Entre proximité et intimité

Comment densifier la ville sans dégrader la qualité de vie ? Le point sur les défis de la (nécessaire) densification urbaine.

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7 min readApr 19, 2022

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Demain les villes seront denses. Elles devront l’être. Car l’étalement urbain jusqu’alors privilégié pour répondre à l’urbanisation croissante n’est plus viable. Littéralement. Il menace les espaces agricoles et donc l’autonomie alimentaire. Il appauvrit la biodiversité. Il renforce la vulnérabilité des territoires aux aléas climatiques comme les canicules ou les inondations. Mais pour que la densité ne soit ni synonyme de promiscuité ni créatrice de stress et de nuisances, elle doit prendre des formes qui renforcent les sentiments de convivialité, d’accessibilité et de qualité de vie des habitants sans empiéter sur leur intimité. Un numéro d’équilibriste certes, mais faisable.

Illustration du rapport de Terra Nova sur la « Ville compacte » (Terra Nova)

D’ici 2050, le principe de zéro artificialisation nette (ZAN) se sera imposé sur tous le territoire français contraignant les collectivités, acteurs de l’urbanisme et de la construction à faire la ville sur la ville. A densifier donc.

Or la densité reste largement perçue comme un frein au bien vivre car largement associée, dans notre pays au moins, aux grands ensembles de tours érigés en « banlieue » dans les années 1960 et 1970.

Densité réelle et densité ressentie

Mais « la forme urbaine change la perception de la densité par ses habitants », souligne le think tank Terra Nova dans son étude « La Ville Compacte », publiée en février 2022. « À densité égale de logements ou d’habitants, des espaces ségrégés et mal entretenus sont perçus comme plus denses, stressants et même parfois plus hostiles que des espaces accessibles et partageables. Ainsi, les « grands ensembles » ne représentent pas le niveau de densité maximal, bien qu’ils induisent souvent des représentations inverses. Au contraire, la ville haussmannienne reste attractive malgré un niveau de densité maximal », poursuivent les auteurs.

À l’échelle mondiale, Paris est en effet la seule grande ville à présenter une densité supérieure à 20 000 hab./km². Derrière on trouve Séoul avec 15 944 hab./km². Et les capitales européennes sont loin derrière avec 4308 hab./km² pour Berlin, 1785 pour Londres ou encore 833 pour Madrid.

Les différentes typologies de bâtis selon la densité bâtie (Terra Nova)

En réalité, ce n’est donc pas le nombre d’habitants par kilomètre carré qui donne son caractère peu attractif à une ville mais bien la perception de trop plein qu’elle peut renvoyer. Ainsi, analyse encore Terra Nova, « la qualité de l’espace public, la facilité d’accès, l’ouverture à des usages conviviaux sont des éléments centraux de la perception de la « densité » par les habitants. La largeur des rues, les vides et les pleins, la présence de places publiques ou de squares, la circulation de l’air, la facilité de déplacement, la qualité de l’éclairage public, la luminosité des logements, l’isolation phonique, l’absence de vis-à-vis… tout cela influence la manière dont les habitants ressentent la présence du nombre en ville ».

De la mixité, de l’intensité, de l’air et de l’animation

Pour rendre la ville dense agréable, voire désirable, il faut donc repenser ses formes et sa composition. Son espace public comme les espaces intérieurs pour donner à vivre une ville à la fois accessible et conviviale, mais aussi confortable et respirable.

L’architecte Roland Castro, co-fondateur de l’Atelier Castro Denissof & Associés, estime, pour le Grand Paris, que « l’indispensable densification de la métropole invite à formuler des propositions de formes d’habitat qui répondent aux modes de vie contemporains et remportent ainsi l’assentiment des habitants, en conciliant les avantages de l’habitat collectif et de la maison individuelle (proximité des services et qualité des espaces extérieurs ». Il invite donc à une plus grande compacité du bâti et du tissu urbain tout en libérant de l’espace pour les parcs. « Devenu central, bordé d’immeubles de toutes tailles et de lieux d’activités, le parc devient un aimant formidable à l’échelle métropolitaine. Ce n’est pas du collectif, mais du commun. C’est un croisement entre la compacité qui fait la bonne ville et toutes les opportunités données au flâneur ».

Le « Central Park » imaginé par Roland Castro pour le Grand Paris (Le Monde)

Pour rendre la ville dense hospitalière, il faut à la fois la penser à l’échelle globale mais aussi à l’échelle du quartier, du bâtiment même. Dans son étude, Terra Nova relève par exemple que « les contraintes de déplacement jouent un rôle central dans l’aménagement urbain », et que « les espaces de transition entre la sphère publique et les espaces privés ou communs associés au logement » sont essentiels, mais aussi que « la qualité des espaces intérieurs influence la perception de la densité par les habitants ». Hauteur sous plafond, lumière traversante et mise à disposition de balcons ou terrasses sont ainsi autant de qualités intérieures qui donneront à l’habitant d’une ville dense la sensation de vivre dans un espace qui n’écrase pas, même s’il est entouré de centaines de voisins, de commerces et bureaux.

Et comme le parc cher à Roland Castro crée un lieu de flânerie, la place faite à la nature en général est propice à « l’évasion visuelle », au sentiment de bien-être et bien sûr à la lutte contre la pollution et les îlots de chaleur. « Il va falloir trouver des moyens de densifier sans sacrifier des espaces de jardins ou de pleine terre. Donc surélever des bâtiments, utiliser les logements vacants, faire de la déconstruction-reconstruction sur des espaces déjà artificialisés », conclut Marc Barra, écologue à l’agence régionale de la biodiversité en Ile-de-France.

Enfin, il est possible de mieux animer encore les rues et les bâtis pour faire que même intenses ils symbolisent chez les habitants le partage et le bien vivre ensemble. « Ainsi, des projets urbains récents comme l’Hôtel logistique urbain de la Chapelle international à Paris rassemble, autour des activités logistiques du tertiaire, des écoles professionnelles, un data center et des équipements publics, cite par exemple Terra Nova. C’est aussi le cas dans les gares prévues pour le Grand Paris Express, avec des tiers-lieux offrant des espaces de travail, des espaces commerciaux, des lieux culturels, etc. Enfin, dans les immeubles d’habitation, on peut développer les espaces communs modulables pour mutualiser des salles de réunion, des grandes cuisines, des espaces de détente… Ce type de projet peut favoriser la mixité fonctionnelle, l’habitat intergénérationnel et la moindre consommation foncière, en tirant parti d’horaires décalés. »

Dès septembre 2018, l’étude « Vivre la densité ! », menée par le Cerema et A’urba pour la Direction départementale des territoires et de la mer de Gironde, relevait au moins 4 pistes d’actions pour renforcer l’acceptabilité de la densité sous toutes ses formes :

1La mobilisation et l’exploration de nouvelles voies de dialogue et l’invention de partenariats intelligents, « capables d’impulser une vie de quartier et une réelle appropriation par les habitants ».

2La conception d’aménagements « favorisant la mixité et la mutabilité des usages, les interactions sociales et les pratiques ».

3 Le développement d’une « approche sensible des espaces, pour travailler sur la notion d’ambiance nécessaire à une bonne appropriation ».

4L’organisation d’un « retour d’usages » après la « mise en service » de l’espace urbain créé, « pour pouvoir cerner les divergences d’appréciation et de vécu entre habitants/usagers réels et les modèles projetés par les aménageurs et les promoteurs ».

Les projets se multiplient

Aujourd’hui plusieurs projets et expérimentations sont en cours sur le territoire pour mettre en œuvre une densité désirable. Lancée à l’automne 2020, la démarche Territoires pilotes de sobriété foncière a retenu 7 territoires candidats pour les accompagner pendant 3 à 5 ans dans la révélation de leurs potentiels fonciers et la limitation de leur étalement urbain : ­Dreux, ­Epernay, ­Louviers, Maubeuge, ­Poitiers, Draguignan et ­Sète. Par ailleurs, l’ADEME va accompagner, via l’expérimentation Objectif ZAN, 22 projets, sélectionnés en mars dernier suite à un Appel à Manifestation d’Intérêt. Pour ce faire, trois grands leviers ont été identifiés, parmi lesquels deux portent sur la densification :

  • Le renouvellement urbain, « faire la ville sur la ville », la revitalisation des centres-bourgs, la reconversion de friches et la mutabilité des espaces ;
  • La mise en application de la séquence « éviter-réduire-compenser » dans la stratégie territoriale avec une analyse des gisements fonciers et des potentiels de renaturation et densification.

Et nombre de collectivités et d’acteurs publics et privés sont engagés sur le sujet. A Rennes métropole, par exemple, où les projections tablent sur 100 000 habitants de plus en 2040, il a été décidé de densifier non pas sur la seule ville-centre de Rennes mais sur les 43 communes de l’agglomération : « 43 cœurs relativement denses qui, à leur échelle respective, jouent le jeu de ce densification », témoigne l’un des conseillers métropolitains, Marc Hervé.

Pour aller plus loin

Découvrez notre étude sur les enjeux de l’artificialisation des sols pour les investisseurs immobilier, qui se penche notamment sur l’idée de densification douce :

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