Ça ressemblait pas à Star Wars

Le truc avec les vidéos type “dans la tête d’une ou un autiste”, même si elles font une partie intéressante du boulot d’explication, c’est qu’elles peuvent laisser croire que c’est systématiquement un festival de science fiction au quotidien pour toute personne concernée… C’est ce que je pensais, avant de découvrir que l’autisme existe également dans “d’autres salles, autres ambiances”. Je vais te raconter un peu celle que je fréquente.

Oli CLEMENT
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5 min readApr 28, 2021

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Portrait en noir et blanc d’une personne portant un masque de protection pour travaux et des lunettes de soleil.
Ça non plus, ça ressemble pas trop à Star Wars même si on a essayé. Crédit : Oli CLEMENT

Dans ma tête, l’espace public animé, c’était plutôt un croisement entre :

  • un hall de gare qui déborde d’odeurs et de mouvements
  • des gens qui grouillent de partout, s’approchent trop, bousculent
  • un marché où des gens sous acide braillent comme des putois
  • Guernica

Bref, jusque récemment, le quotidien m’épuisait, mais la conclusion était simple : ça ressemblait pas Star Wars*, donc j’étais pas autiste.

Le point de rupture, c’est, je pense, cette implosion sur une mission professionnelle toxique.

Je ne reviens pas sur l’angoisse des trajets maintenant, parce que ce serait comme me fouetter sous la douche avec des barbelés électrifiés.

À cette époque, mon astuce de survie consistait à filer dans l’IKEA tout proche au moment des pauses déj. : un canapé moelleux peut, mieux que n’importe qui ou quoi au monde, envelopper d’amour le désespoir contenu dans chaque cellule d’un corps à la fois vide et trop plein.

Hélas, ça n’a pas suffi. D’un commun désaccord, le client et moi avons décidé d’arrêter là.

Disloquée par la rage, le stress et l’épuisement, j’ai affronté une fois encore l’odyssée “rues bondées sous la canicule, bus, métro, train, tram ”, soulagée à l’idée que ce serait la dernière. Et tout autant catastrophée de me retrouver sans boulot au pire moment de l’année : le milieu de l’été, quand les clients et employeurs sont au soleil.

Arrivée chez moi, j’ouvre l’Oracle en ligne. Dans la barre de recherche, je saisis les mots-clés correspondant aux pires défauts qu’on a pu m’attribuer aussi loin que je me souvienne et je me souviens très loin. Et nettement. De quoi remuer des fosses à purin abyssales. Scato-spéléogie ou m’effondrer totalement, j’appelle pas ça un choix, alors je fonce.

Dès les premières requêtes, les articles évoquent les Troubles du Spectre Autistique (TSA). J’investigue plus large, parce que je suis pas autiste : dans ma tête, ça ressemble pas à Star Wars*.

Or, sans cesse, je tombe sur des témoignages d’autistes :

• filles
• diagnostiquées sur le tard
• plutôt sociables
• tendance moulin à parole
• avec particularités sensorielles en écho aux miennes
• aussi médiocres que compétentes selon les domaines
• qui rencontrent, à un certain point, un dépassement des capacités d’adaptation.

OK, peut-être. L’hypothèse vient s’installer en tâtonnant.
Oui, mais je vois pas des lasers* quand je fais mes courses. Donc non.

Mais quand même, c’est vrai que : je pige pas des tas de sous-entendus, que ceux que les gens m’attribuent me semblent fantaisistes. Que j’ai manqué de me faire casser la gueule pour ça (aujourd’hui, j’en rigole). Que je suis monocorde quand je ne me plante pas sur les intonations.
Oui, non, un peu. Non.

Ça a duré une année, durant laquelle les compétences adaptatives ne sont pas revenues.

Désormais, quand la surcharge sensorielle m’écrase, en magasin, par exemple, je ne parviens plus à donner le change : si quelqu’un m’adresse la parole, j’entends des mots mais leur sens m’est difficilement accessible, mon élocution me lâche aussi. Dans ces moments, je ressemble d’abord à un chihuahua lors d’une soirée feux d’artifices, puis à un poisson rouge neurasthénique.

Au début, je me suis débattue pour rassurer les gens autour. Ça fonctionnait moyen, ça m’épuisait beaucoup. J’ai fini par accepter ce phénomène qu’on appelle “shut down”.

L’astuce : une formule toute faite, avec un sourire, pour qu’on me laisse tranquille : “J’ai besoin de 5 minutes pour récupérer. Tout va bien.” Après ce temps, je peux repartir doucement, payer et rentrer chez moi.

« Nan mais t’sais, les étiquettes, on s’en fout. »

J’ai passé les tests, on a les résultats. Les Troubles du Spectre Autistique sont là et contrairement à ce que je pensais, pas qu’un peu. Ils viennent enrichir ma collection Troubles du Neuro-Développement (TND) où figure déjà l’illustre Trouble du Déficit de L’Attention avec Hyperactivité (TDAH). Dommage qu’on ne puisse pas faire des échanges comme avec les petites images autocollantes de quand on était mômes : “File ta dyslexie et prends mon autisme, ça s’accordera mieux à nos jobs respectifs !”

Alors tu vas me dire “T’as pas l’air autiste (mais c’que t’es bizarre)”. C’est normal, déjà parce qu’il n’y a pas “d’air autiste”. Mais aussi parce que quand on te dit que t’es étrange dès la maternelle, si tu entrevois la possibilité de t’intégrer, surtout quand t’es une fille, tu fonces : tu observes, tu imites, tu notes mentalement ce qui fonctionne ou pas et tu ajustes sans cesse ton comportement en fonction. Spoiler alert : ça ne marche jamais totalement.

Cette étiquette m’est précieuse et me permet déjà d’ajuster certaines choses à ma hauteur. Elle m’explicite un peu le monde, ce mystère. Elle va me donner accès à une prise en charge pour que ça se passe mieux, peut-être.

Avec elle, ce qui change, c’est que je sais maintenant que ce n’est pas un manque de volonté. Je réalise combien je fais preuve de validisme rien qu’à mon égard et je veux déconstruire ça.

L’étiquette n’est pas une case, elle n’enferme pas. Elle donne, en revanche, les infos cruciales qui peuvent éviter de se bousiller, ou aider à se réparer. Mon regret, c’est qu’elle ait été posée après toute cette érosion inutile. Ma chance, c’est qu’elle soit maintenant là. Bien entendu que ça ne va pas tout régler. Mais comprendre les choses, c’est déjà une avancée monumentale dans mon cerveau.

*Sauf en soirée si y’a des projos, des stroboscopes et des fumigènes : là, direct, je suis défoncée. Mais je passe pas ma vie à faire la night, alors ça compte pas.

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Oli CLEMENT
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Accompagnement au changement par l’innovation numérique, sociale et organisationnelle. Neurodivergence, inclusion, tout ça. Aime beaucoup lire et un peu écrire.