[Synthèse] La « décennie critique » : comment rester optimiste selon C. Figueres et T. Rivett-Carnac

Alice Duvivier
Alternative Builders
9 min readApr 1, 2021

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Introduction

« The Future We Choose : Surviving the Climate Crisis » est un essai co-écrit en 2020 par Christina Figueres & Tom Rivett-Carnac, qui y présentent un plan d’action pour faire face à la « décennie critique ».

Source : Riot Communications

De quoi s’agit-il ? Dans leur ouvrage (traduit en français par « Inventons Notre Avenir », paru ce 31 mars aux éditions Albin Michel), les auteurs reviennent sur les conséquences terribles d’un dérèglement climatique incontrôlé, qui nous mettent face à un moment charnière de notre histoire. Mais leur énoncé ne s’arrête pas à une conclusion catastrophiste, et cherche plutôt les voies de changement pour s’extirper de cette situation. (1)

Leurs propositions s’appuient sur des modes d’action aussi bien au niveau individuel qu’au niveau politique et économique, et donnent à voir une vision engageante et optimiste. Dans ce premier article (un second sera proposé sur les conclusions du livre), nous revenons sur les concepts-clés de leur réflexion et le contexte particulier de leur écriture.

Avant toute chose, une petite présentation :

  • Christiana Figueres est une diplomate Costa-Ricaine, qui a occupé de 2010 à 2016 le poste de secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC), puis a été négociatrice pour l’UN entre autres lors du sommet de l’Accord de Paris.
  • Tom Rivett-Carnac est lobbyiste politique pour la CNUCC, et a été en quelque sorte recruté par Christiana Figueres pour l’aider lors des négociations de la COP21.

La contribution du binôme au succès de l’Accord de Paris de 2015 est ainsi indiscutable, et leur expérience montre une maîtrise certaine des ressorts politiques concernant l’action face au dérèglement climatique et au déclin de la biodiversité.

Qu’est-ce que la « décennie critique » ? Définition de l’anthropocène et de la « grande accélération »

« Les chercheurs divisent l’histoire de notre planète en époques, comme le pléistocène, le policène, et le miocène. Officiellement, nous sommes dans l’holocène. Mais, pour désigner les soixante-dix mille dernières années, mieux vaut sans doute parler d’anthropocène — l’époque de l’humanité. Au fil de ces millénaires, en effet, Homo Sapiens est devenu de loin l’agent de changement le plus important de l’écologie mondiale. » (Yuval Noah Harari, Homo Deus (2))

Comme le suggère Yuval Noah Harari, on peut distinguer aujourd’hui « l’Anthropocène », une période géologique qui se distingue radicalement des autres ères naturelles par le simple fait que l’empreinte de l’Homme est maintenant décelable à l’échelle planétaire : extinction massive de la biodiversité, pollution plastique, hauts niveaux de nitrogène et de phosphate provenant des fertilisants artificiels dans les sols, déforestation… La liste est longue. (3)

Cette période viendrait juste après l’ère appelée Holocène, un âge interglaciaire prospère pour le vivant. La date de fin de cet âge est en fait très discutable et discutée : avènement de l’agriculture, révolution Industrielle, début de l’ère nucléaire (4)… Certains, dont Christiana Figueres fait partie, considèrent que la rupture prend place dans les années 50–60 à l’issue de la Grande Accélération.

Sous l’Anthropocène, la trajectoire de notre « Système Terre » n’est plus régulée par les forces de la nature mais bien par celles de l’Homme, et la machine devient donc incontrôlable.

L’impact de l’anthropisation est suivi et évalué par divers paramètres, répartis en indicateurs de tendances socio-économiques et indicateurs de tendance pour le « Système Terre ». Ces paramètres sont définis entre autres par le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) et l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services).

Ces indicateurs permettent de témoigner d’une « Grande Accélération », qui débute au XXème siècle et plus particulièrement à la fin de la seconde guerre mondiale, comme on peut l’observer sur la figure suivante, avec à gauche les indicateurs socio-économiques et à droite ceux du « Système Terre » (5).

Steffen, W., W. Broadgate, L. Deutsch, O. Gaffney, C. Ludwig. 2015. The trajectory of the Anthropocene: The great acceleration.

Depuis la fin du XXème siècle, la relation que l’humanité a avec la nature est ainsi déséquilibrée, et certaines des « limites planétaires » sont dépassées (à ce sujet nous vous invitons à lire notre article : La Théorie du Donut, une recette innovante pour la justice environnementale et sociale (6)). Les collapsologues tablent sur un effondrement inévitable en conséquence de cette accélération.

« This is the decisive decade in the history of humankind » Christiana Figueres (7)

A la lumière de ces évolutions, nous entrons aujourd’hui dans une « décennie critique ». Les auteurs insistent sur l’idée que ces 10 prochaines années nous offrent une opportunité unique pour reprendre le contrôle.

Il s’agit certes d’une responsabilité, mais les auteurs préfèrent le voir également comme une opportunité partagée. En tant que bâtisseurs et concepteurs de villes, nous avons un rôle critique à jouer pour atteindre la neutralité en besoin énergétique de tous les bâtiments à l’horizon 2050 et s’aligner avec les objectifs de réduction tous secteurs confondus. Ce rôle est d’autant plus important que la démographie augmente de manière exponentielle. C’est l’opportunité de réinventer nos pratiques constructives. (8)

Quels sont les leviers d’action ?

Individus : quel état d’esprit face à l’effondrement

Face à la complexité de la situation, deux postures s’imposent à nous en tant qu’ êtres humains : se sentir concerné et se questionner, ou choisir de se déclarer impuissant. Dans la première situation, la prise de conscience peut être douloureuse et un réel sentiment de deuil peut s’installer, identifié par les théories de la collapsologie (9).

Figure de Matthier Vanniel, facilitateur graphique, termes issus de l’ouvrage « Comment tout pourrait s’effondrer » de Pablo Servigne & Raphaël Stevns

Christiana Figueres et Tom Rivett-Carnac proposent différents états d’esprit pour se sortir de cette spirale négative et pouvoir aller de l’avant. Dans leur réflexion, il est en effet essentiel de parvenir à un état d’esprit commun face au rôle de l’homme dans les désastres écologiques, afin de pouvoir agir collectivement.

Après avoir proposé ces états d’esprits que nous vous présenterons dans le prochain article, le livre décrit les actions à mettre en place individuellement et collectivement dans la décennie. Les auteurs affichent ainsi leur ambition de construire une vision partagée entre tous les pays et une route convenue pour y parvenir. Cette « vision partagée » passe notamment par la conclusion d’accords internationaux.

Politiques et économiques : quels leviers pour les accords internationaux

Le sommet de Copenhague sur le climat de 2009, supposé aboutir sur un commun accord avec des engagements chiffrés, a abouti sur un bilan très décevant. Entre refus de signature, échec de définir des objectifs chiffrés, tensions et confusions dans les négociations, cette édition ne présageait que peu de succès internationaux pour le futur. (10)

Les accords de Paris se présentaient donc comme un défi monumental et exceptionnel de réunir 195 pays sous une voie unanime. L’objectif fut d’adopter un cadre défini et partagé pour lutter contre le dérèglement climatique et l’extinction de la biodiversité.

Au moment de la phase de préparation, l’espoir d’un accord se dessinait et la barre devait être placée très haut pour cette occasion historique : « we can’t settle for what is good, we have to push for what is necessary, and what is necessary is defined by science”, dit Christiana Figueres en revenant sur ces préparatifs. (11)

Pour préparer le terrain et pousser les pays à trouver leurs comptes dans l’accord, Christiana Figueres alla chercher un binôme pour dépasser les frontières de la diplomatie, pousser l’accord et le rendre plus ambitieux. Tom Rivett-Carnac se joignit donc dans l’ombre à Christiana Figueres, avec pour rôle d’identifier et de mobiliser des leviers de persuasion, afin de faire basculer les pays hésitants lorsque les approches diplomatiques ne seraient pas fructueuses.

« I built a network of hundreds of thousands of companies, people, religions leaders, business leaders, investors, and others, and we would utilize this network to help the diplomatic process be more effective and encourage national leaders that this was the moment for leadership”. (Tom Rivett-Carnac (11))

Grâce à cette mobilisation sans précédent, les Accords de Paris posent les jalons d’un premier cadre international. L’infographie suivante, réalisée par l’AFP (12), résume les points clés de l’Accord de Paris

Iris Royer De Vericourt, Simon Malfatto. Accord sur le climat : les points clés.

L’hiver 2021 verra se dérouler la COP26 qui se tiendra à Glasgow. Cette COP n’aura pas d’issue négociée : chaque pays devra présenter son plan national pour atteindre l’objectif « net zero » à l’horizon 2050. Ce mécanisme sera reproduit tous les 5 ans, l’idée étant que les pays arrivent avec des plans toujours plus ambitieux.

Christiana Figueres et Tom Rivett-Carnac soutiennent que la transition ne se fera pas si elle n’est pas déclinée au niveau national, autrement dit si chaque pays ne comprend pas l’intérêt d’un tel changement, aussi bien pour l’économie du pays que pour la santé de ses habitants.

Ces efforts étant par ailleurs opérés dans une situation aussi complexe qu’urgente, ils doivent être soutenus par des actes de désobéissance civile : comme le rappelle le livre, il a été montré historiquement qu’il ne faut une mobilisation que de 3,5% de la population pour amener à un changement significatif.

Les accords internationaux auxquels croient fermement Christiana Figueres et Tom Rivett-Carnac sont donc des paliers essentiels de la transition, mais ils reposent comme on le voit sur un engagement décliné à tous les échelons de la société.

Les auteurs concluent donc sur la nécessité de propager une vision optimiste et non catastrophiste de cette transition, qui seule permettrait de fédérer et d’inclure le plus grand nombre.

Global Optimism

Il s’agit donc maintenant de changer nos récits et de proposer de nouveaux imaginaires optimistes pour créer de l’engagement aussi bien à l’échelle des décideurs qu’à celle des citoyens. C’est dans cette optique que Christiana Figueres et Tom-Rivett Carnac créent le mouvement « Global Optimism », guidé par un état d’esprit de détermination face à des changement systémiques complexes.

Leur vision est portée par le livre et relayée par leur podcast hebdomadaire « Outrage + Optimism » et leurs blogs. En attendant notre prochain article plus détaillé sur leurs propositions, nous vous invitons à aller consulter ces ressources. (13)

Bibliographie

  1. Damian Carrington. Christiana Figueres on the climate emergency: ‘This is the decade and we are the generation’ | Christiana Figueres | The Guardian. 15 Février 2020 (consulté le 31/03/2020)
  2. Yuval Noah Harari. Traducteur : Pierre-Emmanuel Dauzat. Homo Deus, Une brève histoire du futur. (2015) Ed Albin Michel, 427p.
  3. Damian Carrington. The Anthropocene epoch: scientists declare dawn of human-influenced age | Geology | The Guardian. 29 août 2016 (consulté le 31/03/2020)
  4. Smithsonian Institution. The Age of Humans: Evolutionary Perspectives on the Anthropocene | The Smithsonian Institution’s Human Origins Program (si.edu) (consulté le 31/03/2020)
  5. Steffen, W., W. Broadgate, L. Deutsch, O. Gaffney, C. Ludwig. 2015. The trajectory of the Anthropocene: The great acceleration. The Anthropocene Review 2: 81–98. The trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration — Will Steffen, Wendy Broadgate, Lisa Deutsch, Owen Gaffney, Cornelia Ludwig, 2015 (sagepub.com)
  6. Alexandra Van Milink, Carrick Reddin. La Théorie du Donut, une recette innovante pour la justice environnementale et sociale | by Alexandra van Milink | Alternative Builders | Mar, 2021 | Medium. 23 mars 2021 (consulté le 31/03/2021)
  7. Christiana Figueres. TED. The case for stubborn optimism on climate | Christiana Figueres — YouTube (consulté le 31/03/2021)
  8. Jared Green. Christiana Figueres: A Net-Zero Future Is Now Under Construction | ArchDaily 2 décembre 2020 (consulté le 31/03/2020)
  9. Figure de Matthier Vanniel, facilitateur graphique, termes issus de l’ouvrage « Comment tout pourrait s’effondrer » de Pablo Servigne & Raphaël Stevns, édition Seuil Collapsologie & courbe de deuil — présages (presages.fr) (consulté le 31/03/2020)
  10. Le Monde. Le bilan décevant du sommet de Copenhague (lemonde.fr) 19 décembre 2009 (consulté le 31/03/2020)
  11. Christiana Figueres, Tom Rivett-Carnac, Sue Pritchard. RSA. The Future We Choose | Christiana Figueres | RSA Replay — YouTube (consulté le 31/03/2021)
  12. Iris Royer De Vericourt, Simon Malfatto. Accord sur le climat : les points clés. Accord de Paris sur le climat: les engagements des pays — Sciences et Avenir AFP. 8 mai 2017
  13. Global Optimism. Global Optimism (consulté le 31/03/2021)

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