Déformation professionnelle ?
… c’est ce que j’ai fini par me demander, en observant autant d’éléments liés au numérique et à la data dans un événement avant tout dédié au design…
Mais non, le numérique est bien un sujet qui intéresse tout particulièrement les designers et les artistes, et c’est tant mieux ! En effet, la Dutch Design Week d’Eindhoven (dont je vous parlais déjà la semaine dernière) n’est pas qu’un événement dédié aux objets et aux matériaux ou destiné à imaginer le futur du transport ou de l’alimentation…
Le numérique était aussi en bonne place, comme support de création (sites, applications, podcasts,…) mais surtout comme sujet de réflexion, souvent en écho avec le thème de l’année “If not us, then who?” qui invitait les designers à se poser la question de leur responsabilité. Le sujet était essentiellement abordé sous l’angle des données personnelles, de leurs usages et de leur visualisation.
Le plus fascinant était sans doute l’exposition “The Attention Fair”, de la “chercheuse en design” Julia Janssen, qui a conçu tout un système cohérent autour de la valeur et de la monétisation de nos données personnelles.
Celle-ci a consacré un an de travail à imaginer différents profils d’individus, chacun ayant une valeur publicitaire, traduite dans une monnaie virtuelle. Plusieurs scénarios envisagent, souvent avec humour, des cas où cette valeur est revue à la hausse, ou à la baisse.
La même artiste a aussi l’ambition de réécrire les conditions générales des sites dans un nouveau langage, à base de symboles. Et elle a agrégé sous forme de livre (un pavé d’un bon millier de pages) l’ensemble des textes auxquels un internaute donne son accord lorsqu’il clique sur “oui” pour accepter les cookies sur la home page du Daily Mail.
Dans une volonté similaire de “rendre visible l’invisible”, l’artiste Moira Walker a conçu un cylindre crypté contenant toutes les données que Facebook possède sur elle. Même ambition chez Vito Boeckx, mais en réalité virtuelle cette fois-ci : avec “Data Church”, ce designer numérique a voulu nous immerger dans les flux de données qui nous entourent, à partir des réseaux Wi-Fi.
Dans un style plus polémique, l’artiste “anti-disciplinaire” Annemiek Hocker associait Google et SM dans son installation choc “The Search for Submission” : chaque requête envoyée sur le moteur de recherche revient à donner à Google les armes pour mieux nous fouetter !
Même message, mais transmis de façon plus subtile : avec son “Augmented Mundanity OS”, Martina Huynh invitait, elle, les visiteurs à passer tout simplement un coup de chiffon sur l’écran d’un ordinateur… ce qui déclenchait le vidage du cache et des cookies contenus dans le navigateur. Baisser les rideaux permettait aussi d’ouvrir une navigation privée sur le navigateur TOR. Un moyen d’illustrer, par la métaphore, que c’est à chacun de reprendre la main sur la façon dont ses comportements en ligne sont trackés.
Tout aussi ludique, John Wei Liang Hoek a conçu “Airphone”, un flipper pour deux joueurs, utilisable uniquement après avoir bloqué son smartphone : une invitation à nous reconnecter, physiquement, avec nos amis, tout en prenant conscience de l’emprise des smartphones sur notre quotidien. L’idée du jeu est aussi présente dans le “Databalls” de Felix Mollinga, un “pinball” un brin conceptuel, dont le but est de donner conscience aux enfants de la quantité d’informations personnelles qu’ils diffusent en ligne, sans s’en rendre compte.
Le sujet était aussi au cœur de l’”Embassy of Health”, avec tous les enjeux autour de la e-santé et du “quantified self”. Mais même ce pavillon dédié à la santé n’était pas exempte de critiques envers le monde numérique dans lequel nous vivons : alors qu’une “Digital Detox Clinic” offrait un avant-goût de la clinique qui va ouvrir l’an prochain à Amsterdam, un “Doctor Cloud” (faites le test !) se proposait de soigner la “Digital Démentia”, la “Tech Neck” ou l’”acné du smartphone”.
Heureusement, la mise en scène de la “data” n’était pas seulement sous un angle négatif. Celle-ci s’humanise, sous la forme de chatbots, comme “AN I”, de Camilo Oliveira, un miroir-psychologue qui invite à se poser des questions sur sa vie, le matin dans sa salle de bain, Karin, le chatbot-designer imaginé par Karin Anders, ou encore Sara, conçue par Greenhousegroup, qui se propose de nous permettre de devenir “the happiest version of yourself”… Tout un programme !
Les données étaient aussi derrière le prix du public de cette édition : MX3D, un pont imprimé en 3D (pardon, un “smart bridge”), qui sera prochainement installé à Amsterdam pour enjamber un canal. En plus de la prouesse technique d’”imprimer” un pont en acier, les ingénieurs ont tenu à y intégrer de nombreux capteurs, pour suivre en temps réel les pressions auxquelles sera soumis l’ouvrage.
Enfin, bien plus poétique, Alvin Arthur a, lui, imaginé “Body.Processing”, une chorégraphie dont les différentes figures se transforment en code informatique : les danseurs deviennent programmeurs… Cela permet de conclure sur une note plus légère ;-)
Benoit Zante
// Avant de nous séparer //
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