La Crise au Cameroun anglophone : un mal profond aux racines lointaines

L’euphorie qui a suivi la victoire des Lions Indomptables lors de la CAN 2017 ne devrait pas faire oublier la crise anglophone et ses plaies encore purulentes qui ne demandent qu’à être cicatrisées.

Équipe de Rédaction
La REVUE du CAIUM
8 min readApr 9, 2017

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Le Cameroun célébrant sa victoire à la Coupe Africaine des Nations, en 2017. Crédit photo : Sydney Mahlangu/Daily Maverick

Ce texte a été soumis par Thierry Santime, ancien étudiant de l’Université de Montréal et Bachelier en Économie et Politique. M. Santime a également écrit un texte sur la situation en Afrique du Sud, à lire ici.

Depuis fin 2016, les régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun sont vent debout pour protester contre ce qu’elles estiment être un traitement inégal, en leur défaveur de la part du gouvernement camerounais. Les manifestants soutiennent que le pouvoir est déconnecté de leurs réalités et ne semble opposer à leurs revendications, sinon des mesures répressives, un désintéressement ou un silence assourdissant. Pourtant, les protestataires font remarquer qu’ils expriment ces revendications via des canaux reconnus par la Constitution et les textes légaux en vigueur. Notons que la minorité anglophone représente environ 20% des 22.5 millions de Camerounais.

Bref rappel historique

Il est important de faire un bref rappel historique pour mieux appréhender les revendications actuelles.

Initialement, le Cameroun fut une colonie allemande. Après la Première Guerre mondiale, le Cameroun fut placé sous la tutelle de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU), et confié à la double administration française et britannique. Le territoire sous domination française acquit son indépendance en 1960. Peu de temps après, le territoire sous administration britannique s’émancipa lui aussi de sa subordination vis-à-vis de la Couronne.

Dans ce contexte, anglophones et francophones avaient convenu en 1961 de constituer une fédération à deux États. Le Cameroun occidental (anglophone) et la République du Cameroun (francophone) décidaient en ce moment-là de constituer la République fédérale du Cameroun et donc de se réunifier. Amadou Ahidjo de la République du Cameroun devint président de la République fédérale du Cameroun et John Ngu Foncha du Cameroun Occidental son vice-président. Toutefois, la fédération n’a pas fait long feu, en ceci que le Cameroun a retrouvé le statut d’État unitaire, suite au référendum organisé par le président Ahidjo en 1972. Ce retour à l’unitarisme étatique sur fond de marginalisation de la minorité anglophone fut le déclencheur d’un vent fluctuant ondoyant, mais solide d’animosités et de protestations des anglophones vis-à-vis du pouvoir central.

Ahmadou Ahidjo, président de la République du Cameroun, au côté de John F. Kennedy en 1962. Crédit photo : JFK Library Archives

Un ancien ministre et universitaire issu de la province du Nord-Ouest, par ailleurs fervent défenseur du bilinguisme, Bernard Fonlon faisait déjà remarquer en 1964, avant même le Référendum de 1972 qui a consacré l’unitarisme, dans un article intitulé « Construire ou détruire » paru dans la revue culturelle Abbia qu’il a fondée :

« Après la Réunification, on conduit sa voiture maintenant à droite, le franc a remplacé la livre comme monnaie, l’année scolaire a été alignée sur celle des francophones, le système métrique a remplacé les mesures britanniques, mais en vain ai-je cherché une seule institution ramenée du Cameroun anglophone. L’influence culturelle des Anglophones reste pratiquement nulle ».

Ce diagnostic poignant et incisif traduisait le malaise ressenti par de nombreux ressortissants des régions anglophones à propos de cette supposée volonté des autorités du pays de gommer de vastes pans de l’héritage culturel de la minorité anglophone pour assurer la prépondérance des régions francophones majoritaires.

Avec la fin du fédéralisme et l’instauration d’un État unitaire en 1972, la méfiance vis-à-vis du pouvoir central qui commençait à sourdre après la Réunification de 1961 et ses corollaires jugés défavorables aux régions anglophones n’a fait que se renforcer. Les velléités centrifuges et sécessionnistes apparaissent en ce moment-là.

Crise actuelle et Recommandations

Les autorités camerounaises ont souvent minoré l’importance, pour ne pas dire l’existence d’un « problème anglophone ». Pourtant, il suffit de mettre en veilleuse son positionnement partisan et procéder à un diagnostic objectif et désintéressé pour s’apercevoir du problème. Les évêques camerounais des régions anglophones ont justement fait ressortir dans leur mémorandum adressé au Chef de l’État en décembre dernier quelques-uns des traits ou éléments corroborant l’idée d’une politique deux poids, deux mesures, au détriment des régions anglophones et qui ont poussé les anglophones à manifester. Ces facteurs sont, entre autres :

  • La sous-représentation des anglophones dans les jurys des concours d’entrée aux grandes écoles, à la fonction publique, dans le gouvernement et les grandes instances décisionnelles en général;
  • La non-utilisation (ou un recours approximatif) de l’anglais (pourtant langue officielle, au même titre que le français) dans les examens d’État et les documents publics;
  • L’affectation d’une majorité de magistrats, personnel enseignant ou sanitaire francophone dans les régions anglophones;
  • La négligence des infrastructures de l’Ouest anglophone.
Manifestations des avocats anglophones. Crédit photo: Cameroonvoice.com

Les revendications de ces derniers mois ont d’abord été assez apolitiques avant de se muer en une véritable poussée de fièvre politique contre les velléités ou pratiques jugées sectaires et assimilationnistes du pouvoir de Yaoundé. Au départ, il s’agissait d’une série de grèves organisées par les enseignants et avocats anglophones pour dénoncer le peu d’intérêt que les autorités réservent à leurs desiderata. Ensuite, le conflit s’est généralisé et les revendications revêtent désormais un caractère militant et politique. Les ressortissants des régions anglophones qui manifestent ne veulent plus que le régime continue aisément à marcher sur leurs plates-bandes et à favoriser les régions francophones majoritaires.

Ils veulent avoir voix au chapitre et jouir d’une certaine autonomie dans la gestion de leurs territoires. Ils estiment en grande partie que le fédéralisme serait une meilleure option que l’unitarisme actuel, même si une relative minorité aux visées sécessionnistes n’hésite pas à sonner le tocsin en brandissant la carte séparatiste. Mais, dans le chef de revendications exprimées, l’option la plus plausible et en tout état de cause la plus défendue par les manifestants reste celle du fédéralisme.

En effet, dans un État fédéral, les compétences sont partagées entre le pouvoir fédéral et les entités fédérées. Il y a donc une plus grande autonomie et des pouvoirs plus importants concédés aux entités fédérées, qu’elles soient dénommées régions, provinces ou États.

En effet, il faut bien se rendre compte que malgré la promulgation d’une loi de décentralisation, en pratique, le Cameroun demeure un État fort centralisé. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes dans un pays à multiples sensibilités ethniques et culturelles. Certains auteurs et le parti politique de l’opposition SDF se déclarent pro-fédéralistes et pensent que pour éviter de fragmenter encore plus le pays, le gouvernement gagnerait à organiser une consultation populaire ou référendum sur la question du fédéralisme.

D’autres estiment qu’à défaut du fédéralisme, il est impérieux que le gouvernement camerounais s’emploie à exécuter son plan de décentralisation. De l’autre côté, le gouvernement et les défenseurs de l’État unitaire battent en brèche l’idée de fédéralisme soutenue par certains et insistent que l’unité nationale reste le gage de la paix et de la stabilité nationales et que cette unité nationale n’est mieux entretenue et garantie ailleurs que dans le cadre d’un État unitaire au Cameroun.

Le Président camerounais, Paul Biya. Crédit photo : FLS

En janvier dernier, le président Biya a signé un décret portant création de la « commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme », qui en son article 3 dispose : « la Commission est chargée d’œuvrer à la promotion du bilinguisme, du multiculturalisme au Cameroun, dans l’optique de maintenir la paix, de consolider l’unité nationale du pays et de renforcer la volonté et la pratique quotidienne du vivre ensemble de ses populations ». Le président a nommé depuis peu l’ancien premier ministre (1996–2004) anglophone Peter Musonge président de cette commission. On pourrait y voir une volonté du pouvoir de renouer le dialogue et les liens quelque peu distendus avec les régions anglophones. On ne peut en tout cas qu’espérer que cette commission accomplisse sa mission avec succès.

Pour finir, disons que plutôt que d’user de la loi de la force, il convient d’user de la force de la loi. Les lois en vigueur au Cameroun garantissent aux citoyens le droit à la liberté d’expression, d’organisation, de presse, de manifestation, entre autres, en autant- bien évidemment- que l’exercice de ces droits soit conforme au prescrit des textes. En dépit de quelques incartades, les manifestants n’ont pas eu recours à de méthodes hors-la-loi pour exprimer leurs revendications, mais n’ont fait qu’exercer pacifiquement et en toute légalité leurs prérogatives citoyennes. La tendance à couper internet dans les régions anglophones, réprimer les manifestants, expédier délibérément les leaders syndicaux et de la société civile protestataire dans les geôles et le refus du dialogue (venant d’un camp, comme de l’autre) ne peut que faire le lit des extrêmes : engrenage des discours haineux, violence, identité et unité nationale fissurée. Le dialogue est la voie qu’il faut privilégier.

Manifestations contre les répressions dans les régions anglophones Crédit photo: AfricaNews.fr

La Constitution camerounaise de 1996, en son article premier, déclare clairement que le « Cameroun est un État Unitaire décentralisé. Elle est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Cependant, de l’aveu même du gouvernement, par la voix du ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation René Emmanuel Sadi, on reconnaît le retard accumulé dans le processus de décentralisation. Ce ministre a déclaré en janvier dernier : « avoir engagé l’élaboration d’une stratégie nationale de la décentralisation dont la validation interviendra au cours de cette année. Une fois validé et mis en œuvre, ce document de stratégie donnera, à coup sûr, une impulsion nouvelle et une meilleure visibilité à notre processus de décentralisation, un processus qui, à l’évidence, suscite des attentes nombreuses et légitimes dont il faut, sans aucun doute, tenir le plus grand compte dans les différentes politiques publiques ».

Le gouvernement devrait sans tarder accélérer le processus de décentralisation pour permettre une gouvernance plus rapprochée et potentiellement plus efficace entre les administrés et leurs responsables politiques immédiats ou locaux. La décentralisation offre une marge de manœuvre importante aux autorités régionales/locales, qui éventuellement leur permettra de mieux se saisir des préoccupations des populations sous leur administration directe et renforcer le sentiment d’appartenance à la Nation.

Sources :

« Cameroun : le problème anglophone vu par les évêques. » http://www.mission-universelle.catholique.fr/sinformer/afrique/294368-cameroun-le-probleme-anglophone-vu-par-les-eveques/

Alain Nkoyock. 2017. « Le fédéralisme est-il porteur d’espoir » Jeune Afrique. http://www.jeuneafrique.com/396895/politique/crise-anglophone-cameroun-federalisme-porteur-despoir/

Célestin Bedzigui. « Le fédéralisme est la solution au Cameroun ». http://www.camer.be/56685/30:27/celestin-bedzigui-le-federalisme-est-la-solution-au-cameroun-cameroon.html

« Cameroun : le SDF se dit favorable au fédéralisme ». BBC Afrique. http://www.bbc.com/afrique/region-39402226

« Cameroun : pas de retour au fédéralisme ». BBC Afrique. http://www.bbc.com/afrique/region-38232646

« Cameroun, Vincent Sosthène Fouda : « Non au fédéralisme et encore moins à la sécession » http://www.camer.be/57477/30:27/cameroun-vincent-sosthene-fouda-34non-au-federalisme-et-encore-moins-a-la-secession34-cameroon.html

« Le fédéralisme au Cameroun : une arme à double tranchant ». http://www.camernews.com/le-federalisme-au-cameroun-une-arme-double-tranchant/

« Cameroun- Gouvernance : le gouvernement veut accélérer la décentralisation ». http://actucameroun.com/2017/01/26/cameroun-gouvernance-le-gouvernement-veut-accelerer-la-decentralisation/

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Équipe de rédaction du Comité des Affaires Internationales de l’université de Montréal, chargée de publier les textes soumis par les étudiants.