Le membership s’exporte jusqu’à Séoul !

Thomas Deszpot
Le blog de L'imprévu
4 min readMar 28, 2018

Si l’on m’avait dit, il y a encore quelques années, que se lancer dans la création d’un média me permettrait un jour de voyager en Corée du Sud, je n’y aurais sans doute jamais cru. Et pourtant…

Le 23 mars, j’ai pris la parole à la tribune, à l’occasion d’une conférence sur les évolutions du journalisme entraînées par la révolution numérique. Dans un amphithéâtre de l’université nationale de Séoul, j’ai fièrement présenté le nouveau modèle économique de L’imprévu, débattu de sa portée et de ses enjeux. À mes côtés : deux enseignants coréens, ainsi que la journaliste et chercheuse suisse Marie Rumignani, dont l’intervention s’est focalisée sur la manière dont les médias s’adressent à la jeunesse. Nous nous relayons pour une série de prises de parole calibrées, traduites — merci à elles — , par de courageuses interprètes. Le public, en majorité coréen, se saisit d’une oreillette pour suivre le fil des présentations.

Plus familier du monde anglo-américain, dans un pays où la langue de Shakespeare est enseignée en masse, notre auditoire doit cette fois s’adapter. Et pour cause : les deux débats de l’après-midi, en ce début de printemps, interviennent dans le cadre de la fête de la francophonie ! Aux côtés des conférenciers « locaux », se côtoient ainsi le rédacteur en chef numérique du quotidien suisse Le Temps, ou le correspondant français de Libération à Séoul.

(CC BY-NC-SA Thomas Deszpot)

À l’initiative de ces rencontres, les ambassades françaises et suisses, qui ont organisé l’événement et se sont chargées de la logistique. Le financement, lui, provient du ministère coréen des Affaires étrangères. Aparté transparence : c’est lui qui a financé les billets d’avions, l’hébergement pour 3 nuits à Séoul ainsi que les divers frais liés à ce déplacement (200 000 won, soit environ 160 euros).

Du décalage à l’enthousiasme

Hasard du calendrier, ma présentation a coïncidé très précisément avec le lancement de la nouvelle version de L’imprévu. Dépasser le cadre contraignant du paywall, s’affranchir des logiques de frustration chez les internautes, transformer les abonnés en « lecteurs-membres », proposer un prix libre… Si ce modèle repensé détonne dans la presse en ligne française, il s’est révélé tout aussi déroutant pour le public coréen.

À Séoul, comme dans le reste du pays, les médias peinent à valoriser les contenus payants sur leurs sites. Une situation qui ne nous est pas si étrangère et qui explique sans doute l’intérêt des spectateurs dans la salle, curieux de découvrir ce modèle importé des États-Unis et qu’a décidé d’adopter L’imprévu. À peine les échanges terminés, plusieurs personnes me tendent leur carte de visite, me glissent quelques mots. Un homme d’un certain âge tente de me dire quelque chose mais bafouille, l’anglais n’est visiblement pas son fort. Qu’importe, il demande à une dame de nous prendre en photo côte à côte.

(CC BY-NC-SA Thomas Deszpot)

Si la dimension économique de notre projet étonne, son ambition éditoriale surprend tout autant. Une dame rebondit sur ma présentation du site, se demande comment nous parvenons à donner une mémoire à l’information alors que si peu d’archives sont disponibles en ligne. Surpris, je lui réponds qu’au contraire, Internet constitue pour nous un formidable outil pour plonger dans le temps, qu’une myriade de contenus s’offrent à nous, à portée de clics. Cette incompréhension s’avère légitime : une personne connaissant bien les deux pays prend alors la parole afin d’expliquer qu’en Corée du Sud, il n’existe aucun équivalent à notre fameux Institut national de l’audiovisuel. Les archives se retrouvent dans le domaine privé, et rares sont les médias qui mettent à dispositions des articles ou reportages diffusés voilà plusieurs années.

Richesse et reconnaissance

De cet étonnant voyage au pays du matin calme, je retiendrai plusieurs choses. La chaleur humaine des Coréens tout d’abord, respectueux, curieux et toujours prêts à partager les multiples facettes de leur culture. Intrigués par le membership et désireux d’en savoir plus, des membres du public m’ont proposé un café le lendemain de la conférence. Nous passerons finalement une bonne partie du weekend ensemble…

(CC BY-NC-SA Thomas Deszpot)

Fascinant à titre personnel, ce séjour prend également une dimension symbolique pour L’imprévu. Après des passages remarqués sur France Info ou France Culture il y a peu, ou la publication d’une dépêche par l’Agence France Presse annonçant la sortie de notre nouveau site, voilà donc notre média qui s’exporte. Il s’agit d’une première, qui en appellera je l’espère d’autres dans le futur.

Ces quelques jours passés à 9 000 kilomètres de la France m’auront enfin permis de mesurer à quel point les questions qui nous animent s’avèrent globales. Inquiets pour leur indépendance et déplorant les pressions exercées à leur encontre, des nombreux médias coréens se sont mobilisés ces derniers mois. Ils réclament, entre autres, une plus grande liberté éditoriale, particulièrement au sein de la télévision publique. À Séoul, la manière d’intégrer les outils numériques au quotidien des journalistes fait face aux mêmes écueils qu’en France, et font craindre des dérives identiques (perte de repères, productions de moindre qualité, manques de formation…). Sans parler des « fake news », dont l’ombre plane sur nos deux pays.

Avides de nouvelles technologies, les Sud-Coréens pourraient devenir des pionniers en déployant à grande échelle des robots-journalistes. Spécialiste du sujet, un professeur de l’université de Séoul a bluffé toute la salle en montrant ces machines fonctionner et rédiger le compte-rendu d’un match de baseball. Le futur est déjà parmi nous, qu’on se le dise, à nous désormais de savoir l’accueillir.

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Thomas Deszpot
Le blog de L'imprévu

Journaliste ouèbe, cofondateur de @limprevu. Je chasse l’ornithorynque dans les couloirs à mes heures perdues.