“Friendemies”…

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
4 min readDec 7, 2018

… cette semaine, je vous parle de médias, et c’est un peu long… promis, pour la prochaine, je ferai plus court et plus varié !

En effet, je ne vous ai pas encore parlé de Médias en Seine, l’événement (de grande qualité) organisé par Les Echos et France Info, qui avait lieu il y a quelques semaines, en même temps que l’Usine Extraordinaire, dont je vous parlais la semaine dernière

Beaucoup a déjà été écrit (que ce soit chez Le Monde, dans les Echos, bien évidemment, ou même dans La Croix) à propos de la table-ronde phare de la matinée, qui se tenait au siège des Echos, avec les patrons des principaux groupes audiovisuels français (à savoir M6, TF1, FranceTV et Canal+).

C’est à voir ici (presqu’une heure quand même). Pour résumer, tous ces patrons de médias sont tombés à bras raccourcis sur la pauvre Justine Ryst, de Youtube, seule représentante des GAFA/NATU à avoir fait le déplacement (ce qu’elle n’a pas manqué de faire remarquer).

Nicolas de Tavernost, chez M6, a notamment attaqué son intervention en parlant du “cambriolage de [ses] ressources” par Netflix &co, quand Gilles Pélisson, qualifiait d’“inacceptable“ la façon dont sont traités les contenus des chaînes par Youtube et Facebook.

Delphine Ernotte, de France Télévision a profité de cette tribune pour annoncer qu’elle allait retirer de Youtube les oeuvres intégrales de ses chaînes (une aberration, de toute façon)… quand Maxime Saada expliquait sans rire que Canal+ était “la meilleure réponse à Netflix”.

Plus sérieusement, tous ont pointé du doigt le partage totalement déséquilibré de la valeur entre chaînes et plateformes. Mais comment en est-on arrivé là ? A écouter les patrons de TV, le manque de vision de leurs groupes respectifs au cours de la décennie passée n’y est bien sûr pour rien…

Le premier responsable, pour eux, c’est le régulateur, qui n’a pas su évoluer assez vite, que ce soit sur la propriété des droits des contenus, les secteurs interdits à la publicité TV, la fiscalité ou les contraintes de diffusion… Résultat : les chaînes n’auraient aujourd’hui pas les moyens de se battre avec les mêmes armes que Google, Facebook ou Netflix.

La table-ronde était aussi l’occasion d’observer une fois de plus le jeu de dupe des représentants des plateformes américaines. Quand les télévisions lui parlent de partage équitable de la valeur (comprendre “data” et “revenus publicitaires”) Justine Ryst répond “milliards de vues”, “complément d’audience”, “rayonnement des programmes”, “vivier de talents” ou “laboratoire”…

Le discours de Youtube envers les producteurs de contenus (les télés, mais aussi les artistes et les musiciens,…) n’a pas beaucoup évolué depuis des années : en somme, c’est “mettez vos contenus premium chez nous, et si vous vous débrouillez bien, cela vous permettra de toucher une audience plus large et vous permettra de générer des revenus additionnels à l’extérieur” (produits dérivés, places de spectacles, audience TV…).

C’est oublier qu’au passage, ces contenus viennent avant tout enrichir l’offre de Youtube. Ils permettent ainsi à la plateforme de faire grossir ses audiences et ses inventaires publicitaires… Or ces revenus publicitaires, dixit Delphine Ernotte, “ne rapportent rien” (ou si peu) aux télés.

Les rires de la salle, alors que la question du partage des revenus publicitaires entre Youtube et les ayants-droits est arrivé sur la table, sont révélateurs… La patronne de France Télévisions a lâché le chiffre de 2 millions d’euros de revenus en provenance de Youtube : un peu maigre en regard des 480 M€ investis l’an dernier par l’audiovisuel public dans la création audiovisuelle et cinématographique…

L’histoire pourrait se répéter avec les podcasts, dont on nous promet monts et merveilles : à une table-ronde un peu plus tard, Serge Schick, de Radio France, expliquait que les programmes de la Maison Ronde représentaient quelques pourcents (wow) de l’audience d’Apple Podcasts… ce qui avait valu aux équipes d’être reçues à Cupertino. Ces contenus ne sont pas (encore) directement monétisés par Apple, mais la firme à la pomme y gagne au passage de précieuses données sur les intérêts de ses clients… une valeur qui n’est pas plus redistribuée aux producteurs de contenus, que dans la vidéo avec Youtube.

Davantage que Canal+, M6 ou TF1, l’audiovisuel public fait face à des injonctions paradoxales : financé en grande partie par la redevance, il doit légitimement faire en sorte que les contenus qu’il produit soient vus par le plus grand nombre.

Mais cela doit-il se faire en enrichissant surtout les plateformes américaines ? Et demain, les acteurs chinois, puisque Delphine Ernotte place ses espoirs de rééquilibrage dans leur arrivée, “d’ici 5 ans” ?

Benoit Zante

@bzante

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