La médecine préventive retoquée en France

CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales
9 min readSep 26, 2018
Best-seller écrit par Frédéric Beigbeder

Pourquoi embêter les automobilistes avec la ceinture de sécurité car celle-ci n’est utile qu’en cas d’accident ? Il n’y a qu’à attendre que les gens soient hospitalisés. C’est le raisonnement appliqué en matière de santé publique en France. On fait de la médecine curative, et on est bons dans ce domaine (les meilleurs ?), du moins on essaie. La médecine préventive n’intéresse pas l’establishment médical, ni les politiques, ni (paraît-il) la société.

Le biologiste français Patrick Merel (Portable Genomics, San Diego) commentait ce matin :

“Je lis Le Monde. Le comité d’éthique, enfin, Delfraissy n’est pas favorable à l’ouverture des tests de génomique à la population française ! On est repartis pour 7 ans de chasse aux sorcières, triste.” Il précise néanmoins :

“Le comité semble cependant favorable au séquençage pré ou perinatal pour raison médicale, avec remboursement sécu.

Le débat reste cependant sur pourquoi nous n’avons pas le droit de connaître notre génome quand on est en France et bien portant. Cette position française n’a pas changé depuis 10 ans et plus.”

Je lui demande aussi comment il voit le premier “transhumaniste”, est-ce qu’il existe déjà (juste bébé ou déjà adulte ?) et quel sera(it) son plus grand accomplissement ?

“Pour les transhumanistes aujourd’hui, voir le bouquin de Beigbeder qui a essayé pleins de trucs, style renouvellement de son sang, etc., dans “Une Vie sans fin”. Ils existent donc déjà. De même que les récents Parkinson et paraplégiques avec implants électroniques qui changent déjà leur vie.

« La vie est une hécatombe. 59 millions de morts par an. 1,9 par seconde. 158 857 par jour. Depuis que vous lisez ce paragraphe, une vingtaine de personnes sont décédées dans le monde — davantage si vous lisez lentement. L’humanité est décimée dans l’indifférence générale.
Pourquoi tolérons-nous ce carnage quotidien sous prétexte que c’est un processus naturel ? Avant je pensais à la mort une fois par jour. Depuis que j’ai franchi le cap du demi-siècle, j’y pense toutes les minutes.
Ce livre raconte comment je m’y suis pris pour cesser de trépasser bêtement comme tout le monde. Il était hors de question de décéder sans réagir. »
F. B.

Contrairement aux apparences, ceci n’est pas un roman de science-fiction.

Je m’interroge sur cette profonde réticence, une tendance lourde, donc, à passer du curatif au préventif. Et je cherche, pour commencer, dans mes souvenirs personnels …

J’ai été ballerine professionnelle, ce qui veut dire que très jeune on se trouve confrontée à une âpre sélection, des infos confidentielles et pointues sur sa santé — j’attends que le séquençage de mon génome m’en apprenne autant que les médecins de l’Opéra de Paris quand j’avais 12 ans — et on côtoie des gens célèbres régulièrement, alors qu’on n’a pas 15 ans. Roland Petit, Maurice Béjart, Patrick Dupond et son pote de l’époque le chanteur Francis Lalanne, Rudi Nureyev, Margot Fonteyn etc, tout cela faisait irruption en coulisse, en cours, à la cantine, en classe. Bref le gratin du milieu du ballet d’antan. Bien sûr on les voyait aussi sur scène, souvent. Mais passons au point qui nous intéresse ici. J’ai aujourd’hui 50 ans. Quand j’en avais 11, à ma rentrée de collège en sixième, si mes souvenirs sont exacts, le médecin de l’Opéra de Paris me convoque, je suis accompagnée de mon père. C’est la visite médicale annuelle, le bilan commenté par le médecin en chef ou en charge. Il est déjà au courant des risques Parkinson et autres Alzheimer dans ma famille proche … Quelques années plus tard, effectivement, mes grands-parents côté maternel et (longtemps après) ma grand-mère côté paternel décéderont d’une maladie neuro-dégénérative, dont un Alzheimer malheureusement très violent pour ma grand-mère côté maternel, qui a choqué et peiné tout le monde dans la famille. Elle n’était plus du tout la personne que nous connaissions si bien et que nous aimions tant. Pourtant, lorsque j’avais 11 ans, il y avait déjà des signes avant-coureurs pour cet Alzheimer, à bien y réfléchir. J’ai aujourd’hui un oncle proche, côté paternel, qui a un Parkinson hélas assez avancé. Je partage beaucoup de patrimoine génétique en commun avec cet oncle. Bien. Faisons à nouveau un saut en arrière. Revenons à mes 11 ans. Comment le médecin s’y prend-il pour expliquer à une gamine et à son père qu’il y a un risque élevé chez moi de maladie neuro-dégénérative et quoi faire, en matière de prévention, alors qu’il n’y a pas vraiment de traitement pour ces redoutables maladies ? C’est très simple. Il m’explique que les examens et pièces d’imagerie médicale (de l’époque) ont montré que mes neurotransmetteurs fonctionnaient mal, et que la communication au sein de mon système nerveux avait tendance à être laborieuse et pas très bonne, et que cela allait empirer. On sait aujourd’hui que les gens qui ont Parkinson ont un déficit en dopamine.

“La maladie de Parkinson est une maladie neurologique dégénérative, les neurones dopaminergiques (situés dans la substance noire du cerveau) sont touchés et dégénèrent ; puis disparaissent progressivement.

La fonction de ces neurones est de fabriquer et de libérer la dopamine.” (source)

“La dopamine (DA) est un neurotransmetteur, une molécule biochimique qui permet la communication au sein du système nerveux, et l’une de celles qui influent directement sur le comportement. La dopamine renforce les actions habituellement bénéfiques telles que manger un aliment sain en provoquant la sensation de plaisir ce qui active ainsi le système de récompense/renforcement. Elle est donc indispensable à la survie de l’individu. Plus généralement, elle joue un rôle dans la motivation et la prise de risque chez les mammifères donc chez l’homme. Cette molécule est également impliquée dans certains plaisirs abstraits comme écouter de la musique 2.” (Wikipedia)

“Il va falloir que tu transpires toute ta vie, car transpirer sera excellent dans ton cas. Cela favorisera la production de dopamine. Fais du sport, danse, cours, tout ce que tu veux tant que tu bougeras, c’est pour toi l’assurance que tu iras mieux.”

Je devais faire une drôle de tête, impressionnée par toute l’attention qu’on me portait. Je n’allais alors chez le médecin de famille que pour y faire les vaccins requis et lorsque j’avais des maladies du style varicelle, coqueluche etc. J’ai tout eu, d’ailleurs, sauf la scarlatine, donc le médecin de famille, je l’ai vu souvent. Ce médecin-là, c’était autre chose. Il a clôturé son discours en souriant, il s’est levé, signifiant que l’entretien était fini, et a dit en serrant la main de mon père :

“Vous avez fait le bon choix. Votre fille va pouvoir s’épanouir dans la danse, tout en préparant au mieux son capital santé pour quand elle sera plus âgée.” Mon père était un peu désorienté, tout comme moi. Il n’y était pour rien dans mon choix de faire de la danse. Par contre, lui a fait pendant très longtemps du tennis et du vélo à haut niveau. Un sportif assez accompli … Il a dû me transmettre le goût de l’endurance, de l’effort (épigénétique ? On le saura peut-être un jour pas si lointain).

Ca, pour transpirer, on transpirait. J’étais une technicienne de l’effort relativement à la hauteur … Alors, ça veut dire que j’ai fait le bon choix, avais-je pensé dans ma tête de collégienne. Pour moi, c’était une première. En effet, nous avions l’habitude de voir les choses par l’autre bout de la lorgnette : il fallait être choisi (pour l’examen, le prochain ballet, etc.). Il fallait tout le temps réussir à être choisi(e). Ce médecin était bien le premier, à ma connaissance, à prendre le problème à l’envers et à me dire qu’il s’agissait de mon choix … Nous ne vivions tous et toutes que pour une seule chose : être choisi(e). J’ai dû décider que ce médecin était un extraterrestre, envoyé du futur ou bien d’un autre monde. Un monde parallèle ? Mais j’ai retenu le message de cet extraterrestre, tout le temps, toujours. Venu du futur ou d’un monde parallèle, il m’avait fait ce jour-là un précieux cadeau, que j’apprenais à apprécier à sa juste valeur.

Continuons à progresser dans le temps et venons-en à mes trente ans. Je travaille à Intuitive Surgical Europe, pour implanter en Europe la chirurgie mini invasive assistée par ordinateur, nous sommes au début des années 2000. C’est dur, on rencontre beaucoup de résistance dans le milieu médical et chirurgical, et aussi et surtout de grands obstacles financiers (ah, les actionnaires d’Intuitive Inc. !), on entend parler maladie et mort, c’est la vie de startup mais comme si on bossait à l’hôpital. Moins fun que la Californie. J’ai moins de temps pour m’entraîner et passe plus de temps au bureau. Un de mes patrons me prend à part, un jour — il a dû voir mon bilan médical, ou bien tout simplement il a l’oeil, il voit que je me traîne, sans mon enthousiasme habituel :

“Catherine, tu ne fabriques pas assez de dopamine, il faut que tu ailles courir régulièrement, faire du sport, cela t’aidera.”

Ma seconde chance en prévention, qui me venait à nouveau du milieu médical. Aujourd’hui, à 50 ans, j’ai fait des choix professionnels qui tiennent compte de ces avis. Je vis la moitié de l’année en pays chaud (en faisant attention au soleil sur la peau tout de même) et aménage mes horaires de manière à avoir le temps de faire de la gym et de l’athlétisme. Si j’ai le sentiment de prendre ma santé en main ? Oui, dans la mesure de mes possibilités, même si cela, j’en ai bien conscience, n’a rien à voir avec le transhumanisme. C’est juste de la médecine préventive, dans la mesure de mes capacités.

Pourquoi n’avons-nous pas le droit de connaître notre génome en France quand on est bien portant ? Tout le monde n’a pas la chance de travailler entouré(e) de médecins de l’Opéra de Paris dès son plus jeune âge, ou de chirurgiens attentifs et bienveillants.

Je suis très reconnaissante à l’école de l’Opéra de Paris pour ce que j’y ai appris sur ma santé et mes risques durant mes années en tant que ballerine, et à mon patron chirurgien à Intuitive Surgical, qui travaille à présent dans le domaine de la chirurgie non invasive comme indication pour les maladies liées au reflux gastro-oesophagien (Californie).

https://www.endogastricsolutions.com/endogastric-solutions-inc/management-team/#md

A-t-on retenu et utilisé contre moi à un quelconque moment ces informations sur mes risques médicaux, dans ma carrière de ballerine, ou en tant que cadre à Intuitive Surgical Europe ? La réponse est non, dans aucun domaine. Les assurances m’ont-elles pénalisée financièrement pour cette raison ? A nouveau, la réponse est non. A l’aune de mon cas particulier (je n’ai pas l’intention de faire plus dans cette chronique biomédicale), je plaide pour que quelque chose de plus égalitaire (encore une fois, tout le monde n’est pas destiné à être ballerine et/ou à travailler entourée du corps médical le plus compétent au monde), par exemple le séquençage de génome, vienne donner à plus de gens les atouts pour mieux préparer le terrain du risque médical lié à chacun (différent pour chacun et chacune). Bouger le curseur du médical plus vers la prévention. Cette prévention que j’ai reçue comme un cadeau inattendu, j’essaie d’en tenir compte chaque jour, pour l’organisation de mon quotidien et pour celle de ma vie professionnelle et privée.

Est-ce qu’avoir connaissance de ces informations à l’âge de 11 ans a changé ma vie ? Je réponds oui sans hésiter.

La ceinture de sécurité dans la voiture, cela ne sauve que ceux qui auront un accident. Pour autant, tout le monde doit la porter, car on ne sait pas à l’avance qui en bénéficiera. C’est une petite gêne pour tout le monde, mais un grand bienfait pour les conducteurs et passagers qui hélas expérimenteront une collision ou un accident. Pour en lire plus, voir ma chronique biomédicale intitulée “C’est quoi, la médecine génomique de précision, et c’est pour qui ?” (mai 2018)

Le livre qui a changé ma vie, à l’âge de 9 ans. C’est justement mon oncle atteint de Parkinson qui me l’avait offert, alors que je récupérais à l’hôpital après une opération de l’appendicite …

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CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales

MITx EdX 7.00x, 7.28.1x, 7.28.2x, 7.QBWx certified. Early adopter of scientific MOOCs & teacher. Editor of The French Tech Comedy.