Unique photo de mon bureau rangé, le jour de la rentrée scolaire 2021.

Ce qu’enseigner m’a appris

Coline Serra
8 min readDec 31, 2021

On pense spontanément que ce sont les élèves qui apprennent dans une classe. Et pourtant, même si je n’ai enseigné qu’une année, je suis prête à parier que les profs apprennent toute leur vie, au fur et à mesure que les temps changent et que les élèves évoluent.

Si j’essaie d’avoir pour seule règle immuable dans la vie celle de me dire qu’il n’y a pas justement pas de règle immuable, je crois cependant que j’ai observé quelques fondamentaux cette année concernant l’art subtil d’installer un cadre d’apprentissage serein et épanouissant. Dans cet article je raconte les grands principes que j’ai appliqué à cette fin.

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J’ai consacré l’année passée à enseigner les maths en REP (Réseau Education Prioritaire).

C’était ma première année. Je remplaçais un enseignant parti à la retraite et dont la chaise était restée vide. C’était l’année 2020–2021. Une année semée d’embûches, de protocoles sanitaires et de changements inopinés d’emploi du temps en conséquence. A cela s’ajoutaient 2 heures de transports par jour, des magasins d’alimentation fermés avant que l’on parte le matin, fermés avant que l’on rentre le soir — couvre-feu oblige-, des RER espacés — parce que : voyons bon, pourquoi maintenir la qualité du service public en plein confinement ? “Les gens sont chez eux” (ceci est un petit exemple des impacts de l’endogamie du personnel qui fabrique les politiques publiques).

Beaucoup de gens ont continué à se rendre au travail pendant les confinements 2 et 3, et les enseignants n’ont pas fait exception. Beaucoup ont semblé l’ignorer mais les écoles n’ont fermé que 2 semaines cette année-là. Le reste du temps, confinement ou pas, les profs étaient dans leurs classes.

En bref, c’était une année faite de journées épuisantes, mais ce fut aussi l’une des expériences professionnelles les plus joyeuses, touchantes et épanouissantes que j’ai connu -et je dis ça sur la base d’un benchmark de pas moins de 15 jobs différents, entre les boulots étudiants, les stages, et mes 3 années de conseil avant cette reconversion-.

L’année suivante, un titulaire a demandé et obtenu mon poste. Je n’enseigne donc pas cette année, que je dédie à une association que j’ai co-initié. J’écris cet article pour ne rien oublier de ce que j’ai appris.

Je l’écris aussi dans l’espoir que cela serve à d’autres personnes, que vous soyez enseignant ou aspirant à le devenir, chef d’équipe dans un autre environnement ou simplement curieux.se. Je crois que ce que l’on apprend du vivre ensemble et de la gestion de groupe en classe peut servir à plein d’endroits de la société. Je crois même que l’on y apprend pas mal de choses sur la démocratie, mais ça, ce sera pour un autre article.

Les grands principes pédagogiques mis en classe pour un cadre d’apprentissage serein et épanouissant

*Petit disclaimer*

Qu’est-ce qu’on apprend en enseignant ? Déjà, on apprend beaucoup sur soi, mais surtout, on observe tous les jours la merveilleuse diversité des fonctionnements humains affranchie des codes de la vie adulte. Avoir une classe face à soi, c’était un peu comme avoir un laboratoire de la société sous les yeux. Et évidemment, c’est aussi merveilleux que compliqué à gérer. Le premier défi pour moi, c’était de créer un climat de confiance entre eux, et envers moi.

Ce que nous apprennent en effet les pédagogies dites “alternatives” c’est avant tout que les élèves apprennent tous seuls pour peu qu’ils évoluent dans un climat de confiance qui stimule leur curiosité et leur confiance en eux et en elles. C’est ce que j’appelle de manière un peu pompeuse “un cadre d’apprentissage serein et épanouissant”.

Je précise d’emblée que ces principes et outils ne sont ni magiques ni automatiques, et ne fonctionnent d’ailleurs que s’ils sont utilisés avec une rigoureuse cohérence. Il n’y a rien de plus détesté par les élèves que les incohérences dans les règles qui leurs sont imposées. A cet âge le combat contre les injustices est très largement partagé (à croire que l’on nait woke, mais qu’on ne le devient pas toujours ?). Je fais d’ailleurs le pari que cette observation sur le rejet des incohérences se vérifie à toutes les échelles d’un groupe social, il n’y a qu’à regarder ce qu’il se passe en ce moment avec les absurdités du protocole sanitaire de la Ve vague (pardon, on a dit plus tard l’article sur la démocratie).

Un certain climat de confiance permet donc aux élèves d’apprendre en autonomie mais toutefois il me semble important de dire que ce cadre ne peut être mis en place par un effectif d’enseignants réduit et encore moins par un écran d’ordinateur. Les enfants et les adolescents ont besoin du regard encourageant et valorisant d’un adulte pour apprendre, tout comme nous adultes, en avons parfois besoin. Pensez à la dernière fois que vous avez fait un changement positif significatif dans votre vie comme arrêté de fumer, rangé votre penderie ou réglé une tâche administrative qui trainait. Une partie de vous l’a probablement fait parce qu’il fallait le faire, mais aussi peut-être parce que le regard d’un proche sur vous, vous poussait à le faire. Ce besoin de validation est accru chez les enfants et les adolescents qui sont en pleine construction d’eux mêmes et commencent à peine à se détacher du regard de leurs parents.

Mon point est donc le suivant : aucune des techniques pédagogiques détaillées ici ou ailleurs, si pratiques et “magiques” qu’elles puissent paraitre, n’implique que l’on puisse se passer des profs ou augmenter le nombre d’élèves par classe. L’apprentissage ne se fait que parce qu’il y a une bonne relation entre le prof et l’élève. Augmentez le nombre d’élèves par classe et cette relation s’étiolera. L’apprentissage n’en sera que plus parcellaire. La seule chose qui peut varier cependant, c’est le type de relation : chaque prof a son style et c’est très bien ainsi. Les élèves ne créeraient pas de relations avec leurs profs s’ils étaient tous pareils. De la même manière qu’on ne crée par de relation avec des robots ou avec des gens normés enfermés dans un rôle défini (sur ce thème filez lire le dernier livre de Mona Chollet ou écouter ce podcast de Victoire Tuaillon).

En bref, l’éducation c’est un peu comme un circuit électrique. Il faut que la liaison soit bonne pour que le courant passe.

Cet article n’a donc que vocation à inspirer et en aucun cas à prétendre être un modèle à répliquer, puisque chaque enseignant est unique :) .

Je suis d’ailleurs loin d’y être arrivée parfaitement dans toutes mes classes et avec chaque élève l’année dernière, mais c’est dans cette direction que j’ai travaillé, et sur ce chemin que j’ai mis en place mes principes de classe et développé mes outils. Ces outils m’ont donné l’occasion de passer des moments inoubliables, forts et touchants et j’espère vous donner envie de les utiliser ou de vous en inspirer, quelque soit votre cadre de travail.

  1. La fermeté et la bienveillance, le préalable indispensable

J’enseignais les maths, la matière détestée par des générations d’élèves sur des centaines d’années. Mon objectif était donc simple : rendre les maths cool (oui), parce qu’on ne devient jamais bon dans quelque chose que l’on hait.

J’ai été un peu aidée dans cette tâche par le fait que je n’avais pas le physique de l’emploi : étant une femme, jeune, avec des baskets roses et des blagues nulles a surement permis de réduire leur appréhension au premier regard. Mais évidemment, cela n’a pas duré. Dès que j’ai tendu de longues fiches d’exercices, donné un premier contrôle (trop dur, évidemment, erreur de débutant), ou ajouté des “x” et “y” dans une phrase d’algèbre, j’ai vu la panique dans leurs yeux. Et en retour, j’ai bien sûr paniqué aussi : je refusais la perspective d’être cette prof terrorisante que l’on a tous connu.

Ma famille de profs (oui je suis tombée dedans quand j’étais petite) m’a beaucoup aidée, et m’a inspirée une pratique de la transmission guidée par la fermeté et la bienveillance (et les blagues nulles). La bienveillance étant entendue ici comme un accueil chaleureux inconditionnel des élèves, quelque soit la dernière fantaisie interdite à laquelle ils aient succombé. Concrètement, cela implique de recadrer avec calme et bienveillance — et dans le meilleur des cas une pointe de taquinerie affectueuse — celui du premier rang qui bavarde pour la énième fois dans l’heure, ou encore celle qui arrive en retard pour la énième fois dans l’année.

J’ai toujours pensé que ce cadre ferme et bienveillant était simplement un chouette attribut de nos réunions de famille, mais après cette année je considère que c’est en réalité essentiel à tout exercice de transmission. J’ai aussi découvert que cette posture n’a rien de simple, et représente à elle seule, un réel travail sur soi. Rester chaleureux, bienveillant, juste en toutes situations, demande beaucoup d’énergie et de contrôle de soi, et implique une fatigue physique conséquente qui suffit à justifier à mon sens le soit-disant “faible” nombre d’heures devant élèves des profs de collèges et lycées. L’exercice de maitrise des émotions que l’on demande aux enseignants est comparable à celui demandé aux acteurs et actrices en représentation. Et pourtant, on jugerait probablement inhumain de demander aux acteurs et actrices de jouer devant public 18h par semaine (équivalent 6 jours sur 7 avec une représentation de 3h chaque soir).

Une autre manière de formuler ce concept de fermeté bienveillante est de parler “d’accueil inconditionnel” comme Caroline de Haas, qui prône le “regard positif inconditionnel” dans le management d’équipe (elle racontait cela dans ce podcast). Je me permets donc d’en remettre une couche sur le parallèle entre enseignement et gestion de groupe au sens plus large. Les outils cités ci-après peuvent selon moi servir dans toute organisation, et ce au delà des murs de l’école, — l’étude citée plus bas a d’ailleurs été faite dans divers milieux de vie-. Je serai heureuse à ce titre de recevoir des retours d’expérience sur mes outils adaptés à d’autres contextes.

Si ce thème de l’éducation ferme et bienveillante vous intéresse, je vous conseille aussi la lecture de “La discipline positive” de Jane Nelsen.

2. Les quatre points cardinaux d’un cadre d’apprentissage serein et épanouissant

Au-delà des échanges inter-générationnels inspirants (avec ma famille ou avec d’autres enseignants plus expérimentés), j’ai basé une grande partie de ma pédagogie cette année, sur une étude menée par les chercheurs E.Deci et R.Ryan, qui montre qu’un environnement scolaire est épanouissant à quatre conditions :

  1. il crée un sentiment d’appartenance au groupe
  2. il donne de l’autonomie (à ne pas confondre avec isolement ou délaissement, ici il s’agit de pouvoir aller à son rythme, mais en aucun cas d’être seul)
  3. il développe un sentiment de compétence
  4. il permet de trouver du sens à ce que l’on fait.

Le postulat de départ de cette étude étant que la motivation intrinsèque est plus saine et plus fructueuse dans l’apprentissage que la motivation extrinsèque, fragile et dépendante du regard extérieur, et que tout enseignant ambitieux pour ses élèves doit donc avant tout chercher à permettre aux élèves de développer leur estime d’eux-même à travers l’apprentissage.

Appartenance, Autonomie, Compétence, Sens ont ainsi été les quatre points cardinaux de mon année et devraient selon moi être la boussole de tout enseignant ou chef d’équipe. Car c’est un peu ça enseigner : être le chef d’équipe qui marche devant avec une lanterne pour emmener les autres explorer de nouveaux territoires.

Pour créer un cadre favorisant l’appartenance, l’autonomie, la compétence et le sens, et à travers cela l’estime de soi, j’ai créé au fil des heures de cours, des outils simples et peu coûteux, pour favoriser ces quatre éléments. Tous mes outils sont classés dans ce second article.

N’hésitez pas à m’écrire si vous avez des questions ou à me faire part des expériences que vous en faites, en maths comme dans d’autres matières, à l’Ecole comme dans d’autres milieux de vie. Je serai ravie d’échanger.

Pour me contacter : twitter ou instagram sont des réseaux qui je consulte souvent.

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Coline Serra

Raconte la vraie vie des profs (et des activistes). Parle de politique, de féminisme et de pédagogie.