La musique est un cri qui vient de l’intérieur #2

Flora Clodic
Au bonheur des zèbres
7 min readApr 11, 2018
Merci encore à MaiLan pour son talent de synthèse, pour cette jolie identité graphique qu’elle m’a aidée à donner au projet (et pour les coups de pied aux fesses qu’elle ne manque jamais de me donner !).

« La musique parfois a des accords majeurs
Qui font rire les enfants mais pas les dictateurs.
De n´importe quel pays, de n´importe quelle couleur.
La musique est un cri qui vient de l´intérieur. »

Bernard Lavilliers, Noir et blanc

Il y a deux ans, quasiment jour pour jour, je me lançais dans une aventure, sans bien savoir où elle allait me mener. Je venais de tout remettre en question de ma vie de jeune trentenaire — mon boulot, mon couple, mon environnement. Dans ce moment de transition, pro et perso, je suis tombée sur un énième livre sur le bonheur chez les personnes dites à « haut potentiel » que d’autres appellent encore des « zèbres » pour limiter l’encombrement terminologique de vocables inadaptés.

C’est une thématique que j’explore régulièrement depuis les résultats du test de quotient intellectuel que j’ai fait, l’année de mes 12 ans, et qui avait décidé pour moi que j’étais « surdouée », c’est-à-dire que je me situais dans les 2,27% qui se situent à droite de la courbe de Gauss de l’intelligence.

C’est une thématique que j’explore régulièrement, mais toujours de manière ambivalente. Certes, ça me permet de mieux me comprendre, ça m’aide à mettre des mots sur ce que je ressens. Mais ça ne suffit pas à répondre à ces questions essentielles : « Je suis qui, moi ? Je veux faire quoi de moi ? Quels sont les talents que j’ai laissés trop longtemps dormir sous la boue d’une vie dont je ne veux plus ? Et qu’est-ce que je change pour me trouver et mieux trouver ma place dans ce monde qui marche si souvent sur la tête ? »

La crise existentielle que je traverse cette fois-ci s’amplifie de la crise écologique et politique qui secoue la France, après l’année de la Conférence de Paris sur le climat, et les attentats de Charlie et du Bataclan. Je termine la lecture de ce livre — L’adulte surdoué à la conquête du bonheur, de Monique de Kermadec — complètement frustrée.

50 nuances de gris

Ces « adultes surdoués » que l’auteure évoque, je ne les vois pas, je ne les entends pas. Est-il possible que leur vérité soit plus subtile que ce que j’ai lu jusqu’ici, dans une littérature que je finis par trouver redondante ? Que leurs espoirs et leurs douleurs ne soient pas manichéens ni binaires mais colorés d’une myriade de nuances de gris ?

Alors, je poste un appel à témoins sur plusieurs groupes Facebook consacrés à ces questions. Alors, je reçois plein de réponses. Alors, par un concours de circonstances, je me retrouve à Bruxelles dans un café de la Place du Jeu de Balle, devant un certain Damien Petre. Alors, je publie un premier billet, La musique est un cri qui vient de l’intérieur, en référence à cette interrogation si pressante chez Damien : « Comment accorder sa musique intérieure à son environnement ? Comment retrouver l’harmonie quand ça dissone ? Comment aider les (jeunes) haut potentiel à réconcilier leur intuition et leur raison ? »

Au Bonheur des Zèbres vient de naître. Je me souviens de cette rencontre comme si elle avait eu lieu hier. Damien se raconte et je note, je note, sans m’arrêter. Je note les détails qu’il me donne et mes impressions sensibles. Je note son débit incroyable et ses yeux qui se ferment et clignotent quand il parle tant les idées se bousculent dans son cerveau.

Je rentre de Bruxelles transportée de l’énergie de notre échange. Je trouve dingues les retours qu’on me fait sur ce premier billet. Visiblement, je touche juste. Il n’est pas encore question de faire autre chose qu’un petit blog. Je continue de baigner dans la communauté des 100 Barbares, dont plusieurs membres me poussent à explorer mes élans d’écriture. Je reçois des témoignages de plus en plus nombreux.

La joyeuse tribu à rayures n’en finit pas de grandir… et de faire mon bonheur.

Au cours de l’année 2016, je décide de me laisser m’explorer, malgré les incertitudes et la précarité matérielle. Je ne cherche plus de poste salarié, je suis indépendante, je fais plein de choses et ça me plait : je me déclare même « slasheuse heureuse » pour affirmer mon identité multiple et qu’on arrête de me demander de choisir une case dont je ne veux pas. Au Bonheur des Zèbres accompagne ma transformation, l’affirmation de ma posture professionnelle et le chamboulement de ma vie personnelle. Les rencontres zébrées se multiplient, se ramifient ; les lectures aussi. Ma vision s’affine à mesure que je lâche prise d’une vision unique et simple de mon sujet.

Libre de mes mouvements, quelques missions dans les valises, je décide aussi de m’offrir une parenthèse à Lisbonne. Je ne sais pas pour combien de temps, je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu’il faut y aller. Juste avant de partir, je ponds un synopsis pour faire un livre d’Au Bonheur des Zèbres. Je dis « je ponds » parce que c’est comme ça que je le ressens. Ça sort de moi quand c’est prêt et je suis toujours la première surprise. « Tiens, j’avais tout ça dans la tête ?! Mais c’est vachement plus clair que ce que je croyais ! »

On entre dans une nouvelle phase d’expansion du projet. La communauté en ligne que j’ai créée il y a quelques mois grandit bien. Je continue de rencontrer des gens toujours aussi intéressants. Je contacte pour les interviewer des auteurs dont les livres m’ont inspirée et accompagnée, et ils me disent « oui ». Je glane, des infos, des contacts, des réflexions. Je (re)deviens une synapse géante. Je capte tout. Je ratisse large. Les gens que j’interviewe deviennent pour beaucoup des amis, qui me laissent entrer dans leur intimité, me présentent leur moitié, leurs enfants, leurs amis.

Parfois, je m’étourdis, je manque de distance avec mon sujet, je fais trop de choses. A chaque fois que ça arrive, je décortique, et je comprends que je ne peux pas tout régler avec ma tête. Au cours de cette année, je reconnecte mon cerveau et mon corps. J’apprends à accueillir mes émotions au lieu de vouloir les « gérer ». A Lisbonne, je me mets au yoga et c’est duuuurr. De retour en France, je fais une retraite silencieuse de méditation Vipassana. Je comprends enfin la différence entre « comprendre » et « expérimenter »…

Je reviens à Paris en septembre 2017, pour une mission à mi-temps que je décide finalement de ne pas garder. Le projet de livre prend plus de temps que prévu. Je comprends que j’ai mis la charrue avant les bœufs. Je ne suis pas prête. Je commence des ateliers d’écriture qui me font un bien fou et me rappellent le plaisir presque charnel que je prends à écrire. Après un nouveau weekend barbare, je me lance dans un nouveau chantier : des événements pour réunir « dans la vraie vie » la communauté qui compte désormais près de 1000 personnes. Il y a eu deux soirées à Paris — la troisième aura lieu début juin, une à Bruxelles — la prochaine en mai, et la dynamique devrait aussi décoller bientôt à Nantes.

La boucle est bouclée

La beauté de la vie, c’est que je commence à assumer que le projet grandisse. Qu’il réponde à un besoin des gens. Sans prétention. En toute authenticité. En toute vulnérabilité assumée. J’ai envie de leur offrir des espaces, des lieux, des temps, de pure expression d’eux-mêmes, sans qu’ils aient besoin de se cacher sous les masques d’une norme dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Je ne fais pas grand-chose d’autre que ça : créer les conditions de la rencontre. La communauté, les événements, le livre en train de s’écrire : ces trois piliers tournent autour de cette idée force.

Je prends la plume aujourd’hui, au retour d’un nouveau voyage à Bruxelles, qui me donne l’impression d’avoir bouclé une boucle, et ouvert infiniment plus de perspectives. Lundi, j’étais l’invitée de Fabrice Lambert au micro de Tendances Première, une émission de La Première, une des radios de la RTBF, pour venir présenter Au Bonheur des Zèbres. Lundi, je me suis sentie à ma place, accompagnée de « mon » Damien, qui a toujours les yeux qui roulent quand les idées se bousculent et que j’entoure de toute la tendresse d’une amitié construite de deux ans… Accompagnée aussi de Pierre-Alexandre Klein, devenu protagoniste de cette aventure malgré lui, à force de m’accueillir dans mes périples dans la capitale belge.

Sur le plateau de Tendances Première, lundi.

Accompagnée de tous ceux qui n’étaient pas là sur le plateau, mais derrière leur poste ou simplement en plein cours de leur vie. Lundi, j’avais le cœur qui chantait. Encore. Je rentre pleine de cette énergie, qu’en fait désormais je trimballe partout avec moi… J’avance sur la structuration du livre et je cherche activement un éditeur — j’ai quelques pistes mais je n’ai encore rien signé. J’avance sur la préparation des événements, qui semblent faire du bien aux gens, et c’est pour moi le plus important.

Ma musique intérieure joue plus fort qu’il y a deux ans. Elle sait mieux s’adapter aussi, et s’enrichit sans cesse de toutes ces notes qui ne sont pas les siennes mais celles des merveilleuses personnes que ce projet met sur ma route. C’est beau, c’est doux. C’est rugueux parfois. La vie, en somme. Ma musique est un cri qui vient de l’intérieur. Et vous, qu’est-ce qu’il vous dit, votre cri ?

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Flora Clodic
Au bonheur des zèbres

Plume raconteuse d’histoires. Jardinière de communautés. #Tribus Happycultrice #AuBonheurDesZèbres Collapso-something #Effondrement #Résilience