Collectivités locales : principes et idées pour une régulation utile du “freefloating”
Le sujet, qui est en navette entre le Sénat et l’Assemblée nationale via la LOM, devrait encore faire parler de lui lors du Conseil de Paris qui s’ouvre aujourd’hui.
Chez Vraiment Vraiment, nous sommes convaincus que l’apparition, la diffusion et l’appropriation rapides des véhicules freefloat — vélos puis trottinettes — peuvent représenter une opportunité en matière de mobilité douce. Leur déploiement peut également représenter un cauchemar urbain :
- en l’absence de règles, il y a une prime aux opérateurs qui “inondent” l’espace public de leurs véhicules, afin de susciter un maximum d’utilisations et de s’assurer un maximum de visibilité, quelles qu’en soient les conditions ;
- la lutte acharnée que se livrent les opérateurs peut se solder par la survie de celui qui a les reins les plus solides, qui pourrait se retrouver dans une situation monopolistique comparable à celle, dans un autre domaine, d’Airbnb — créant un rapport de force très défavorable ;
- l’absence de règles d’occupation de l’espace public augmente la conflictualité entre les usages de celui-ci, souvent rare (notamment dans les Métropoles) et toujours précieux (y compris dans les villes moyennes).
Un effort de régulation est donc nécessaire et urgent, qui doit articuler plusieurs dimensions pour être réellement efficace — c’est à dire, en matière de régulation de l’innovation : éviter les pires scénarios sans étouffer le développement de modes de déplacement qui sont plus souhaitables que les déplacements motorisés.
Nous proposons ici quelques principes pour une telle régulation, fondés sur nos analyses (voir par exemple “Bye bye Gobee, et merci”) et sur l’étude d’expériences étrangères, dans un contexte où Vraiment Vraiment accompagne la Ville de Paris dans la conception de nouvelles modalités de stationnement de ces véhicules freefloat (VV lauréat de l’accélérateur de projet urbain FAIRE PARIS 2018).
1. Exiger les données.
Pour bien réguler, il est indispensable de bien comprendre les usages de ces nouveaux modes de déplacement. Pour les collectivités locales, cela passe par la capacité à récupérer et analyser en temps réel les données fines des opérateurs.
Le freefloat est un objet qui exploite l’espace public, sur lequel les acteurs publics sont souverains. Davantage que pour Airbnb, qui opère sur du foncier privé, les collectivités locales sont donc légitimes à réclamer les données des opérateurs, et disposent de leviers potentiellement très efficaces (retrait du matériel, amendes, interdiction d’opérer, etc.). Dans le contexte d’une opinion publique rétive et de services qui ne sont pas encore ancrés dans le quotidien des habitants, le rapport de force permet encore d’exiger de telles conditions — pas forcément pour très longtemps. Des collectivités américaines et d’autres pays européens exigent, comme pré-requis à l’accès à l’espace public, l’accès en temps réel aux données des véhicules, de trajet (arrivée / départ / distance / temps), état et âge du véhicule, etc. Autant d’indices nécessaires pour comprendre l’utilité publique de ces véhicules et qui permet d’effectuer des réels évaluations et audit de ces mobilités. Nous conseillons le format d’API MDS qui structure les données récoltées par les collectivités et leur permet de s’unir pour mieux les exiger.
2. Limiter le nombre de véhicules.
Il n’y a aucune bonne raison de laisser le nombre de véhicule par opérateur (et total) à la discrétion de ceux-ci, dans un contexte où certains opérateurs peuvent — et veulent — inonder la ville de véhicules, afin d’étouffer la concurrence en créant de la notoriété et de l’usage. Le système de redevance parisien devrait tempérer partiellement l’inflation, mais il nous paraît important d’aller rapidement vers un système de licence, tel qu’il porte ses fruits aux Etats Unis et qu’il devrait être permis par la loi LOM.
3. Piloter de façon dynamique le nombre de véhicules par opérateurs en le conditionnant à une mobilité réellement partagée.
Il est possible d’octroyer des licenses avec des nombres de véhicule dynamique en fonction d’objectifs donné par la collectivité : déploiement dans les quartiers mal desservis, désengorgement lors des pics pendulaires etc.
Dans un contexte de métropole européenne dense, ou l’espace public est rare, le ratio utilisation / jour / véhicule est un excellent indicateur pour piloter le nombre de véhicules maximal autorisé par opérateur. Un tel indicateur permet d’assurer que la promesse d’une mobilité partagée est bien tenue, optimisant les m2 d’occupation de l’espace publique. Son utilisation pour plafonner les opérateurs empêche par ailleurs les stratégies de “flooding” (inondation) à perte qui pourrait tenter certains opérateurs souhaitant s’assurer un monopole.
Plusieurs collectivités américaines (en avance sur ces modes de régulations) organisent l’ensemble de leur régulation sur cet indication, selon une dynamique agile permettant d’ assurer une croissance saine du secteur. Par exemple, si l’opérateur X prouve l’usage intensif de ses véhicules (> 5 usages/ jour / véhicule), sa flotte de 1000 véhicules peut augmenter. Si son taux d’usage tombe en dessous de 4, sa flotte diminue.
4. Imaginer un mode de régulation dynamique et apprenant.
Les outils et règles de régulation méritent d’être révisés chaque année, tant ces micro-mobilités sont aujourd’hui trop peu connues pour fixer des règles au long cours. Les villes américaines et européennes se sont donné des périodes de 6 à 18 mois.
5. Penser l’équilibre des territoires à l’échelle du Grand Paris.
Il serait dangereux, dans la précipitation, de réguler “pour les 4 arrondissements centraux de Paris”, alors que l’enjeu sera rapidement métropolitain. Sans aller jusqu’à exiger des opérateurs une posture de service public, via la couverture homogène des territoires du Grand Paris, des leviers peuvent inciter les opérateurs à se développer y compris dans les zones aujourd’hui moins demandeuses / rentables.
Portland vient de proposer aux opérateurs un système de redevance pondérée par leur effort d’irrigation des territoires les plus éloignés du centre.
6. Collaborer avec les autres villes.
Les collectivités locales doivent se coordonner pour forcer les opérateurs à l’utilisation et au partage de formats homogènes de données.
Le format MDS a fait ses preuves et se généralise actuellement aux Etats-Unis. Publié dans un format ouvert, crée par des collectivités, il intègre “à la source” les enjeux d’intérêt général et est déjà connu de la plupart des opérateurs privés qui ont développé dessus leurs outils de collaboration avec les villes. Cela leur évite de créer un nouvel outil de partage de données “sur mesure” qui peuvent être des freins fort à la collaboration.
L’enjeu est d’autant plus fort que le système de gestion parisien doit avoir une robustesse qui permet aux communes limitrophes de s’y greffer et donc d’être compatible à très court terme.
7. Introduire des critères environnementaux et sociaux dans les outils de régulation.
La présence et l’activité des opérateurs ayant des externalités forte sur la ville, il appartient aux collectivités locales de regarder certains critères, comme le cycle de vie des véhicules, les formes de contractualisation qu’ont les opérateurs avec leurs prestataires, l’accrochage des engins, leur stabilité, les types de véhicules utilisés pour les dispatcher (véhicule utilitaire diesel Vs.vélo cargo, par exemple) et d’en tenir compte dans leurs efforts de régulation.