Le « paradis minier canadien »

Un secteur extractif louvoyant entre déficit de transparence et controverses multiples par Thierry Santime.

Équipe de Rédaction
La REVUE du CAIUM
10 min readJun 15, 2017

--

La mine de diamant de Diavik, Canada. Crédit photo : Mining.com

Ce texte a été soumis par Thierry Santime, diplômé de l’Université de Montréal au baccalauréat en Économie et Politique. M. Santime est actuellement tuteur en Science Politique et en Économie pour le compte des Carabins de l’UdeM et, en plus de cela, il est chargé des relations internationales du Centre culturel congolais de Côte D’ivoire. Récemment, il a aussi écrit un article sur la crise au Cameroun anglophone, à lire ici.

Le Canada fait partie des pays qui ont plutôt bonne presse à l’échelle internationale. Et on peut dire que grosso modo cette bonne réputation est loin d’être imméritée. Le pays offre un niveau et une qualité de vie assez agréables et soutenus, se veut peu ou prou avant-gardiste dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques et des droits des femmes et des minorités, en plus de faire montre d’une bonne « conscience humanitaire », entre autres.

Évidemment, le tableau n’est pas tout à fait immaculé, considérant qu’il y existe des inégalités de toutes sortes comme dans tous les pays, il y a également la lancinante question des « autochtones » qui demeure sujette à controverses et tensions. Néanmoins, notre propos de ce jour se veut circonscrit à la question des minières canadiennes qui bénéficient d’une législation préférentielle et d’un régime fiscal fort attrayant qui font du Canada un havre inestimable de ce secteur aux yeux des grandes corporations minières.

Jusque-là, on pourrait dire que c’est de bonne guerre, mais là où le bât blesse, c’est lorsqu’on s’aperçoit que les activités de ces minières dans les pays du Sud s’exercent souvent dans un contexte déréglementé, opaque et sans grand bénéfice pour les populations locales alors même que ces corporations garnissent insatiablement leur portefeuille d’actions cotées en bourse.

Controverses multiples

Les exemples illustrant les abus des sociétés minières dans les pays du Sud sont légion. En 2009, le gouvernement norvégien avait décidé de retirer ses placements dans la société canadienne Barrick Gold, première compagnie aurifère à l’échelle mondiale suite à une enquête à la mine de Porgera, en Papouasie-Nouvelle-Guinée ayant révélé des activités comportant un risque «inacceptable de dommages majeurs et irréversibles à l’environnement». [1]

Ouvrage censurée d’Alain Deneault: “Noir Canada”. Crédit photo: Canal Savoir

C’est la même compagnie minière qui a poursuivi l’essayiste et philosophe Alain Deneault après son ouvrage « Noir Canada » publié en 2008 (lequel a été censuré, après des négociations avec la minière), un livre-réquisitoire contre les présumées pratiques de pillages et d’abus de toutes sortes auxquelles se seraient livrées des compagnies canadiennes de l’industrie minière, dont Barrick. Dans son livre « Paradis sous terre » paru en 2012, le même auteur est revenu à la charge en dénonçant des pratiques de « pillage, expropriations violentes de populations, pollution durable de vastes territoires » de l’industrie minière « aveuglément tournée vers le profit ». Des pratiques non sanctionnées qui font du Canada la « Suisse des Mines ». [2]

En 2009, deux militants écologistes qui étaient opposés au projet de mine d’or de la Canadienne Pacific Rim Mining Corp au El Salvador seront retrouvés assassinés.[3] Par ailleurs, selon un rapport de l’International Network for Economic and Cultural Rights (ESCR) présenté en 2008 devant le conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies, des témoignages font état d’expulsions brutales de mineurs par la police. Au cours de ces expulsions violentes, 65 mineurs auraient été enterrés vivants par la police dans des puits de mine. [4]

Enfin, je donnerais un dernier exemple, évoqué dans un mémoire de maitrise en droit international publié en mai 2016 à l’UQAM qui met au jour les abus de la Compagnie minière canadienne Bear Creek Mining au Pérou qui a eu maille à partir avec les autorités de ce pays. Suite à des conflits sur le terrain, au cours desquels plusieurs individus qui s’opposaient au projet extractif eurent trouvé la mort après une confrontation avec la police locale, le gouvernement péruvien prit l’initiative de retirer à cette compagnie son permis d’exploitation. Mal lui en prit.

Confrontation entre des manifestants opposés au projet minier de la compagnie canadienne Bear Creek Mining et la police anti-émeute péruvienne. Crédit photo : The Star

En effet, dû à une « absence d’encadrement contraignant du point de vue du droit social », la compagnie minière a eu le loisir de poursuivre le gouvernement péruvien.[5] Même si une décision n’a pas été encore rendue à notre connaissance, l’auteure du mémoire fait ressortir deux remarques assez édifiantes : primo, Bear Creek conteste la décision du gouvernement péruvien de mettre fin au projet d’exploration et ensuite, cette compagnie contourne la procédure judiciaire débutée devant les tribunaux du Pérou et se tourne vers l’arbitrage international sans même daigner épuiser les voies de recours internes. Ces quelques exemples sont illustratifs des méfaits des activités des sociétés extractives canadiennes dans les pays du « Sud ».

Déficit de transparence et d’imputabilité des minières

En effet, il convient de noter que le Canada abrite près de 60% des sociétés mondiales d’exploration ou d’exploitation minière, spécialisées dans des minerais aussi variés que le cuivre, le coltan, le cobalt, le fer, l’or, les diamants et bien d’autres. Par ailleurs, la plupart de ces multinationales sont cotée en Bourse à Toronto.[6]

Le TSX, la Bourse de Toronto où près des deux tiers des minières sont enregistrées. Crédit Photo: La Presse.

La fiscalité canadienne reste très attractive pour les grands groupes miniers internationaux, notamment grâce aux « actions accréditives » qui leur permettent de trouver facilement du financement, étant donné que les investisseurs qui achètent des actions de la mine se voient gratifiés en fin d’année d’un crédit d’impôt et de réductions fiscales.

Il n’existe aucune mesure ou législation contraignante, de nature à dissuader ces sociétés à se livrer à des abus, pillages et actes de corruption dans les pays où ils s’implantent. À l’heure actuelle, seuls des codes de conduite «volontaires» font office de dispositif réglementaire. Autrement dit, on compte sur la bonne foi des sociétés minières pour faire preuve de responsabilité sociale et environnementale. Pas d’incitatifs négatifs donc face aux comportements véreux des minières, on s’en tient à un discours «policé» vis-à-vis de cette puissante industrie.

Il est vrai qu’il n’y a pas de consensus à propos de l’application d’un droit de regard et l’intervention étatique (du pays d’origine) dans les activités des multinationales implantées à l’étranger. Les courants libertariens, un grand pourcentage des lobbyistes et des puissantes organisations corporatives et patronales s’inscrivent en faux contre les velléités de transparence et de réglementation exprimées par de nombreuses ONG, des groupes de la société civile, des parlementaires et chercheurs, entre autres.

Pour ma part, je pense que l’on se doit d’être conscient que dans de nombreux pays du « Sud » où exercent ces compagnies, il y a sans contredit des failles importantes du système judiciaire, des institutions minées par la corruption, une absence de reddition de comptes et donc une impunité récurrente. Il importe de faire preuve de responsabilité étatique et d’encadrer de façon contraignante les activités des minières dont les nombreux abus ne sont plus à démontrer.

Je trouve assez intrigant le fait que le gouvernement canadien arbore une rhétorique droit-de-l’hommiste, écologiste et les valeurs universelles dont le Canada se veut un défenseur de premier plan, mais semble fermer les yeux devant les abus des minières. Du fait de l’absence de cadre réglementaire contraignant, ces dernières se retrouvent avec carte blanche.

Il est facile de comprendre que les intérêts stratégiques de l’État et l’influence des grands groupes d’intérêt miniers rendent la tâche peu aisée. Néanmoins, je trouve peu honorable de faire fi des conséquences néfastes au sein des communautés locales des activités des minières canadiennes.

Comme le soutient la professeure Nicola Jägers : « The State is not responsible for the acts of the private entity but for the failure to prevent the act. The acts of private persons then constitute an external event, which serves as a catalyst for the wrongfulness of the State’s conduct ». [7]

Aux États-Unis voisins, malgré un lobbying intense des intérêts miniers, l’administration Obama a pu mettre en œuvre, grâce à un vote au congrès la loi Dodd-Frank, promulguée en 2010 qui contient un dispositif incitatif qui tend à favoriser la responsabilité sociale des entreprises opérant dans la région des Grands Lacs, notamment sur leurs activités en République Démocratique du Congo en proie à des conflits et à une instabilité depuis de nombreuses années :

« La section 1502 constitue une obligation de divulgation au titre de laquelle les entreprises se doivent d’établir si leurs produits contiennent des minerais du conflit — en soumettant leur chaîne d’approvisionnement à une diligence raisonnable — et d’en rendre compte à la Securities and Exchange Commission (SEC). »[8]

Pour ce faire, ces entreprises doivent passer par un processus de certification placé sous l’autorité de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), une entité interétatique réunissant 12 pays. Même si cet effort de transparence n’a pas forcément arrangé les mineurs congolais qui ont connu une baisse de leurs revenus, la traçabilité qui est promue par cette loi est un objectif noble et louable.[9]

Selon le « Le Great Lakes Peace Initiative Center (GLPIC) », un centre de recherche composé d’une dizaine de jeunes chercheurs congolais, « grâce à la Loi Dodd Frank, l’est de la RDC compte à ce jour plus de 220 sites miniers certifiés verts, plus de 300 éléments de la police des mines formés et déployés pour la sécurisation des sites miniers, un mécanisme d’audit indépendant, et un système régional de certification ».

Au Canada, des projets de loi proposant d’instituer un cadre législatif et réglementaire des activités minières n’ont pas manqué. Seulement, ils n’ont pas connu le succès escompté. C’est le cas du projet de loi C-300 sur « la responsabilisation des sociétés à l’égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement » qu’avait déposé en février 2009 à la Chambre des Communes le député libéral John McKay. L’objectif principal visé était de « s’assurer que les sociétés qui exercent des activités extractives et qui bénéficient d’un appui du Gouvernement du Canada agissent conformément aux pratiques exemplaires internationales en matière d’environnement et respectent les engagements du Canada à l’égard des normes internationales en matière de droits de la personne ». Fort malheureusement, comme indiqué, le projet n’a pas fait long feu.

Complaisance et impunité envers les compagnies minières sur la sellette

Comment expliquer que le gouvernement du Canada est si enthousiaste à offrir des crédits fiscaux aux minières, mais rechigne à améliorer la transparence et la reddition de comptes dans ce secteur stratégique?

Les codes de bonne conduite qui existent actuellement s’appliquent sur une base volontaire et les deux bureaux gouvernementaux[10] chargés de promouvoir ces codes concernant la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) ne sont ni habilités à mener des enquêtes, encore moins à sanctionner les entreprises fautives ou indemniser les victimes. Ces organismes n’ont comme pouvoir que de recommander de retirer le soutien de l’ambassade canadienne.

Il me semble que face à l’appétit vorace du lucre dont font preuve ces minières, bien souvent aux dépens du bien-être social des populations locales, le gouvernement canadien ne devrait pas se soustraire à ses responsabilités, d’autant plus que ces entreprises bénéficient du soutien financier et diplomatique de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), un organisme public.

Tel que mentionné précédemment, le gouvernement canadien n’est pas directement comptable des abus des minières, mais par le simple fait qu’il n’a pas mis en œuvre un mécanisme efficace et contraignant pour prévenir et sanctionner de tels actes, il a une part de responsabilité indéniable. Comme l’a bien résumé Jamie Kneen de l’ONG Mining Watch : «Tant que le gouvernement du Canada ne fera pas partie de la solution, il continuera de faire partie du problème.»

Bibliographie

[1] Barrick Gold: Sur la liste de noir de la Norvège. [En Ligne]. http://meteopolitique.com/Fiches/mine/ethique/03/norvege_fonds_ethique_barrick.htm

[2] Deneault, Alain et William Sacher. 2012. « Paradis sous terre ». Écosociété: 192 p. http://ecosociete.org/livres/paradis-sous-terre

[3] Blavette, Bernard. 2014. « Le secteur minier en accusation ». Dans Association pour l’Économie Distributive.[En ligne]. http://www.economiedistributive.fr/Le-secteur-minier-en-accusation,3354#nb3

[4] « Collective Report on Business and Human Rights » Submission to the 8th Session of the United Nations Human Rights Council. June 2008. [En ligne]. https://docs.escr-net.org/usr_doc/BHRCollectiveReport_ESCR-Net.pdf p. 22

[5] Caroline Brodeur. 2016. « Coopération au développement et industrie minière : le cas canado-péruvien ». Mémoire présenté dans le cadre de la maîtrise en Droit International à l’UQAM, p. 6.

[6] Levacher, Claire. 2011. « Réglementation Canadienne concernant les industries minières et les peuples autochtones ». Dans Groupe international de travail pour les peuples autochtones. [En ligne]. http://www.gitpa.org/web/Code%20Minier%20Canada-Relu.pdf

Shaub, Coralie. 2013. « Le Canada est très complaisant avec l’industrie minière ». Libération. Interview d’Alain Deneault. [En ligne]. http://www.liberation.fr/futurs/2013/11/10/le-canada-est-tres-complaisant-avec-l-industrie-miniere_945980

[7] N. Jägers . 2002. « State Responsibility », Corporate Human Rights Obligations : In Search of Accountability. Anvers : Intersentia, p.138, cité dans « Le comportement des firmes canadiennes : responsabilité de la part du gouvernement canadien au niveau du droit international ». Marc-André Anzueto. 2006, p.9.

[8] Global witness. « Section 1502 de la loi Dodd-Frand sur les minerais du conflit ».[En ligne]. https://www.globalwitness.org/sites/default/files/library/110817_Dodd%20Frank%20Briefing_FR.pdf

[9] Tapper, Griff. 2017 « Minerais du sang: la “loi Obama” à l’épreuve de la réalité congolaise ». Courrier Picard. [En ligne]. http://www.courrier-picard.fr/27728/article/2017-05-03/minerais-du-sang-la-loi-obama-lepreuve-de-la-realite-congolaise

[10] Les deux principaux bureaux sont le Bureau du conseiller en responsabilité sociale des entreprises (RSE) de l’industrie extractive (le « Conseiller en RSE ») et le Point de contact national (PCN) du Canada pour les Principes directeurs de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) à l’intention des entreprises multinationales (le « PCN »). http://cnca-rcrce.ca/fr/recent-works/nouveau-rapport-la-marque-canada-violence-generalisee-et-des-compagnies-minieres-canadiennes-operant-en-amerique-latine/

--

--

Équipe de Rédaction
La REVUE du CAIUM

Équipe de rédaction du Comité des Affaires Internationales de l’université de Montréal, chargée de publier les textes soumis par les étudiants.