#Moustique

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
4 min readNov 12, 2020

J’ai déjà parlé à plusieurs reprises dans cette newsletter de la thématique du “purpose”, traduit par “raison d’être” ou “mission” en bon Français.

Une première fois, c’était à propos du travail mené en interne par Pierre Fabre pour identifier et formaliser cette “raison d’être”. Il y a quelques semaines, juste avant le re-confinement, j’ai d’ailleurs pu aller voir sur place, au siège de Pierre Fabre dermo-cosmétique situé à côté de Castres, comment elle s’incarnait concrètement.

J’ai aussi évoqué dans le passé les exemples des 3Suisses et d’Yves Rocher. Et plus récemment, je vous parlais aussi de l’approche de Procter&Gamble dans le contexte de crise sanitaire…

A chaque fois, le constat est le même : la raison d’être de l’entreprise ne doit pas être (qu’)une incantation venue d’en haut ou une posture de communication, mais une démarche qui trouve ses racines dans l’histoire de l’entreprise et s’infuse dans toute l’organisation, tout en étant concrétisée par des actes.

Lorsque ce sujet du “purpose” est évoqué, une marque pionnière vient très vite à l’esprit : Patagonia. Celle-ci est notamment connue pour ses engagements forts en faveur de la protection de l’environnement et contre la sur-consommation. On peut même considérer qu’elle a dépassé le stade du “purpose” et de la mission pour entrer dans l’activisme et le militantisme.

“Nous sommes le moustique dans la pièce, mais nous prenons cette responsabilité très sérieusement” expliquait par exemple Alex Weller, le Marketing Director pour l’Europe, de la marque, lors de son intervention au Festival Of Marketing. Même si face à des Nike, Adidas ou Zara, Patagonia ne pèse pas très lourd, la marque a une forte visibilité et peut contribuer à faire changer les choses. D’où des actions de communication marquantes, comme ses campagnes très visibles invitant ses clients à ne pas acheter de nouveaux produits (ou a minima à reconsidérer leurs choix de consommation) ou encore ces étiquettes appelant à “vote the assoholes out”.

Pourtant, en 2018, la formalisation de la mission de l’entreprise par le fondateur charismatique de la marque, Yvon Chouinard (81 ans aujourd’hui) a pris tout le monde de cours en interne. Même si Patagonia était une marque engagée de longue date, affirmer haut et fort “We are in business to save our home planet” (traduit en Français par “Notre entreprise existe pour sauver notre planète”) plaçait la barre encore plus haut.

C’est en tout cas ce que raconte le directeur marketing Europe de la marque, qui a vécu le changement de l’intérieur.

C’est arrivé du jour au lendemain, sans qu’on soit prévenus. Ça a été une période assez intimidante : pour beaucoup d’entre nous qui étions dans l’entreprise depuis longtemps, on estimait qu’on connaissait notre mission et qu’on la vivait déjà au quotidien. Mais de là à afficher ces quelques mots de façon si directe au-dessus de nos têtes…”

Une réaction qui invite à l’humilité : si même le fondateur d’une entreprise pionnière comme Patagonia a eu du mal à “embarquer” tous ses collaborateurs du jour au lendemain derrière sa vision, qu’en est-il des groupes du CAC40 qui affichent aujourd’hui fièrement des “raisons d’être” et des missions — souvent à rallonge — dans leurs campagnes de communication corporate ?

Il faut dire que pour Patagonia, cette mission très ambitieuse a des implications très fortes pour toute l’entreprise, car elle touche à son modèle économique même. A côté, la mission précédente (“Build the best product, cause no unnecessary harm, use business to inspire and implement solutions to the environmental crisis”) semble presque fade.

Car “exister” pour sauver la planète, cela signifie que toutes les actions de l’entreprise doivent être orientées dans cette seule et même direction. Concrètement, le business de Patagonia se doit d’être profitable (“healthy”), mais seulement dans le but de disposer des moyens d’agir pour la défense de l’environnement.

Dans les faits, cela se traduit par quatre piliers d’action :
- l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2025 (et pas 2030 ou 2040 comme le promettent certains GAFAM), “ce qui impacte tout ce qu’on fait, jusqu’aux sous-traitants” explique Alex Weller,
- la protection des espaces naturels — une évidence pour une entreprise de l’outdoor, qui passe par des actions militante — via la plateforme ActionWorks et l’implication directe de ses collaborateurs dans les manifestations*,
- la promotion d’une agriculture “régénérative” au service du climat, qu’il s’agisse de la production des fibres entrant dans la conception des vêtements ou les aliments vendus par l’enseigne dans le cadre de son offre “Patagonia Provision”,
- l’accompagnement de la transition vers des énergies propres.

Au-delà de ses campagnes de communication, Patagonia agit ainsi avant tout sur ce qui ne se voit pas : ses opérations. Comme le raconte Alex Weller (non sans storytelling), les inquiétudes initiales des collaborateurs se sont transformées en “énergie”. Une énergie salutaire pour passer à l’action, “le seul moyen de ne pas sombrer dans la dépression” explique-t-il, dans un contexte aussi tendu pour la planète et l’environnement…*Patagonia a des budgets dédiés à l’accompagnement juridique de ses collaborateurs qui seraient poursuivis en raison de leurs actions militantes…

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Benoit Zante

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