Crédits photo : David Perrotin

Déconstruire les blagues racistes sur les Asiatiques

Sylvie Ung
5 min readJan 5, 2020

--

Énumérer les blagues racistes les plus courantes à l’égard des Asiatiques ne suffit pas. En 2020, il faut encore expliquer aux responsables que le “ça va, c’est juste pour rigoler” n’est et n’a jamais été valable, que ces blagues ne peuvent être justifiées et qu’elles participent bien à ancrer un cadre raciste qu’il faut déconstruire. Et pour déconstruire, nul besoin de faire appel à des analyses sociologiques ou chercheurs ayant étudié le racisme. Juste à son bon sens et au vécu des personnes concernées.

Les responsables nous traitent de victimes qui s’offusquent pour une mauvaise vanne. Mais je le répète, leurs blagues sont racistes. Et si les personnes concernées les reçoivent comme telles, écoutez-les et acceptez-le. Il suffit de jeter un oeil au thread Twitter ci-dessous ou encore d’aller faire un tour sur le compte Instagram @stop_asiaphobie : les témoignages des victimes relèvent pour beaucoup de moqueries, qui peuvent sembler anodines aux yeux des responsables (et aussi de propos et des actes qui peuvent être littéralement violents).

Pourquoi les blagues sur les Asiatiques (et sur toutes les catégories de personnes racisées en fait) sont racistes ?

  1. Car tout simplement, elles visent une catégorie de personnes dont les contours reposent sur des atraits liés à leur appartenance ethnique ou couleur de peau.
  2. Ces stéréotypes participent à la catégorisation et à la totalisation des Asiatiques. Culture, histoire, patrimoine : les stéréotypes nient la diversité et les spécificités de chaque individu. Non, un Cambodgien n’a rien à voir avec un Vietnamien. Non, tous les Asiatiques n’ont pas les yeux bridés. Non, le chinois n’est pas la langue universelle de l’Asie. Oui, l’Inde est en Asie. Oui, il y a d’autres religions que le bouddhisme en Asie. Pour sortir de ses idées préconçues, il suffit de s’ouvrir à ce qu’en pensent les concerné.e.s. Par exemple, les réponses à ce bomboclaat montrent à quel point l’Asie du Sud-Est est diverse.

Les blagues racistes sont racistes à cause de l’impact qu’elles ont sur les personnes concernées.

Quels phénomènes entraînent les blagues racistes ?

  • Hiérarchisation : la manifestation du racisme anti-asiatique au travers de l’humour tend à faire perdurer l’idée selon laquelle celui-ci serait “moins grave” — voire inexistant — que celui vécu par les autres minorités. Là n’est pas la question. Le racisme, systémique, sous toutes ses formes, est intolérable. Face à la peur de l’altérité et la conviction de la supériorité d’une catégorie de personnes envers les autres, l’enjeu est à la déconstruction et à l’éducation, notamment à la notion d’allié.e.
  • Violence : le cliché selon lequel les Asiatiques sont fortunés mais sans défense a la peau dure. Cette croyance a tout simplement fait des Asiatiques les victimes d’agressions (à Ivry ou à Belleville) ou de braquages répétitifs. Loin d’être des actes individuels isolés, ces violences ciblées visant une communauté bien spécifique reposent sur des préjugés racistes.
  • Invisibilisation et banalisation : les Asiatiques, une communauté qui ne fait pas de vagues. Notre invisibilité est fortement ancrée dans l’imaginaire collectif (mais vous êtes-vous vraiment demandés pourquoi ? Vous êtes-vous dits que les Asiatiques, après avoir fui les horreurs de la guerre au Vietnam ou au Cambodge, ont peut-être juste été reconnaissants et ont saisi leur chance de reconstruire une vie meilleure ailleurs ?). Au point que la presse française ne sait elle-même pas comment traiter et appréhender les phénomènes dont nous sommes victimes. Ni même la police visiblement… qui nient le ciblage volontaire et assumé des Asiatiques par leurs agresseurs, puisque la communauté asiatique d’Aubervilliers est obligée d’assurer elle-même sa protection.
  • Rejet : imaginez un.e gosse qui tous les jours à l’école est appelé “ping pong”, entend le même refrain sur le chien qu’elle mange au dîner, et voit ses petits camarades de classe plisser les yeux. Imaginez ce gosse qui n’a pas encore conscience à six ans que c’est du racisme. Qui veut juste faire partie d’une bande de copains. Et bien en grandissant, cette personne va : intérioriser ce racisme et se laisser faire donc se positionner comme inférieure face à des personnes qui vont continuer toute sa vie à faire les mêmes blagues ; avoir honte de sa propre culture et la rejeter pour pouvoir avoir la paix et s’intégrer à la catégorie dominante.

Le racisme ordinaire se manifeste à l’échelle des individus. Mais cette déconstruction doit aussi s’opérer à l’échelle institutionnelle (médias, entreprises, organes du pouvoir). Il faut que les instances, publiques et privées, arrêtent de banaliser ce racisme. Qu’elles avouent que le racisme est systémique, et que ce n’est pas juste un.e tel.le qui est raciste ! Sans cela, et malgré toute les efforts investis par les minorités, les choses ne bougeront pas assez rapidement.

Le header est une photo de David Perrotin, dont je vous recommande vivement l’article intitulé “«Chintok», «jaune», «bol de riz»… cet omniprésent racisme anti-asiatique”.

--

--

Sylvie Ung

Soif de lecture sur l’information & la communication, les causes sociales & humanitaires. Si c’est beau, intéressant, bien écrit : je prends aussi.