#001 Portrait // Titi McCoy

TitiMcCoy
ART ENGAGÉ
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6 min readMar 13, 2021

L’art est arrivé dans ma vie par accident, et a fini par devenir une évidence.

En 2016, alors que je cherchais à faire de la publicité pour mon entreprise de livraison de plats, je passais des dimanches entiers à gribouiller des dessins que j’offrais à mes partenaires restaurateurs en vue de nous promouvoir. Entre pizzas volantes et cartoons japonais réinventés, ma créativité ne se permettait aucune limite, pour le meilleur ou pour le pire. En 2017, lorsque mon entreprise devait exposer ses produits dans un pop-up shop (boutique temporaire), je proposais alors aux gérantes de vendre les dessins d’un “artiste que je connaissais” dans cette boutique pour financer notre exposition temporaire. Cet artiste, c’était moi, mais je n’osais pas le dire, car je n’avais jamais rien vendu auparavant. Deux jours après le début de l’exposition, mes 4 dessins étaient tous partis (en voilà un). C’était le début de l’aventure: j’allais me créer un porfolio avec un nom d’artiste tout sauf sérieux, car tout cela n’était pas sérieux, après tout…

Mes premiers pas dans l’art étaient ceux que suit un “débutant rigoureux”, pour le qualifier de la sorte. Je m’attelais à garder cette pratique, car elle me transcendait et me permettait d’explorer ma créativité. Des feutres pigma au graphite, de l’aquarelle à l’acrylique, je ne me mettais pas de barrière. Sans pouvoir me l’expliquer, j’étais attiré par la simplicité et le rendu du noir et du blanc.

Quatre ans plus tard, après quelques murales, un passage à l’Académie des Beaux-Arts de Montréal grâce à une rencontre qui allait tout changer avec Eberhard Froehlich, et une poignée collaborations réalisées, je comprends mieux le sens des mots que m’a prononcés un ami, Bhaskar Goswami, un jour à Montréal:

Là où ton attention va, ton énergie devient fluide. Et là où ton énergie est fluide, les résultats apparaissent (traduit de l’anglais)

Il fallait tout simplement commencer quelque part, et ne jamais lâcher ni le crayon ni le pinceau. La route reste longue, mais ce regard furtif dans mon rétroviseur me rappelle à quel point l’artiste, contrairement aux idées reçues, doit être discipliné dans sa pratique.

Première Murale réalisée au bar La Cale (Montréal), Septembre 2019

L’artiste et la société

L’artiste, au 21e siècle, occupe à mes yeux une place centrale dans la société. Nos contemporains comprennent aujourd’hui, en majeure partie, le monde sous deux prismes:

  • Le Bien, c’est-à-dire un jugement moral envers les faits de société, mais aussi au sein de sa propre communauté, de sa propre famille, de sa propre individualité. L’héritage, je l’imagine, de nos systèmes religieux;
  • Le Vrai, quoiqu’il implique, car il semble toujours y avoir une façon, aussi scientifique soit-elle, de faire entendre son point. L’héritage, certainement, de notre passé industriel;

Cependant, comme j’ai pu longuement en débattre avec mon ami et inspiration Jimmy Ung, il me semble que nous avons laissé de côté une composante indispensable à l’équilibre de nos sociétés et de nos individualités: Le Beau.

À la différence des deux prismes précédents, le Beau est subjectif. Il procure une expérience agréable, faisant appel à nos sens, et nous rend vivants.

C’est justement là qu’intervient l’artiste. Alors que nos institutions (gouvernements, religions, médias, universités, etc.) ne nous laissent le choix de comprendre le monde que sous l’angle de ces deux premiers prismes, l’artiste vient ouvrir un canal unique.

Plusieurs études en neuroscience nous ont prouvé que l’art nous connecte à “quelque chose de plus grand”, et je suis convaincu que c’est bien de cela que notre société a besoin aujourd’hui. Nous transcender, nous faire prendre un pas de recul, et colorier notre univers.

L’artiste, en somme, porte en lui la responsabilité de changer le paradigme établi, si bien sûr il en voit l’intérêt. Aujourd’hui, je ne me vois pas faire autre chose que d’agir en ce sens.

Œuvre communautaire réalisée en soutien des cafés de quartier Montréalais considérés comme “non essentiels”, Mars 2021

Ma démarche artistique

Les artistes qui m’ont le plus inspiré à ce jour sont ceux qui portaient un message plus grand qu’eux et qui, à force de répétition, finissaient par susciter des prises de conscience massives. Les plus connus d’entre eux sont probablement Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Frida Kahlo et, bien sûr, Banksy.

Montréal, ville d’artistes, m’a aussi plongé dans ce bain. Pour ne prendre qu’un exemple, je trouve incroyable la puissance des artistes autochtones qui défendent la colonisation subie depuis près de 500 ans.

Comme je le disais plus haut, le blanc et le noir ont longtemps suscité ma curiosité artistique. Lorsque j’ai cherché, pour la première fois, à mettre des mots sur ma “démarche”, je découvrais que ce duo de couleurs allait être un atout pour moi. Le noir et le blanc sont des références souvent utilisées pour qualifier un trait d’esprit rationnel, cartésien, binaire. Et c’est justement le point de départ de ma réflexion: la mise en évidence de l’industrialisation de l’esprit de l’homme et ses conséquences sur son environnement.

En perdant ses couleurs, notre imaginaire collectif s’éteint progressivement. La prise de recul, la mise en perspective et la pensée nuancée ne cesse de céder du terrain et fait progressivement place à la froide pensée scientifique, à la polarisation de nos conscients et au court-termisme à tout prix. Pourvu qu’un intérêt soit servi…

Depuis 300 ans, les révolutions industrielles successives ont montré l’importance de gains de productivité, de la quantification de nos actifs, de la maximisation de nos ressources, et d’une compétition “saine” mettant de l’avant le principe que “le meilleur gagnera” selon les lois implacables du marché. Le problème, selon moi, est que ces variables, initialement pensées pour l’économie, se sont transférées sur d’autres pans de la société et, au premier chef, l’être humain lui-même. Par conséquent, nous vivons aujourd’hui dans une société où nous “gaspillons” notre temps, où les relations avec nos pairs deviennent de plus en plus transactionnelles, quitte à se servir d’autrui pour faire avancer ses propres intérêts.

Comme vous, probablement, je rêve d’un monde meilleur. Je suis fondamentalement convaincu que ce monde est à notre portée, et que l’art peut être un catalyseur positif faisant évoluer nos consciences et nous poussant à l’action individuelle ou collective. Voilà, en somme, le but de ma démarche artistique.

“The Whip” par Banksy, New York

Ma réflexion concerne tous les aspects de notre société de près ou de loin touchés par la “modernisation” ou, comme le vingtième siècle a souhaité nous le vendre, le “progrès”. À l’image du grand Banksy, j’aimerais humblement pouvoir rendre plus abordables, digestibles et légers ces enjeux systémiques. J’aimerais aussi que ces sujets puissent toucher autre chose que nos cerveaux, et redescendre vers le cœur. D’ailleurs, comme le disait très bien Antoine de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince:

On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.

Par ce biais, mon souhait est d’être capable de pouvoir mettre des images sur nos maux, et des mots sur nos combats.

Mais tout cela n’est pas sérieux, après tout…

Si l’art m’a bien appris une chose, c’est qu’il ne faut jamais trop se prendre au sérieux. La très lente progression de l’artiste et ses multiples échecs sont autant de raisons de profiter du chemin et de ne rien souhaiter d’autre que “d’avoir du fun”, comme disent mes amis montréalais.

Quand bien même mon art se veut engagé, il est et demeurera toujours une pratique qui fait sourire l’enfant de 10 ans qui sommeille en moi. Dans ce monde si sérieux, c’est un véritable privilège de pouvoir voir la réalité avec les yeux d’un enfant, et c’est d’ailleurs tout ce que je peux nous souhaiter lors de notre court passage sur ce vaisseau spatial que nous appelons La Terre.

Le Petit Prince par Antoine de Saint-Exupéry (1943)

✌ ️Au cours des prochains mois, et très probablement des prochaines années, le talentueux Clément Bompart et moi publierons quelques billets (avec nos tripes!) sur la chaîne Art Engagé hébergée sur la plateforme Medium. N’hésitez pas à rejoindre cette conversation, que vous soyez artiste ou non.

À vos plumes! Nous accueillons les billets d’autres artistes, professionnels comme amateurs, sur Art Engagé. Plus de détails ici.

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TitiMcCoy
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Je combine l'art académique et l'art urbain (street art) pour donner vie à nos quotidiens