La bataille du temps

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
4 min readJan 10, 2020

Cette édition du CES, que j’ai suivis à distance cette année, est intéressante… car elle est l’illustration parfaite de ce qu’on pourrait appeler “la bataille du temps”.

D’un côté, le “Consumer Electronic Show” est le lieu où se bousculent toutes les solutions destinées à nous faire gagner du temps :
- Des véhicules autonomes, pour libérer le conducteur de la conduite,
- Des robots-livreurs pour éviter d’avoir à faire les courses ou aller chercher des colis à la Poste,
- Des appareils culinaires connectés, pour économiser sur le temps de préparation des repas (comme ce “Nespresso pour bébés”),
- Des lave-linges et frigos “powered by AI” (Bosch a par exemple annoncé que d’ici à 2025, 100% de ses produits seraient équipés d’IA ou conçus grâce à des IA),
- Des produits “smart home” pour automatiser la maison, de la porte d’entrée aux lumières en passant par son pommeau de douche (bon, ok, pour l’instant, je suis pas certain que la promesse de gain de temps soit vraiment remplie, tellement cet univers est complexe et fragmenté).

De l’autre côté, les acteurs des contenus, des médias et de la tech se battent (à armes souvent très inégales) pour capter un maximum de notre temps d’attention. Sur ce front, la “bataille du temps” entre aujourd’hui dans une nouvelle dimension, avec l’arrivée de Disney+, face à Apple, YouTube, Netflix, Facebook, Tiktok, Snapchat…

En attendant Qibi, un nouveau service de SVOD mobile, qui a levé plus d’un milliard de dollars et compte se différencier par la qualité de ses contenus et grâce à une fonctionnalité “disruptive” : la possibilité de basculer sans friction du format vertical à l’horizontal. Autre particularité : des contenus courts, propices au “snacking”.

Les médias “traditionnels” risquent bien d’être les premières victimes de cette surenchère pour capter notre attention. Incapables de lutter sur le terrain du divertissement, il leur reste les contenus “live”, comme les événements sportifs (mais pour combien de temps, alors qu’explosent des plateformes comme Twitch et qu’Amazon se met à racheter des droits sportifs ?) et l’information (un terrain délicat, sur lequel les plateformes n’ont jamais voulu se risquer à produire du contenu, à l’exception de Linkedin).

Dans le domaine de l’information, je suis prêt à faire le pari que face à un contexte geo-politico-climatique de plus en plus anxiogène, une grande majorité de la population mondiale préféra se recentrer sur elle-même et choisira de donner son temps à Netflix et consors plutôt qu’aux médias.

Je vois trois voies pour les médias qui entendent résister à ce mouvement :

  • opter pour l’infotainment, en privilégiant le buzz, le clash et le trash. C’est le modèle vers lequel basculent dangereusement les chaînes d’information en continu, et dans lequel la presse écrite britannique a déjà sombré.
  • investir dans la qualité, en ciblant un public exigeant prêt à payer, sous forme d’abonnement ou de dons : c’est par exemple le modèle de Monocle, qui cible un public de niche, mais aussi du Guardian et du New York Times, qui visent désormais une audience mondiale (mais il n’y a pas de la place pour beaucoup d’acteurs sur ce terrain).
  • miser sur le local et la proximité, en parlant des sujets qui touchent les gens, intimement, dans leur quotidien. Et utiliser ce lien comme un cheval de Troie pour pousser de l’information plus internationale. Ouest France, Nice Matin (avec son journalisme de solutions), le Parisien (avec ses podcasts) et la presse scandinave semblent offrir des pistes intéressantes à suivre.

Au niveau individuel, cette bataille de l’attention (ou, pour reprendre la formule, “du temps de cerveau disponible”) à laquelle se livre Hollywood et la Silicon Valley devrait nous inciter aussi à réfléchir et à reconsidérer nos choix… Si, au lieu de laisser notre temps aux acteurs de la (High)-tech, 2020 était l’année où chacun reprenait le contrôle sur son temps, pour les choses qui comptent vraiment ?

C’est ce que je voudrais vous souhaiter en ce début d’année : de faire le choix reprendre le contrôle de votre temps.

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