Nederlandstalige versie: Informatisering van Justitie. Ja, maar hoe ?
Informatiser la Justice. Oui, mais comment ?
Tous les acteurs s’accordent pour dire qu’il faut informatiser la Justice. Mais cette volonté a pour corollaire qu’il faut définir comment s’y prendre. Le passé offre comme leçon qu’il ne vaut mieux pas s’en inspirer : les vieilles recettes, appliquées et ré-appliquées maintes fois, n’ont réussi qu’a démontrer leur inadéquation.
Quant à la question de savoir ce qu’il faut faire, je n’ai pas la prétention de pouvoir y répondre. Ce sont les travailleurs et les utilisateurs de la Justice eux-mêmes qui possèdent la compréhension la plus complète des problématiques auxquelles ils font face, en sacrifiant régulièrement leur propre temps et bien-être pour faire tourner ses innombrables rouages. Si une solution doit être trouvée, ce sera en les incluant dés les premières phases, et non en leur imposant des outils pensés et conçus loin des obstacles et des difficultés de leur quotidien.
C’est dans ce sens que j’ai tenté d’élaborer un plan, une autre approche, résumé en 4 suggestions détaillées ci-dessous. Elles se renforcent mutuellement, de manière à ce que prises ensemble elles auront un impact plus déterminant que considérées séparément. Ces suggestions sont le résultat de multiples rencontres, débats et discussions, avec des personnalités diverses du monde juridique et politique, tout aussi motivées et investies. Il va de soi que je me suis aussi fortement reposé sur ma propre expérience, car cela fait 15 ans que j‘œuvre à une informatisation de la Justice, que ce soit en tant qu’amateur ou tant que professionnel¹.
Deux thèmes caractérisent ces suggestions, qui n’en sont pas moins réalistes et réalisables : innovation et évolution.
Innovation car des mesures doivent êtres prises pour la provoquer, la faciliter, et l’encourager. En tant que développeur dans une Startup du numérique, l’innovation est mon quotidien. Elle n’est cependant pas le monopole des incubateurs et des géants de l’informatique. La société et la Justice en regorgent, en témoignent les « bricolages du terrain » de travailleurs de la justice ou les projets de citoyens volontaires, mais qui, face à un problème, n’ont comme possibilité que de le résoudre pour eux-mêmes. Ces projets peuvent être expérimentés, accompagnés, développés, et diffusés jusqu’à éventuellement intégrer les outils internes ou externes de la Justice, pour peu qu’ils rencontrent leurs objectifs.
Évolution, car il est temps que la Justice s’accepte comme étant, d’abord oral, puis écrit, désormais également numérique. Le citoyen n’y voit probablement pas un bouleversement car la technologie, les concepts, et les pratiques de la « révolution numérique » imprègnent la vie quotidienne. Mais étant moi-même juriste, je perçois pleinement le caractère révolutionnaire d’une informatisation pleinement assumée de la Justice, qui explique en partie l’état dans laquelle elle se trouve : de considérer le numérique dans ce qui le caractérise plutôt que comme un ersatz de l’écrit.
Chaque suggestion qui suit est un défi en soi, mais est inspiré d’exemples ou de réalisations qui existent déjà, et qui ont fait leur preuves. Ces précédents montrent non seulement comment surmonter les obstacles qui se présenteront ; elles permettent surtout d’entrevoir ce que leur mise en pratique pourrait accomplir.
Suggestion 1 : Un incubateur de Startups « publiques »
Directement inspiré de beta.gouv.fr, l’incubateur Français de Startups d’État. C’est une organisation qui encadre et assiste de petites équipes de développement dans une structure horizontale, dans un but d’amélioration du service public et pour le bénéfice direct du citoyen, à l’abri de la pyramide hiérarchique traditionnelle. Cet environnement particulier leur permet d’expérimenter, de développer et d’améliorer leur projets avec une vitesse d’exécution et une économie de moyens caractéristique des Startups du numérique.
Suggestion 2 : Provoquer, encourager les projets, les rencontres, les échanges, la co-conception²
En organisant des événements qui favorisent la découverte, la collaboration et la naissance d’équipes autour de projets divers et variés. Ont les connaît sous le nom de Hackatons, DevFests, Bootcamps ou Startup Weekends, chacun ayant sa spécificité. Dans un laps de temps très court (habituellement le temps d’un week-end) et dans un contexte dynamique de saine compétition et d’émulation, de petits groupes testent des idées et développent de prototypes en proche collaboration et co-conception. Ces micro-projets sont ensuite présentés et évalués à la fin de l’événement.
Suggestion 3 : Décloisonner les services informatiques
Isolées, parfois figées dans l’époque qui les a vu se constituer, elles sont souvent mises à l’écart des autres services et peuvent développer une culture propre, parfois peu propice à l’innovation et au renouvellement. En incitant et en accompagnant une actualisation des méthodes de travail et des outils, une certaine mobilité et ouverture aux autres services, elles peuvent devenir un moteur essentiel — et naturel — dans l’effort de conversion numérique.
Suggestion 4 : Professionnaliser le suivi et la gestion des projets informatiques
C’est un constat que j’ai pu entendre plusieurs fois, celle d’un manque d’information et de soutien lorsqu’il s’agit d’orienter ou de suivre l’évolution de projets informatiques d’envergure. À cela s’ajoute la confusion créée par la multitude des acteurs qui définissent les priorités : le Ministre de la Justice, le SPF Justice, et bien sur le Pouvoir Judiciaire, lui-même composé d’une multitude de collèges, cours, tribunaux, et services d’appui. Une cellule spécialisée, centrale et commune, à la manière d’un 18F aux États-Unis, qui réunirait les différents domaines d’expertise nécessaires, pourrait ainsi guider et conseiller les décideurs et les gestionnaires de projet dans leur mission. A titre d’exemple, un blogpost récent parle de contrats de sous-traitance modulaires:
Grâce à la sous-traitance modulaire, nous divisons des projets vastes et complexes en plusieurs acquisitions étroitement définies pour mettre en œuvre des systèmes technologiques par incréments successifs et interopérables.
Un approche qui, on peut l’imaginer, pourrait profiter aux travaux titanesques qui restent à entreprendre.
Ces 4 suggestions s’alimentent et se renforcent réciproquement: Les projets sélectionnés aux divers évènements sont accueillis au sein de l’incubateur, qui héberge également des initiatives d’autres travailleurs de la Justice qui y collaborent avec des développeurs venus des cellules informatiques et d’ailleurs. Les équipes se font et se défont, les idées et les approches s’échangent, et au terme du projet, qu’il ait atteint sont objectif ou pas, ils retournent dans leur services respectifs, avec un nouveau bagage, de nouvelles relations, et de nouvelles idées. Ces connaissances et expériences alimentent alors à leur tour les choix stratégiques des politiques numériques à mener, qui peuvent à nouveau donner lieu à d’autres projets et opportunités.
Il s’agit in fine d’équiper la Justice des outils qui lui permettront de développer, maintenir et renouveler ses services numériques, avec la qualité et la facilité d’utilisation que le citoyen est en droit d’attendre. Moins prosaïquement, la volonté profonde est de réintroduire la Justice dans la société d’aujourd’hui, pour qu’elle puisse exercer pleinement le rôle, symbolique et réel, qui lui est attribué.
1: J’ai pu assister aux derniers mois du projet Phénix, alors que je réalisais déjà des outils informatiques en étant étudiant en Droit. J’ai par la suite intégré le Conseil d’État, ou j’ai entre-autres contribué au développement de sa procédure électronique. Entre-temps, dans mon temps libre, j’ai réalisé le site etaamb.be, qui reproduit les contenus du Moniteur Belge, et qui reste largement utilisé. Je suis aujourd’hui développeur Senior dans une Startup du Big Data, au sein d’un incubateur spécialisé dans les nouvelles technologies.
2: Processus de développement d’un produit ou d’un service, le plus souvent innovant, impliquant l’utilisateur final.