Des techniques d’hypnose pour contrôler la douleur

par le Dr DABNEY M. EWIN

Hugo C.
Auto Thérapeute
12 min readFeb 14, 2019

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Ce qui suit est un extrait du livre Hypnosis: Questions & Answers, questions 52.

Il existe de nombreuses techniques pour contrôler la douleur avec lesquelles un hypnothérapeute devrait se familiariser. Comme avec les médicaments analgésiques, un patient en particulier peut répondre à un traitement et non à un autre. Chaque thérapeute doit en maîtriser au moins deux, et savoir où trouver des informations sur les autres, le cas échéant. Pour répondre à ces questions, je donnerai un bref commentaire sur plusieurs (avec des références vers des sources pour une élaboration plus complète). Ensuite, j’entrerai dans les détails sur celles avec lesquelles j’ai eu le plus de succès.

Passes mesmériennes

Des "passes mesmériennes" par des techniciens en hypnothérapie étaient tout ce dont avait besoin Esdaile (1850) lors de ses 3,000 interventions chirurgicales. Cela prend une demi à 4 heures et est rarement utilisé aujourd’hui, bien que l'intérêt pour cette technique est en train de refaire surface (Pulos, 1980).

Suggestions directes

Les suggestions directes en hypnose servent à induire en transe et à donner la suggestion jugée la plus appropriée par l’hypnotiseur. Ceci est efficace pendant la transe, mais la douleur chronique réapparaît généralement dès la sortie de transe, ce qui rend cette technique un peu plus efficace que le placebo. Elle est particulièrement utile chez les sujets extrêmement hypnotisables et dans les situations douloureuses aiguës. En raison de sa simplicité, elle peut être utilisée presque comme un test d’hypnotisabilité. Comme avec le placebo, elle n’est pas fiable pour le soulagement à long terme de la douleur chronique.

Suggestions indirectes

Les suggestions indirectes sont un moyen de parsemer une discussion légère ou non-pertinente [avec le problème de douleur du patient]. Le meilleur exemple pour illustrer cette technique est celui de “l'induction par les plants de tomates” en 1966 de Milton Erickson pour traiter un patient atteint de cancer. Parce que les plants de tomates n’ont aucun rapport avec le problème de douleur du patient, ce dernier est "sans défense" contre les suggestions camouflées. Son subconscient est alors "imbibé" de pensées de guérison. Ceci est assez efficace entre des mains expertes.

Le gant magique

Le gant magique peut être induit par suggestion, puis transféré vers la zone douloureuse. Cette technique marche relativement facilement pour une analgésie à court terme et peut servir de démonstration convaincante auprès d'un patient sceptique concernant sa capacité à rentrer en transe (Crasilneck et Hall, 1975, p. 59). C’est une forme de suggestion directe.

Images guidées

Des suggestions par images guidées ont permis d’obtenir une analgésie adéquate chez 99 patients dentaires consécutifs sur 100 (Barber, 1977).

L’hypnoanalyse

L’hypnoanalyse est mon approche préférée contre la douleur chronique. Cette technique n’est pas difficile. Les techniques décrites par Cheek and LeCron (1968) et Barnett (1981) fonctionnent bien, même si Barnett ne dit pas grand chose de la douleur dans son livre.

La douleur chronique

L’hypnose n’est qu’un aspect de l’approche clinique contre la douleur chronique. D'autres approches comprennent la physiothérapie, les blocages nerveux, la psychothérapie de groupe, la stimulation nerveuse électrique transcutanée (TENS), la relaxation, la thérapie du mouvement et l’ergothérapie, les médicaments, etc., ainsi que la chirurgie, le cas échéant. Avec tout ceci, environ un tiers des patients guérit, un tiers va mieux, et un tiers ne voit pas d'amélioration. Un changement d’attitude engendré par l’hypnose permettra au patient de bien mieux faire face à la douleur.

La douleur constante est une plainte particulière que l’on entend souvent dans les centres anti-douleur et l’hypnoanalyse semble être la seule technique convenable pour y remédier. Le dictionnaire définit le mot “constant” comme “quelque chose de persévérant, qui ne varie ou ne change pas”, ce qui le distingue des autres mots qui définissent la gravité ou l’absence de réponse au traitement, tels que “insoluble”, “incapacitant”, “chronique”, “implacable”, “atroce”, etc. Lorsque le patient dit que la douleur est constante, ne disparaît jamais, est continuelle, est toujours présente et “je vis avec”, ce que comprend son inconscient est la chose suivante: “Si je n’avais pas cette douleur chronique, je serais mort.” Cette idée assimile la douleur à la vie elle-même; par conséquent, la douleur ne peut pas être complètement abandonnée, même pendant cinq minutes. Le patient peut admettre certaines variations d’intensité, mais maintiendra avec véhémence que la douleur (comme la vie) est présente tout le temps, même lorsqu'il est endormi.

La douleur physique est rarement, voire jamais, constante. Des médicaments peuvent soulager complètement la douleur cancéreuse pendant plusieurs heures. L’arthrite est soulagée par la chaleur, le repos et les médicaments. Un patient avec une hernie discale signalera que le repos dans une certaine position procurera un soulagement. Le thérapeute doit demander à son patient en état de veille: “Depuis que la douleur s'est installée, est-il déjà arrivé que la douleur ait stoppé ?” et “Et pendant votre sommeil ?” Si le patient répond « non » à ces questions, la douleur est plus vraisemblablement psychologique que physique et le patient souffre peut être du syndrome douloureux chronique (Ewin, 1980).

Parce que la préservation de soi est la première loi de la nature, la survie est plus importante que la douleur (c’est-à-dire qu’être en vie et souffrir vaut mieux que de mourir). Lorsque, au niveau émotionnel, la douleur est assimilée à la vie, tant que la douleur est présente, la mort ne peut pas s’être produite, et la douleur a pour rôle de rassurer le subconscient que la mort n'a pas eu lieu. Paradoxalement, le thérapeute qui propose de mettre fin à la douleur (la vie) constitue une menace pour le patient. Le thérapeute intuitif sentira la confiance limitée régner et saura qu’une attaque directe sur la douleur avec des suggestions hypnotiques sera rejetée par le patient, même en transe profonde. La “grande indifférence” de l’hystérie de conversion [terme aujourd'hui connu sous “trouble dissociatif de conversion”] est différente de la capacité de défense de ces patients. Ils semblent savoir qu’il existe un remède et le cherchent avec espoir, mais devant un traitement conventionnel, ils résistent héroïquement à l’abandon du contrôle de la douleur (la vie).

Le syndrome douloureux chronique se caractérise par la présence simultanée de trois choses (la triade d’Ewin): 1) toute situation ou incident rendant le patient incapable de répondre ou réagir normalement (activité mentale anormale) : une désorientation mentale dans laquelle le patient peut avoir subi une commotion cérébrale, une overdose, un accident vasculaire cérébral, un anesthésique, ou même un rêve éprouvant. 2) la peur de la mort (expérience perçue comme une menace pour la vie); et 3) la douleur. Incapable mentalement de faire face à la menace de mort perçue, la présence de douleur est une garantie pour le subconscient du patient que ce dernier n'est pas mort. Lorsque l'activité mentale redevient normale, le subconscient s’accroche de manière tenace à l’idée profondément enracinée selon laquelle la douleur est dorénavant synonyme de vie. Changer cette idée devient alors le but de la thérapie.

La discussion en état de veille de ces dynamiques sera rejetée sommairement et le patient sera sur la défensive afin d'entretenir sa douleur (la vie). Le traitement consiste alors plutôt à établir un rapport de confiance avec le patient, à revenir sur l’incident [thérapie régressive], à exprimer de l’empathie en soulignant l'intensité de la douleur ressentie à l’époque, et à préciser que “même si cela semblait tellement grave à l’époque, nous savons aujourd'hui que cela ne vous a pas tué pour autant, pas vrai ?” et en insistant sur une réponse à cette question. Puis, après avoir demandé au patient d’utiliser des signaux idéomoteurs pour répondre, le thérapeute demande : “La partie la plus profonde de votre esprit intérieur sait-elle vraiment que vous avez survécu et que vous êtes pleinement en vie?” Après avoir reçu un “oui”, le thérapeute dit: “Comme la douleur était le seul moyen de savoir que vous étiez en vie quand cela est arrivé, cela a dû être très rassurant à l’époque, mais maintenant que vous avez retrouvé tous les moyens habituels pour savoir que vous êtes en vie, avez-vous encore besoin de la douleur pour prouver que vous êtes en vie ?” Un «non» permet alors de glisser l'argument décisif : “Puisque vous n’avez plus besoin de la douleur et que vous êtes venu ici pour vous en débarrasser, serait-il acceptable de la laisser tomber? Un “Oui” a cela est une bonne et une mauvaise nouvelle.

Le patient vient d’accepter d’abandonner le système de survie sur lequel il compte depuis des mois, voire des années. Selon mon expérience, le soir du jour où il a accepté de l’abandonner, le patient revient toujours sur cette décision et paradoxalement, sa douleur augmente ! Il doit alors être vu le lendemain matin pour lui permettre d'exprimer sa colère “Qu’est-ce que vous m’avez fait?” contre lequel je réponds: “Vous avez donc réussi à empirer la douleur, c’est merveilleux ! Cela signifie que vous en avez pris le contrôle : si vous avez réussi à l’aggraver, vous pourrez l’atténuer quand vous le voudrez. Voulez-vous diminuer de moitié votre douleur maintenant ?” Le patient se retrouve alors dans l'impasse parce qu’il vient juste de se plaindre de la douleur. Je le mets en transe et lui demande de me signaler par un «oui» [idéomoteur] lorsque la douleur a diminué de moitié par rapport à celle ressentie lors de son arrivée à mon cabinet ce matin. Ensuite, je demande: “Serait-il acceptable de ne pas ressentir de douleur pendant une minute, sachant qu’il est préférable d’être en vie sans douleur, que d’être en vie mais en souffrance permanente ?” Le consentement à cela appelle le subconscient du patient à émettre un nouveau signal idéomoteur lorsqu'il est complètement libéré de la douleur, et je lui accorde une minute. Cela suggère que s’il peut se libérer de la douleur pendant une minute, alors quand il sera prêt, il pourra le faire pendant deux, quatre, ou huit minutes, et même à l’infini.

Certains patients ont tellement d'avantages liés aux pensions, à la sécurité sociale, aux indemnisations, aux litiges ou aux manipulations familiales qu’un traitement miracle et une guérison soudaine serait embarrassant ou irait à l’encontre du but recherché. Ne sur-traitez pas pour satisfaire votre propre ego. Ces patients ont besoin de la suggestion que, “Sachant maintenant que vous pouvez contrôler votre douleur, lorsque vous serez prêt, vous serez en mesure de réduire votre douleur à un niveau minimal et tolérable, ou de la suspendre complètement à volonté.” Un de mes patients, confiné à son fauteuil et à son lit pendant quatre ans et demi (Ewin 1980, cas 2), avait une pension d'invalidité à l'age de 54 ans. Un suivi effectué trois ans après le traitement a révélé qu’il n’était pas retourné travailler. Sa solution était bien meilleure qu’une incapacité totale !

La douleur est un sentiment (une émotion ?), et la douleur pure sans décharge émotionnelle ni conditionnement est assez tolérable sur le plan expérimental (Melzac, 1973, p. 27). D'autres sentiments qui augmentent la souffrance doivent être explorés (Ewin, 1978), car ils fournissent une décharge émotionnelle pouvant être atténuée.

La non-acceptation [par le patient de se libérer de la douleur] est un problème car la douleur est imposée au patient contre sa volonté. “Pourquoi moi ?” constitue un obstacle au traitement, car le patient refuse de continuer tant que cette question n’est pas résolue. Il n’y a pas de réponse satisfaisante, et je la contourne en transe en insérant d’abord dans mon induction “la douleur pure ne fait pas vraiment très mal” et en demandant ensuite une réponse idéomotrice à “Serait-il acceptable de faire l’expérience d’une petite quantité de douleur pure tant qu’elle reste à un niveau tolérable ?” Le patient qui donne ce type de permission a alors l’impression d’avoir repris un certain degré de contrôle, et étendra celui-ci au maintien de la douleur pure à un niveau tolérable.

La peur d’être victime d’un trouble inhabituel ou non diagnosticable s’accentue au fil des semaines et des mois de tests non concluants et d’opinions médicales divergentes. En transe, une réponse idéomotrice positive à “Est-ce OK de vous faire prendre consciemment connaissance des vos peurs ?” permettra au thérapeute de les découvrir et de les dissiper. Le patient doit être initié aux méthodes auto-hypnotiques servant à rejeter toute idée nocive future.

Une interprétation négative du sens de la douleur va venir s'ajouter à la souffrance. Le thérapeute devrait demander au patient de signaler cette réponse à “Y a-t-il une possibilité que du positif puisse en sortir ?” et si c’est le cas, amenez-le à la conscience. Les études de Beecher (1959, p. 165) sur le champ de bataille en Corée ont montré que les soldats grièvement blessés refusaient souvent les analgésiques, réagissant à leurs blessures “douloureuses” avec “… soulagement et empli de gratitude d'avoir pu échapper à la mort, et même avec euphorie” considérant la situation comme une “bonne” blessure.

Une autre question est, “Que savez-vous de cette condition ?” ce qui peut donner une réponse du type “Je sais qu’une fois qu’une personne se blesse au dos, elle n'ira jamais bien.” Une telle idée doit être supprimée.

Pour le patient souffrant de douleurs chroniques, une souffrance sans fin devient une menace pesante car il peut se demander s’il va pouvoir la supporter indéfiniment ou s’il sera enfin soulagé un jour. C'est d'ailleurs pour cela que je répète à chaque visite du patient, lors des inductions “aucune douleur ne dure éternellement”. Après plusieurs visites, cela a tendance à être accepté.

La culpabilité et la colère ajoutent beaucoup à la souffrance et doivent être évoquées chaque fois que la douleur résulte d’un accident. Si le patient a fait preuve de négligence, il se sent stupide et coupable, et la douleur sert de punition inconsciente. Si quelqu'un d’autre est en tort, il le tient pour responsable et nourrit sa colère proportionnellement à cette souffrance. Le pardon de soi traite la culpabilité; pardonner les autres guérit la colère. Si un litige est en cours, je signale que pardonner la personne qui l’a blessé ne porte pas atteinte à son droit de guérir. Néanmoins, sa colère amplifie ses propres souffrances et sa propre misère, tendis que l’objet de sa colère est indemne. J’assume alors le rôle de porte-parole de l’adversaire de mon patient, m’excuse de l'avoir blesser physiquement et psychologiquement, puis lui demande pardon. Il n’est pas toujours disposer à pardonner de suite, mais dès qu'il y parvient, sa souffrance est grandement soulagée et son ego renforcé. En quelque sorte, il a l'impression d'être devenu quelqu'un de meilleur qu’auparavant.

Les suggestions négatives doivent être supprimées car, trop souvent, les patients sont victimes de prophéties autoréalisatrices émises par des : “Tu dois apprendre à vivre avec.” Pris à la lettre (comme le fait systématiquement le subconscient), cela signifie que vous devez mourir pour vous en débarrasser, une idée qui fait obstruction au traitement. En transe, cela doit être supprimé et remplacé par “Tu constateras que tu peux y faire face”.

L’identification à des douleurs similaires à celles de quelqu'un d'autre doit aussi être élucidé. La douleur qui a débuté avec la maladie terminale d’un être cher et qui imite celle de cette personne est traitée en soulignant le fait que la douleur ne ramènera pas le défunt, et qu’il vaudrait mieux garder les bons souvenirs et laisser de côté les mauvais. Ressentir de la douleur est un moyen inapproprié de faire son deuil.

Les interventions chirurgicales (dont le but est de soulager un patient de la douleur) ayant échoué de manière inattendue devraient être examinées en mettant le patient en transe. Les patients entendent sous anesthésie (et même avec des commotions cérébrales), et les commentaires pessimistes du chirurgien [restent dans le subconscient] telles des suggestions posthypnotiques. Les détails de la technique permettant de les découvrir ont été décrits ailleurs (Ewin, 1984, p. 214).

L’autohypnose est un complément utile au traitement et renforce la progression du patient. Puisque tout le monde passe normalement d’un état équivalent à la transe en passant de l’état de veille à l’état de sommeil, je demande à mes patients de se faire des suggestions ou, mieux encore, d’écouter un enregistrement la nuit au moment même où ils s’endorment. Les partisans de l’autohypnose en tant que thérapie discrète (Alman, 1938) rapportent de manière anecdotique de bons résultats qui, je suppose, sont comparables aux suggestions directes en hypnose.

La douleur aiguë

Dans toutes les situations extrêmement douloureuses telles qu’une épaule disloquée, une fracture, une brûlure, etc., la peur du patient focalise son attention en un état équivalent à la transe. Ainsi, il suffit alors de dire: “Je suis médecin. Je peux vous aider. Ferez-vous ce que je vous demande de faire ?” Quand il accepte de faire ce que je dis sans questionner, c'est que le patient s'est engagé à suivre mes suggestions et cela fonctionne au même titre que des suggestions posthypnotiques. Puis je lui dis: “Restez là, mettez-vous ici, fermez les yeux, inspirez profondément et laissez échapper la tension dans chaque nerf et chaque fibre de votre corps.” De là, je passe à une sorte d’imagerie que le patient associe au rire, et je dissocie l’extrémité si il s'agit d'une fracture ou d'une luxation. Si le patient a été brûlé et que l’hypnose est rapidement appliquée (dans les deux premières heures suite à l'incident) avec la suggestion anti-inflammatoire «frais et confortable» la profondeur de la brûlure sera nettement atténuée (Ewin, 1978). Dans le cas de brûlures de moins de 20% de la surface du corps, une seule transe va souvent suffir à éliminer la douleur ressentie jusqu'à la guérison. L’hypnose répétée permet de réduire de 50% l'usage de stupéfiants par les grands brûlés (Wakeman & Kaplan, 1978). Un protocol a été publié afin de détailler les soins d’urgence à apporter en cas de brûlures, et devrait être passé en revue par ceux qui traitent des brûlés (Ewin, 1984, p.221–225).

Pour aller plus loin

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Hugo C.
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Quelle triste époque où il est plus facile de briser un atome qu’un préjugé ou une croyance. ― A. Einstein