Le racisme expliqué à mes amis

Nicolas Galita
Dépenser, repenser
22 min readJan 27, 2019

Pourquoi certaines personnes disent que le racisme anti-blanc n’existent pas ? Alors que d’autres soutiennent mordicus le contraire ? Qui a raison ? J’ai commencé cet article en étant persuadé qu’il était stupide de dire que le racisme anti-blanc existe. Je le finis en me rendant compte qu’il s’agit, en fin de compte, d’un souci de définition.

[Si vous n’avez pas le temps de lire un article aussi long, je vous invite à lire plutôt ce résumé ici : les 5 dimensions du racisme]

Ou alors, voici une version audio proposée par une amateure (Mélanie Martin) qui a eu la gentillesse de la faire sur son temps libre !

Si vous pensez savoir ce qu’est le racisme sans l’avoir vécu dans votre peau cet article va vous énerver. Mais ne partez pas : ça vous évitera peut-être de vous embarrasser en public. Vous ne vous en rendez pas compte mais vous êtes souvent ridicule comme un puceau qui donne son avis sur le Kama Sutra. Vos amis sont trop gentils pour vous le dire.

Comme beaucoup de sujets, la vision médiatique du racisme nous empêche de comprendre la réalité quotidienne d’un individu lambda. Comme la vision médiatique du viol vous empêche d’en comprendre la réalité. La plupart des viols sont commis par quelqu’un que la victime connaissait. Ne pas le savoir vous fera dire énormément de bêtises dans les discussions. Même si vous êtes de bonne volonté vous pouvez être très maladroit et blesser les personnes qui ont vécu le sujet.

J’ai récemment lu Lettre à l’ado que j’ai été. Une des artistes y raconte que quand elle était ado, elle s’est inventé une première fois pour ne pas confesser sa virginité. Première fois qui a duré…six heures. Je me rappelle de mon collège : ça m’aurait paru crédible à l’époque. Mais n’importe quelle personne sachant de quoi elle parle lui rira au nez.

Et bien c’est pareil avec le racisme. On se trahit vite. Quand quelqu’un vous dit “je n’ai jamais vu de racisme” ou “moi je n’ai jamais eu de comportement raciste” alors il trahit sa méconnaissance. Il essaie de penser un sujet charnel depuis sa position de spectateur.

Ce n’est pas grave en soi, c’est même normal et inévitable. Ce qui est étonnant c’est à quel point cette idée semble être violente auprès des gens intelligents. Plus on est intelligent et plus on a l’arrogance de croire qu’on peut comprendre un sujet par la pensée seule.

Achetez un tutoriel pour apprendre à jouer au foot, lisez tout, jusqu’à pouvoir le réciter par cœur…puis dites-moi si vous êtes prêt à jouer une finale de coupe du monde ?

Vous voilà désormais averti. Rentrons donc dans le vif du sujet. Le racisme prend 5 formes différentes dans notre société. Voyons ensemble ces 5 dimensions.

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Dimension #1 : le racisme bienveillant

Je commence volontairement par cette dimension car c’est la plus lourde, la plus socialement acceptée. C’est pourquoi on l’appelle aussi “le racisme ordinaire”.

Il s’agit d’un ensemble de comportements qui vous renvoient à votre différence mais sans hostilité. Si vous ne deviez comprendre qu’une seule dimension c’est celle là. Car le racisme bienveillant est insidieux. Il n’existe pas d’individu qui soit un raciste bienveillant. De la même manière que de râler de temps en temps ne fait pas de vous un râleur. Nous participons à ce phénomène sans être ce phénomène. La distinction est importante : elle permet d’arrêter de s’offusquer quand quelqu’un essaie d’exprimer son malaise. Je parle d’expérience de cause : j’ai très mal pris la première fois qu’on m’a souligné mon sexisme bienveillant.

Le reconnaître est compliqué : j’ai mis six mois à accepter que ne pas faire le ménage autant que ma copine faisait de moi un relais du sexisme. Pourtant, je me comportais exactement comme avec mon dernier colocataire masculin : on vivait dans la saleté et le premier qui craquait faisait le ménage. Est-ce de ma faute si elle craque toujours avant moi ? Non. Est-ce de ma faute si pendant toute sa vie, tous les hommes avec qui elle cohabitera lui laisseront faire le ménage ? Non. Est-ce que je la traitais différemment d’un homme ? Non.

Et c’est ça qu’il est fondamental de comprendre dans le sexisme ordinaire : mon comportement n’a pas besoin d’être malveillant pour constituer une brique de sexisme dans la vie de l’autre. Voilà pourquoi on n’a pas besoin d’être sexiste pour être un relais du sexisme. Voilà pourquoi on n’a pas besoin d’être raciste pour être un relais du racisme.

Quand quelqu’un me fait une blague raciste, pour lui, c’est la première. Dans ma vie c’est la millième (et toujours la même en plus). Le contexte et l’historique changent tout.

Moi après la millième fois où on me dit en soirée “on voit tes dents dans le noir, ahahah”

Quand je coupe la parole à une femme et que statistiquement on coupe davantage la paroles aux femmes, ce n’est pas de ma faute. Je ne suis pas sexiste. Je ne suis pas malveillant. En revanche, dans l’expérience de vie de la personne, ce sera une pression sexiste.

Il est fondamental de dissocier le racisme (ou le sexisme) de la malveillance. Quand quelqu’un me dit que j’ai la danse dans la peau parce que je suis noir, il n’est pas malveillant. Parfois c’est pour rigoler, parfois il le pense vraiment. Il n’empêche que c’est bel et bien un préjugé racial.

Quand un camarade de classe entend une langue africaine, se retourne vers moi et me demande spontanément “tu comprends ce qu’ils disent ?” c’est de l’ignorance, pas de la malveillance. Quand je lui réponds “non désolé, je ne parle pas le langage universel de la Noirie” et qu’il s’excuse, il prend conscience de sa gaffe. Il n’est pas raciste. Il n’empêche que dans ma vie ce sera un épisode de plus de la pression raciale.

Quand tout le monde utilise le mot “black” comme si le mot “noir” était sale, comme si c’était honteux et bien ce n’est pas par racisme. Pourtant…je le vis comme une pression raciale. J’ai envie de leur crier que le mot n’est pas sale. Mais il n’y sont pour rien.

https://urbania.ca/article/une-bonne-resolution-pour-2018-arreter-de-dire-black-pour-parler-dune-personne-noire/

J’insiste : il faut absolument déconnecter de toutes nos têtes les comportements et les individus. Quand une camarade d’Erasmus me dit “ahah on voit tes dents dans le noir”, elle ne le fait pas par malveillance. Mais elle sera la première d’une longue série de cette vanne identique et déprimante.

Pendant qu’on y est parlons de l’humour raciste. Premièrement, si quelque chose est une moquerie ce n’est pas de l’humour. Qu’est-ce que la moquerie ? Faire rire aux dépens d’une personne qui vous entend. Peu importe le sujet. Si vous riez d’une caractéristique positive ou neutre en face d’une personne, vous êtes en train de vous moquer. Si vous riez d’une caractéristique négative (ex : le surpoids) d’une personne en face d’elle alors là c’est le stade ultime de la moquerie : vous êtes en train de l’humilier.

Deuxièmement, si vous n’êtes pas un professionnel de l’humour vous marchez sur des oeufs : si l’humour raciste est raté alors il ne reste plus que la partie raciste. Vous devrez alors assumer les conséquences d’avoir raté votre blague. Comme pour toutes les blagues d’ailleurs. Si vous mettez un seau d’eau au-dessus de la porte de votre soeur et qu’en ouvrant elle se prend la tranche du seau sur le front et s’assomme, vous ne pourrez pas dire “oh ça va ! C’était pour rire !”. Vous devrez assumer d’avoir tenté une blague dangereuse. Vous n’aviez pas l’intention de l’assommer. Mais c’est trop facile de vous dédouaner.

Troisièmement, les humoristes professionnels talentueux utilisent tous la même astuce : faire rire du racisme et non pas de ses victimes. Sans compter que les humoristes professionnels bénéficient d’un contexte très particulier : les gens sont venus pour rire. Faites exactement les mêmes blagues à un enterrement et observez les réactions. Un humoriste n’a pas besoin de dire qu’il rigole : ça fait partie du contrat. Donc quand Desproges vous dit “c’est vrai que certains juifs ont manqué de respect à l’égard de l’occupant nazi”, vous SAVEZ qu’il se moque de l’antisémitisme et non pas des juifs.

Enfin, le rire est déclenché par l’anormal. Si une situation est normale elle ne vous fera pas rire. Imaginez si on passait toute la journée à étouffer de rire parce que des gens marchent normalement dans la rue. En revanche, on va rire si quelqu’un glisse sur une peau de banane sans se blesser. Quand vous riez de la couleur de peau de quelqu’un (“ahah tu ressembles à du chocolat”) alors vous trahissez votre vision de la normalité.

Voilà pourquoi un humoriste talentueux se moque du racisme : ce faisant, il le désigne comme anormal.

Dimension #2 : le racisme hostile

Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas de la dimension la plus prégnante. Le racisme hostile c’est quand je marche en Pologne et qu’on me crache subitement aux pieds en proférant une insulte raciale. Je n’ai jamais vécu ça en France. Le problème c’est que la définition la plus largement acceptée du racisme est celle du racisme hostile. Même dans le dictionnaire.

Quand quelqu’un vous dit que la société française n’est pas raciste, ce qu’il veut vous dire c’est qu’elle n’est pas hostile. C’est plutôt vrai quand vous êtes cadre dans un milieu bourgeois (ce qui est mon cas : je ne sais pas à quoi ressemble la vie d’un noir dans une cité).

Je ne m’étends pas sur le racisme hostile : tout le monde voit très bien ce que c’est. Faire des cris de singe quand un footballeur noir reçoit la balle, faire des ratonnades, déclarer que les arabes doivent rentrer chez eux, interdire aux noirs de prendre les mêmes bus que les autres… j’en passe.

Ce racisme n’est pas socialement accepté. D’ailleurs, quand il se produit, il engendre très souvent une vive réaction :

Voilà pourquoi, il est moins lourd à vivre. Quand on m’a craché sur les pieds, mes amis sont venus me défendre spontanément. Quand je raconte cette histoire, tout le monde s’offusque. En revanche, rare sont les personnes qui vont me défendre face à une moquerie ordinaire comme “on voit tes dents dans le noir”.

“Les actes les plus violents tendent à éclipser le racisme « ordinaire » qui affecte le quotidien de nombreuses personnes (regards hostiles, contrôles de police discriminatoires, propos injurieux, discriminations dans l’accès à un logement ou à un emploi…). Les associations interrogées font état d’une forme de banalisation et d’accoutumance des victimes à ces expressions plus subtiles du racisme. La CNCDH appelle les pouvoirs publics à prendre sans plus attendre la pleine mesure de ce phénomène et à mobiliser tous les moyens pour lutter contre.”

Dimension #3 : le racisme structurel

Certaines personnes l’appelle “le racisme d’Etat” ou “le racisme institutionnel”. Je n’aime pas ces termes car on revient au problème de désigner un acteur comme raciste. On a l’impression qu’il s’agit d’une intention. Alors que l’on vient de voir que le racisme n’a pas besoin d’intention quand il se répand via un système, une métastructure. On dit aussi “racisme systémique”, ce qui me semble plus proche de la réalité.

Le racisme structurel est souvent sous-estimé et ça le rend très dangereux. Je ne compte pas le nombre de personnes qui sont sincèrement surprises et choqués quand j’explique qu’on m’a déjà raccroché au nez pour un appartement au moment où on découvrait que mes parents habitaient en Guadeloupe. Ou qu’une assurance a refusé le droit au propriétaire de prendre mon dossier, pour cette même raison.

Le racisme structurel est cette espèce de champ de force dans lequel nous baignons et qui entrave les victimes.

Il explique pourquoi vous savez de quelle couleur est un PDG du CAC 40. Et vous savez aussi de quelles couleurs sont les chauffeurs Uber et les “femmes” de ménage. Ne mentez pas : vous savez. Vous savez de quelles couleurs sont les éboueurs. Vous savez de quelle couleur est un membre des 100 plus grandes fortunes de France. Quand je vous dis que dans les années 90 les békés étaient moins de 1% de la population martiniquaise et contrôlaient plus de 29% des entreprises de plus de vingt salariés. Vous savez de quelle couleur ils sont.

Je n’ai pas besoin de vous produire des stats ethniques : vous savez à quoi ressemble un videur en France.

Quand Ardisson s’étonne de voir un rappeur blanc, quand des téléspectateurs étrangers se choquent de voir autant de noirs dans l’équipe de France championne du monde de Football, ils sont les témoins inconscients de ce champ de force. S’il y a autant de banlieusards qui font du football et du rap c’est peut-être parce que ce sont les rares voies dégagées qu’on leur propose. Si autant de banlieusards sont noirs et arabes, ce n’est pas non plus par une opération du Saint Esprit.

Le racisme structurel opère un travail de sape dans l’inconscient collectif. Il définit ce qui est normal et ce qui est inhabituel. La première fois que mon père m’a dit que certains pharaons égyptiens étaient noirs, j’ai rigolé. Quand Obama devient président, on est frappé. Quand je suis arrivé en Pologne et que j’ai découvert que tous les videurs étaient blancs, j’ai été surpris.

Le racisme structurel définit nos cadres de référence. À ce titre, il a un impact énorme sur nos choix. Quand on vous inculque depuis l’enfance qu’un super-héros est blanc, ça configure votre monde.

Il y a une raison pour laquelle aucun blanc ne crie de joie quand on sort un film avec un casting blanc. Il n’y a pas non plus de vagues de spectateurs chinois disant “le film est trop blanc” comme ils diraient que “le film est trop noir”.

“Les Chinois ne sont pas encore habitués à un film plein de Noirs. Black Panther est noir, tous les personnages principaux sont noirs, beaucoup de scènes sont noires, la scène de course-poursuite est noire. Toute cette noirceur m’a vraiment fatigué.” — Un spectateur chinois sortant de la salle de cinéma

Le racisme structurel c’est un peu comme si certaines personnes devaient marcher sur une pente et les autres en terrain plat. Et que ceux qui marchent sur du plat ne se rendent même pas vraiment compte que les autres sont sur une pente.

C’est lui qui donne une direction, un sens, au racisme. C’est lui qui fait que les hommes ne sont pas sexistes entre eux, les blancs ne sont pas racistes entre eux. Mais les femmes sont sexistes entre elles et les noirs sont racistes entre eux.

Dimension #4 : le racisme historique et géopolitique

Voilà la dimension la plus déprimante car elle ne s’effacera pas à court terme. Un jour on vous explique la traite négrière. Vous avez à peine 8 ans. Je ne saurais retranscrire à quel point la découverte est violente. Le nombre de nuits que j’ai passé à cauchemarder d’un jour devenir esclave. À un âge où l’on croit au Père Noël, il ne faut pas négliger le choc traumatique de cette histoire.

À dix ans, j’ai vu Gorée, depuis mes larmes sont éternelles

Je crois qu’aucune phrase ne résume mieux que celle-ci. Gorée étant une île d’où on faisait partir les esclaves. Quand vous enseignez à un enfant que le grand-père de son grand-père était un esclave, vous lui infligez un choc égotique irréversible.

Ce même enfant grandit et se rend compte que la plupart des pays noirs sont des pays pauvres. Puis il découvre le néocolonialisme. Qu’en fait l’Afrique n’est pas un continent pauvre. Qu’au contraire c’est parce que c’est le continent avec le plus de richesses qu’il est pillé. Que les anciennes colonies ne sont pas tout à fait libérées de leur emprise. Que l’Histoire pèse de tout son poids sur notre réalité.

D’ailleurs les mêmes personnes qui vous diront que l’Histoire ne compte pas, utilisent (comme tout le monde) la définition du Code Noir pour définir un noir.

Le Code Noir est ce document qui définit (entre autres choses) ce qu’est un noir pour savoir qui peut être esclave. Sa cousine, la “one drop rule” est américaine. Elle explique pourquoi personne ne pose de questions quand on dit que Barack Obama est le premier président américain noir. Barack Obama…noir ? Il a pourtant une mère blanche et un père noir. Au maximum on devrait l’appeler “métisse”, non ? Non. Vous et moi on sent bien ce que ça veut dire quand on dit qu’il est noir. Et bien ce que l’on “sent” c’est le poids de la “one drop rule”.

Selon cette règle, une seule goutte de sang noir suffisait à vous définir comme noir. Car le sang noir est salissant. Il souille le sang blanc. Bien entendu, plus personne ne se dit ça. Mais il n’empêche qu’on continue inconsciemment à appliquer cette définition d’un noir. On ne peut donc pas balayer d’un revers de main ce poids historique. Il est partout autour de nous. On m’appelle spontanément noir (pardon…”black”) alors qu’une partie de mon arbre généalogique est totalement blanc.

Dimension #5 : le racisme intériorisé

Personne ne peut dire qu’il est immunisé contre le racisme. Même si vous n’êtes pas blanc vous ingurgitez des quantités astronomiques de racisme. Même si vous fermez la bouche, même si vous vous bouchez le nez : vous en avalez un petit peu à chaque fois. Par exemple, je me suis rendu compte récemment que j’avais davantage de mal à trouver les gens noirs beaux. Pourquoi ? Parce que depuis l’enfance, les modèles de beauté qu’on me montre à la télévision et dans les films sont rarement noirs.

Moi-même j’ai du mal à me considérer comme possiblement beau. Quand j’étais vraiment petit, je trouvais que je ressemblais à Will Smith (inutile d’aller vérifier : je ne lui ressemble pas). Et comme il était admis qu’il était beau, j’arrivais à me dire “c’est à ma portée”.

Récemment, quelqu’un m’a dit qu’elle trouvait que Pogba était le plus beau joueur de l’équipe de France.

J’ai été surpris. Parce que même dans une équipe où la moitié des joueurs sont noirs, autour de moi j’avais uniquement entendu fantasmer sur Lloris et Giroud. Là encore, le procédé est inconscient. Ça ne veut pas dire qu’il y a moins de gens qui aiment Pogba, ça veut surtout dire que j’ai tellement intériorisé que la beauté ressemble davantage à Giroud que je l’intègre plus facilement.

Sur les sites de rencontre, à attractivité et profil strictement équivalent, je me suis rendu compte que je “swipais à droite” trois à quatre fois moins souvent les noires que les autres. Je n’en avais même pas conscience avant de compter formellement. Là encore le mécanisme est intériorisé et inconscient.

Quand je raconte ça on me répond souvent “peut-être que c’est juste pas ton type”. Non. Je vous parle indépendamment de ça. Je parle bien à attractivité (sur moi) équivalente. Le “type” ne joue donc pas ici. Le type joue sur la proportion de gens qu’on va trouver attractifs au sein d’une catégorie. Je parle bien ici, toutes choses égales par ailleurs, la seule différence étant “elle est noire”. J’ai ressenti une immense tristesse quand j’ai dû me rendre à cette évidence. Je ne suis pas le seul. Tapez sur Google “défrisage noires” et vous verrez les ravages que peuvent engendrer cette pression.

Dans un autre registre, quand je suis parti de Guadeloupe pour revenir dans l’Hexagone, mon père a insisté pour que je ne sorte jamais sans ma carte d’identité. Avec la peur dans le regard. C’est rare de voir son père afficher une peur. Et bien, depuis, je ne suis jamais sorti dans la rue sans ma carte d’identité. Là encore j’ai intériorisé quelque chose de l’extérieur. Je vois à la télévision qu’on contrôle abusivement des noirs. Mon père a vécu la société des années 80. Mais moi je n’ai jamais vécu ça à Paris. La seule fois où on m’a contrôlé sans raison, j’étais à Charleville-Mézières.

Pourtant, je continue de sortir avec ma carte d’identité. Le réflexe est solidement ancré en moi. Complexe d’infériorité.

Je ne vous parle même pas du phénomène de la mascotte. J’ai fini par m’en défaire mais il y a encore quelques années, je me faisais un point d’honneur à toujours bien me comporter dans les endroits publics : pour toujours donner une bonne image des noirs. C’est stupide. Mais ça m’angoissait de pouvoir, par mon comportement, donner du grain à moudre au racisme. Un jour j’ai compris que ce n’était pas de ma responsabilité et que, de toutes façons, ça ne fonctionnait pas.

Plus triste encore, j’ai moi-même des préjugés contre les autres noirs. Moi aussi j’ai été inondé d’images de BFM TV et d’enquête exclusive. Moi aussi je ressens des élans racistes face à des noirs que j’étiquette comme étant “de cité”. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle je trouve toujours ridicule quelqu’un qui me dit qu’il est totalement immunisé du racisme.

Si même être noir ne vous immunise pas contre la négrophobie, qui peut prétendre être immunisé ? Si vous êtes le type de personne à dire une phrase comme “je ne fais/pense jamais rien de raciste”, vous faites partie du problème. Et vous ferez partie du problème tant que vous n’aurez pas admis que ce n’est pas possible, quelle que soit votre couleur. Plus tôt on admet qu’on ne peut pas être immunisé contre quelque chose de si lourd, et plus vite on peut s’améliorer et corriger ses mauvais réflexes.

Alors on fait quoi de la phrase “le racisme antiblanc n’existe pas” ?

J’espère que désormais les choses se clarifient. En fait il s’agit d’un problème de définition. Quand quelqu’un dit que le racisme antiblanc existe, il se réfère aux dimensions 2 et 3. Et c’est vrai : il existe de l’hostilité raciale dirigée contre des blancs et il existe des endroits et des sphères en France où la structure désavantage les blancs (notamment le rap). Quand quelqu’un lui rétorque que ça n’existe pas, il veut dire qu’il n’y aura jamais les dimensions 1,4 et 5. Et c’est tout aussi vrai.

Ce qu’on veut dire c’est qu’un blanc n’a pas intériorisé l’infériorité via tout un système culturel et qu’il n’a pas le poids de l’histoire qui renforce cette sensation d’infériorité. De la même manière qu’un homme qui se fait insulter parce qu’il est un homme, ne rentre pas chez lui en intériorisant son infériorité ni en étant baigné dans un environnement qui le renvoie à une infériorité.

Est-ce un problème de définition ? Je veux bien le reconnaître. Peut-être qu’on devrait dire “le racisme antiblanc ne s’inscrit pas dans le même contexte et n’a donc aucune commune mesure” mais c’est un peu long.

La lutte féministe a inventé un terme pour régler le problème : le patriarcat. Personne n’oserait jamais dire qu’il existe un matriarcat. Car le patriarcat est un terme qui recouvre les 5 dimensions que je viens de citer. Alors que “sexisme” est un terme qu’on peut utiliser pour décrire une seule des dimensions. Créer le mot “patriarcat” permet d’avoir un mot pour dire “métasexisme”, la matrice, la grande structure. Certaines personnes essaient d’imposer le mot “blanciarcat”. Peut-être qu’on devrait inventer le mot “métaracisme”.

Dans tous les cas, il est possible de régler ce dialogue de sourd qui ne nous emmène nulle part. Ne serait-ce qu’en faisant l’effort de prendre conscience du côté multidimensionnel du “racisme” (ou du blanciarcat ou du métaracisme) pour être capable d’avoir des discussions enrichissantes.

Petit guide quand vous devez discuter de racisme

Je vais vous livrer le mode d’emploi que j’utilise quand je discute avec une femme de sexisme. Je ne suis pas parfait, parfois je n’arrive pas à m’y tenir, mais voici mon idéal :

1) Je me rappelle que tout ne tourne pas autour de moi. Ce n’est pas parce que je me sens menacé par la douleur de l’autre que l’autre est vraiment en train de me menacer. Quand une femme est en train de me partager sa douleur, je ne peux pas répondre “ouais mais les hommes souffrent aussi…”

Pourquoi faire ça ? C’est totalement égocentrique. Ce n’est pas le moment. C’est comme répondre “ouais mais moi en ce moment j’ai une gastro” quand quelqu’un vous dit “j’ai dû mal à gérer ma grossesse”. Premièrement ce n’est pas la même ampleur et vous le savez. Deuxièmement ce n’est pas le moment : vous parlerez de votre gastro une autre fois. Courtoisie émotionnelle. Le monde ne tourne pas toujours autour de votre personne.

2) Quand une femme me raconte un événement qu’elle juge sexiste, j’essaie de commencer par écouter l’histoire sans juger, sans contester et même sans donner mon avis. Ce qui permet de devenir une personne “safe”, une personne à qui on peut en parler. Rien qu’en faisant ça, le nombre d’histoires qui m’ont été racontées ont été multipliée par dix ! Si les gens autour de vous savent qu’ils peuvent se confier à vous sur le sujet, ils le feront.

3) J’accepte que quelqu’un qui a mal échouera régulièrement à faire preuve de pédagogie. C’est à moi de prendre sur moi. En attendant qu’elle retrouve son calme émotionnel. Je n’en fait pas une affaire personnelle. Je ne vais pas me plaindre à ses amis parce qu’elle manque de pédagogie. Elle n’est pas dans un moment où c’est facile d’être pédagogue. C’est à moi de prendre sur moi.

4) J’accepte qu’il existe des sujets impossibles à maîtriser quand on ne les a pas vécu. Et que je serai donc toujours du niveau d’un adolescent qui parle de sexe sans jamais l’avoir fait. Je dois donc accepter qu’on me dise régulièrement que je raconte n’importe quoi. Même si mon intelligence me dit que je peux tout comprendre. Et je ne me vexe pas si on me dit que je ne peux pas comprendre. Après tout, est-ce que je me vexerais si on me disait qu’il faut vivre au moins une fois le sexe pour le comprendre ? Et si on me rétorquait que regarder du porno ne compte pas ?

5) Je ne dis pas à quelqu’un qui est en colère qu’il “dessert sa cause”. Jamais. Parce que c’est condescendant. Surtout si moi je ne fais pas grand chose pour servir sa cause. Et puis simplement c’est faux. Ça revient à dire que “c’est la faute des homosexuels s’il y a de l’homophobie, ils provoquent l’homophobie en réaction à leur comportement” (ne riez pas c’est une vraie citation).

6) Je marche sur des oeufs quand je donne un conseil et je ne me vexe pas si on me répond avec de grands yeux que c’est vraiment bête. Cf point 3.

7) Je me rappelle que pour moi c’est juste un débat, une discussion. Mais pour l’autre c’est sa vie, sa douleur. Vous n’avez pas le même degré d’investissement. De la même manière que l’Oeuf ne demande pas le même niveau d’investissement à la Poule que le Bacon n’en demande au Cochon. C’est plus facile à la Poule de débattre des méfaits du fermier sur la vie des animaux de ferme. Quand je finis de débattre de sexisme avec une femme, elle retourne dans une société patriarcale. Tandis que moi…je retourne…dans une société patriarcale aussi. Pour moi c’était juste un débat.

8) Et surtout, surtout…surtout : si on me fait remarquer qu’un de mes actes est sexiste, je ne commence pas par m’offusquer. Je ne commence pas par contester. Je sais : c’est désagréable. Mais la plupart du temps, si quelqu’un vous le dit c’est que c’est vrai. Contrairement aux idées reçues, rares sont les gens qui aiment passer pour des victimes. Il faut un courage monstre pour oser dire plutôt que de baisser la tête.

Depuis que j’applique ce mode d’emploi, mes discussions sur le sexisme ou l’homophobie sont bien plus profondes et riches. J’ai encore des moments où je me sens agressé personnellement, où je réagis mal, où je me sens profondément vexé : avoir un mode d’emploi ne veut pas dire s’y tenir parfaitement. Mais ça aide grandement.

J’ai fini par en faire un guide complet. Tu peux le retrouver ici :

Hey ! Attends :D

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Conclusion

Une fois n’est pas coutume, concluons avec des mots qui ne sont pas de moi :

“Moi le raciste de la rue, je le trouve pas très dangereux. Je veux dire : je peux me défendre. C’est le racisme global, le racisme médiatique et le racisme de certains hommes politiques qui est le plus dangereux.

On parle beaucoup de racisme mais…j’ai l’impression qu’on tombe dans le piège qu’on nous a préparé : parler que de l’arbre qui cache la forêt”

Annexes :

https://www.cncdh.fr/sites/default/files/180322_cp_rapport_lutte_contre_le_racisme_2017.pdf

“Le racisme n’est pas un simple préjugé mais un ensemble de pratiques et de représentations qui, se déployant en particulier dans le cadre de l’État et du marché du travail, conduisent à la stigmatisation et à l’infériorisation de groupes en raison de caractéristiques généralement imaginaires, toujours essentialisées.

Le racisme n’a ainsi nullement besoin d’une conception biologique de la race ; il peut parfaitement, et c’est même le cas le plus fréquent, se fonder sur des propriétés culturelles — religion, langue, coutumes, etc. — que l’on prête à des groupes et à partir desquelles ces derniers vont être altérisés, discriminés et marginalisés, voire considérés comme de potentiels traîtres à la nation et donc menacés d’expulsion ou d’extermination.

Il se présente donc à la fois comme système d’inégalités et comme idéologie justifiant ce sytème.

Le racisme n’est pas non plus un archaïsme, une survivance d’un autre temps avec lequel nous en aurions fini mais qui perdurerait d’une manière incompréhensible.

S’il est bien le produit d’un héritage ancien — l’islamophobie est ainsi ancrée dans toute l’histoire de l’impérialisme français, colonial puis néocolonial -, cet héritage s’actualise en chaque moment à travers des politiques, des dispositifs, des discours qui façonnent une discrimination systémique.

On ne saurait donc combattre le racisme par la seule mise en œuvre d’une éducation antiraciste, d’une pédagogie égalitaire aussi habile soit-elle, mais par une lutte politique visant à démanteler les structures de l’inégalité raciale, à décoloniser l’État et les esprits, une lutte pour l’égalité et la dignité, une lutte qui n’oublie rien d’un passé qui ne passe pas, qui ne pardonne rien des crimes et des injustices, mais qui cible le racisme tel qu’il fonctionne au présent, y compris dans ses ruses visant à le présenter sous des formes respectables.”

(source : https://www.contretemps.eu/dossier-racisme/)

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Nicolas Galita
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