer le port des minijupes.

Aujourd’hui le nouveau combat doit être celui de la réappropriation et de la célébration du féminin, celui de la visibilisation du corps des femmes et des difficultés ou injustices qui peuvent encore lui être associées. C’est en mettant la lumière sur les nombreuses problématiques et contraintes que subissent les femmes dans le rapport entre l’intime et l’espace public, que nous allons notamment arriver à dépasser l’opposition classique des féministes entre universalisme et différentialisme.

Dans ce sens, les revendications liées au développement d’une grossesse choisie, soignée et épanouie telles que l’effectivité de l’accès à l’IVG, le mouvement #MonPostPartum et les récentes prises de parole sur les fausses couches et le silence des trois mois s’inscrivent dans la même lignée que la “vague #MeToo”, la lutte des latinoaméricaines pour ne compter #Niunamenos, le choix des lycéennes pour les crop-tops et le no-bra, les combats écoféministes ou encore l’irruption du clitoris dans la symbolique militante.

Commençons donc par dire notre grossesse, même quand elle n’est pas encore visible, à demander de l’aide puisque que nous en avons objectivement besoin, à réclamer des ajustements auprès de nos employeurs (le télétravail pouvant être parfois une solution adaptée) et à plaider pour une meilleure prise en charge par les pouvoirs publics et la recherche scientifique. Faisons éclater le silence des trois mois : il n’a aucunement sa place dans un 21ème siècle qui appelle chacune et chacun à faire attention à soi et à sa santé.

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