#Prémonitoire

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
4 min readOct 21, 2020

Je suis retombé par hasard sur l’intervention de Virginie Raisson-Victor lors des Napoléons à Arles, en juillet 2019 (je vous en parlais ici)…

Ses propos de l’époque résonnent aujourd’hui de façon étonnante. Historienne de formation, elle évoquait alors le sujet du réchauffement climatique, de l’effondrement et la question de la chute des civilisations. Son exemple : l’Empire romain, dont la fin a été récemment éclairée par de nouvelles recherches, mettant en cause la thèse couramment défendue d’un long et lent déclin causé par les excès d’une société en quête de toute-puissance.

Je vous laisse juger de vous-même…

La chute de Rome a été rapide, ça n’a pas été une longue décadence. Elle a été provoquée par la combinaison de changements climatiques et d’épidémies.

En réalité, le premier facteur, c’est la quête de toute puissance : en cherchant à étendre leurs routes commerciales et leurs marchés au-delà de l’Europe, et en particulier en Afrique jusqu’en Egypte, les Romains ont construit des voies, les fameuses voies romaines, des voies empreintées par les légions dans un sens et par les rats dans l’autre sens. Des rats venus d’Egypte, avec la peste, la puce bubonique, ce qui a créé une épidémie majeure et a décimé la population romaine.

Au même moment, les Romains défrichaient autour de Rome, sur les collines, pour étendre les cultures, pour mettre en place des réseaux d’irrigation, des canaux, des fontaines, qui faisaient partie du génie de la civilisation romaine. Mais qui ont aussi permis aux moustiques de prospérer, et avec les moustiques, le paludisme.

On a eu deux épidémies concomitantes, de peste et de paludisme. En très peu de temps, la population romaine est passée de un million à 20 000 personnes.

C’est effectivement ce qu’on appelle la fin du monde et la chute d’une civilisation, extrêmement rapide.”

Cette thèse est notamment celle de l’historien américain Kyle Harper dans “Comment l’Empire romain s’est effondré”, publié en 2019. Mais au-delà du parallèle avec la pandémie actuelle — fort heureusement bien moins mortelle — n’y-a-t-il pas des leçons à retenir de ce précédent historique tragique ?

Virginie Raisson-Victor en tire trois constats principaux, trois limites de l’Homme, bien visibles aujourd’hui :

1/ L’incapacité de l’homme à tenir compte de son environnement naturel : “on continue à construire dans des zones inondables, à déboiser… […] Il est temps que la nature, l’environnement, deviennent un sujet de droit.”

2/ L’impossibilité de se projeter dans le futur, de raisonner dans le temps long : “nos systèmes de gouvernance, nos décideurs, nos élus, nos dirigeants sont soumis à cette obligation de résultats rapides et mesurables, tangibles…”

3/ Le “toujours plus” est un besoin humain, dont il faut aujourd’hui s’affranchir… “Cet instinct qui nous a aidé à survivre jusqu’à maintenant, on ne peut plus s’appuyer dessus. Il est devenu extrêmement prédateur, c’est celui qui nous pousse à l’hyper-consommation. On est programmé sur le mode croissance”.

Outre l’Histoire, l’évolution récente des neurosciences peut aussi nous aider à éclairer l’époque… Virginie Raisson-Victor s’appuie notamment sur l’essai de Sébastien Bohler (“Le bug humain — Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher”) pour expliquer nos comportements, hérités de notre instinct primaire de survie.

Pour résumer très (très) rapidement : “nos neurones qui commandent notre instinct de survie ne sont jamais satisfaits et veulent toujours plus” explique-t-elle, avant d’en conclure qu’”il est temps de nous reposer sur notre intelligence (collective), pour donner des limites à ces injonctions de notre cerveau. L’avantage par rapport aux Romains, c’est que nous on sait, on a ces connaissances-là, on a cette conscience, on a ce sentiment d’urgence, on a les moyens…”

Tirer les leçons du passé pour mieux éclairer les décisions à prendre aujourd’hui, c’était aussi le thème d’une des tables-rondes de l’Athens Democracy Forum… En 430 avant JC., la ville de Péricles, à son apogée, est touchée par une épidémie de peste, causant la mort de près de 100 000 habitants, dans des conditions déplorables.

L’historienne Katherine Kelaidis, qui intervenait à Athènes et a consacré un article au sujet, considère que cet événement a durablement affaibli la démocratie athénienne et marqué le premier chapitre de sa fin.

“L”épidémie est arrivée en plein milieu d’une crise de confiance envers la classe politique. Elle a rendu manifeste, avec tous les cadavres qui s’entassaient dans la ville, les doutes que les Athéniens avaient déjà envers leur démocratie. La démocratie athénienne n’a pas survécu à cela, elle a continué sous une autre forme, en basculant progressivement dans l’autocratie. […] L’épidémie a bouleversé les croyances des Athéniens, elle a remis en question leur capacité à se gouverner eux-mêmes. Après cela, l’autoritarisme a pu s’imposer progressivement.”

De quoi donner à réfléchir…

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Benoit Zante

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