Les SDF, ces points de magie de ma vie

Claire Monfort
Nouvelles Portes.
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6 min readMay 17, 2020

Partie #2

Suite à mon premier article ici : (Lien) vous reprendriez bien un peu de magie? Au moins pour le simple fait de se dire que ce n’est pas rare…

Pourtant, ça commençait bien. Je revenais des 30 ans d’Alexis, le rythme des rails me berçait et le soleil me réchauffait. C’était doux. Mais voilà, le paysage qui défilait sous mes yeux eut pour effet d’ouvrir mes oeillères et je me pris la réalité en pleine face.

*C’était fini avec Quentin.

Son silence m’est apparu comme une évidence et avec violence. Extérieurement rien avait bougé, pas même une mèche de cheveux, j’étais toujours cette fille qui regardait par la fenêtre du train. Mais intérieurement, mon monde venait de s’écrouler et mon histoire de 5 ans venait de s’envoler. Fini l’amour, finie la complicité, finis nos futurs projets. Fini. Ce qui m’était le plus cher venait de se fracasser dans le silence le plus total.

*Pas pleurer. Tenir bon. Pas pleurer.

Ça pourrait presque être un fait banal si la perte des gens qu’on aime n’était pas la tragédie ordinaire et la plus destructrice que je connaisse. J’étais toujours impassible, silencieuse, mais abimée, mes yeux coulaient sans que je puisse les contrôler.

*Pas s’effondrer, c’est trop dur de se relever. Pas s’effondrer.

A la sortie du train, je suis prise dans le mouvement de la gare Saint-Lazare, ça dégueule de personnes pressées, agacées, on se bouscule… je descends vers le métro les joues mouillées où je me prends en pleine face une marée humaine et j’avais beau chialer au milieu d’une foule, personne ne réagissait, personne ne me voyait. C’est ça, la solitude du monde. Pourtant j’avais l’habitude de cette danse, je la connaissais par cœur, mais ce jour-là, abattue par mon chagrin tout me semblait si absurde si dénué de sens... Certes, je n’allais pas bien, mais il m’apparut clairement qu’aucun d’entre nous n’allait bien. Et ma tristesse se transformait en colère voire en rage, intérieurement je hurlais.

En étant dans les artères sombres et sales du métro, j’étais au cœur du cancer parisien. Tous pressés, tous insensibilisés, tous aveugles. Marche ou crève. Nous sommes semblables à des zombies à moitié vivants comme à moitié morts. Le monde est devenu fou, tellement automatisé qu’il est devenu comme une dalle de béton, aucune lueur flamboyante ne sort de ces profondeurs jusqu’à :

“*_Vous allez bien Mademoiselle ?”

“_Hein ? Heu … Oui oui ... Merci.” Embarquée par ce flot, mon premier réflexe eut été de continuer mon chemin…

“_Vous êtes sûre ?”

*Réveille-toi Claire, c’est ce que tu attendais du monde

_En fait …

“Venez, on va se poser sur un banc.”

Évidemment…

Qui contemple?

Qui a du temps ?

Qui regarde ce qui se passe autour de lui ?

Je me souviens de ce moment lent et réconfortant où il me sortit de cette marée noire, lui et son gros caddie, pour me ramener vers la lumière sur un petit banc vert en dessous d’un dôme. Il ne posa aucune aucune question et me proposa de me prendre dans ses bras.

Je tenais une distance, un peu surprise, un peu gênée, un peu farouche, on ne se connaissait pas, mais voilà… Il y a ça de bien dans les gares, ce sont ces pianos en libre service. Et à ce moment-là quelqu’un s’en empara et se mit à jouer ce morceau :

J’abdiquai.

La peine m’envahit et je m’effondre dans ses bras. Mon mur se déconstruit et un torrent de larmes s’écoula sur son épaule. Je crois que je n’ai jamais autant pleuré de ma vie. Plus de barrières, je pleure, je crie, je suis libre d’être fatiguée, libre d’être affaiblie. Tout était mouillé, tout se mélangeait, la musique, le vide , les larmes, on se serrait fort. C’était joli. Un de ces moments où la réalité est plus belle que la fiction. Je crois qu’on nous regardait, qu’on questionnait les passants… je m’en fichais... J’avais peur de l’avenir, mais quelque part entre son manteau râpeux et son souffle lent j’avais trouvé un apaisement et du courage pour la suite.

En reprenant mes esprits, je me suis sentie ridicule, lui n’avait rien et c’était moi qui pleurais, c’était bien le comble du film : “Pauvre petite fille riche, que peut-elle savoir du malheur?”, mais en réalité on se comprenait, les coeurs malheureux sont communs à l’homme.

Avant que je parte, son dernier petit geste envers moi me toucha au cœur. Il fouilla dans son énorme caddie d’Alibaba et en sortit un petit sachet en plastique, celui qu’on trouve dans les restaurants, renfermant une fourchette, un couteau et une cuillère, et me tendit la petite serviette blanche pour sécher mes larmes. On resta un moment assis sur le banc sans parler. Il n’y avait rien à dire sauf : Merci.

Rien n’était plus touchant que cette épaule offerte, sortie de nulle part, où mon cœur put y trouver asile un instant, afin de retrouver des forces pour avancer. Parfois on n’a pas besoin de mots, on a besoin que quelqu’un nous sert dans ses bras. Ça n’était pas une amie, ça n’était pas ma mère, c’était un SDF et il me permis de réaliser que quoi qu’il arrive, ça ira bien.

*Au royaume du cynisme, souviens-toi d’aimer

Je n’ai pas envie d’être de ceux qui disent que ça serait quand même mieux qu’on leur offre un toit et à manger. Oui, ça serait mieux. Mais d’autres le font déjà et mieux que moi. Par contre je veux bien être de celles qui disent que ça serait bien qu’on leur offre un regard et un sourire.

L’avantage d’avoir grandi dans une ville de punks à chien est que j’y ai appris quelque leçons notamment une que j’applique au quotidien

A choisir entre une pièce et un sourire, choisissez toujours le sourire, il a plus de valeur.

La plus grande souffrance est de se sentir seul, sans amour, rejeté de tous et invisible. On n’existe qu’à travers le regard de l’autre et pour moi, la maladie la plus mortelle, la plus violente, la plus sourde et la plus admise sur laquelle je m’indigne est l’indifférence. Il faut se sourire, se parler, s’écouter, s’aimer, partager, c’est ça se connecter à notre part d’humanité.

“L’enfer c’est -pas- les autres”, l’enfer c’est d’être coupé des autres. Selon moi, le bonheur réside dans les liens.

Pas besoin de faire de grandes choses, l’indifférence n’a pas besoin d’argent pour être guérie. Je peux vous donner ma méthode elle est simple et peut même se résumer par une formule mathématique :

Dans une équation variable à de nombreuses inconnues, les éléments entre parenthèses sont à traiter en priorité, et dans ma parenthèse à deux inconnues, j’y additionne un regard + un sourire + “un désolée je n’ai rien, mais bon courage et bonne journée”. Le résultat final sera, certes, aléatoire, mais à forte probabilité positive. Vous me suivez ? Bref, il n’y a pas besoin qu’on vienne vous taxer pour se regarder, se sourire où se parler.

Croyez moi, la vie est plus belle que la prudence, la misère n’est pas dans la rue, la misère est dans l’insensibilité et c’est en se laissant toucher de l’intérieur que la magie peut opérer.

Alors, rallumons nos torches et dans Paris, soyons les lumières.

Pause musicale

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