Un délicieux succès de l’entrepreneuriat durable

Heladería y Asociación Holanda de Cajamarca

Stéphanie Piou
Durable et Solidaire
5 min readJan 9, 2018

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Crédit photo : Mark Grafton / Unsplash.

En 2013–2014, j’ai pris une année sabbatique pour prendre le temps de concrétiser mes projets personnels, découvrir de nouveaux coins du monde… et prendre le temps tout court ! Je me suis particulièrement intéressée à ce qui fait une “économie durable”, où l’entreprise est un moteur incontournable du progrès sociétal et environnemental. Je republie ici des extraits choisis de mon blog de voyage, ceux qui peuvent inspirer la construction d’un monde “Durable et Solidaire”.

Cajamarca, nouvelle étape dans le Nord du Pérou. Me voilà arrivée dans une ville de petite taille, à l’ambiance très agréable, à la fois vivante et calme. La ville elle-même ne comporte pas de grand lieu culturel, mais les environs disposent de plusieurs sites intéressants. Cependant, ce ne sont pas les attractions touristiques qui m’ont attiré ici, mais plutôt l’opportunité de progresser sur le volet « Economie Durable » de mon projet.

Entreprise et association : un binôme gagnant pur un impact décuplé

Pim Heijster est hollandais, sa femme Luz-Marina est péruvienne cajamarcaise. Il y a 14 ans, ils ont ouvert la « Heladería Hollanda » (le Glacier Hollandais) sur la Place d’Armes, place centrale de la ville. Leur aventure a commencé par la création d’un magasin de glaces, devenu le plus réputé de la ville.

La « Heladería Holanda » a embauché huit malentendants pour des postes de fabrication de ses glaces et de gestion. Elle forme ses autres employés au langage des signes pour permettre à tous de communiquer sereinement. Mais l’entreprise ne s’arrête pas là : tous les ingrédients des glaces sont achetées dans les environs de Cajamarca selon les principes du Commerce Equitable, c’est-à-dire, au « juste prix ». Sont ciblées en priorité des fournisseurs qui sont des mères seules et des femmes isolées. L’entreprise s’attache par ailleurs à fournir à ses employés un cadre de travail officiel, stable et protecteur, dans un pays où le droit du travail existe très peu, où les emplois sont instables et la corruption contribue à précariser l’ensemble du système.

De plus, il y a 4 ans, Pim et Luz-Marina ont officiellement créé une association pour formaliser ce à quoi ils travaillent depuis longtemps : L’Asociacion Holanda de Cajamarca est une association en faveur des sourds-muets. Celle-ci intervient à différents niveaux :

– formation au langage des sourds d’enfants sourds-muets, mais également de leurs familles, professeurs, camarade d’école…

– accompagnement à l’insertion professionnelle de sourds-muets et appui aux entreprises qui les embauchent.

L’association est financée en partie par l’entreprise « Heladería Holanda », en payant par exemple les employés de l’association, et par un fond hollandais. Cela suffit pour couvrir les frais de fonctionnement de l’association, qui vise un développement pas à pas, permettant d’instaurer une indispensable confiance avec les acteurs locaux. L’association a par ailleurs été récompensée à plusieurs reprises par les autorités péruviennes : Ministère du Travail, Conseil National d’Insertion des Handicapés…

En voilà la preuve : l’entreprise éthique et durable est possible !

Pour le couple fondateur à la fois de l’entreprise et de l’association, cet investissement coule de source, dans une volonté de “faire bouger les choses” dans la région. Organiser l’entreprise autour d’une vocation sociale ne pénalise en aucun cas l’activité ou la performance de l’entreprise : les clients sont contents et reviennent, les employés sont contents et restent. Et pour les gérants, cela constitue une motivation de chaque instant dans leur travail.

Bonus de taille : l’expérience d’un cours pour malentendants.

Cours de langue des signes pour malentendants, avec la Asociacion Holanda de Cajamarca. Crédit photo : Stéphanie Piou.

Situé dans une salle de la Hospedaje Jazmines, le cours s’adresse à des enfants malentendants, ainsi que trois professeurs et deux mamans. Le professeur, lui-même sourd, accueille les participants, me présente, puis commence le cours, tout en vidéo :

1. Le professeur s’est filmé en train de raconter des histoires, chansons ou poèmes courts en langage des signes. Les participants décodent le film par deux fois, puis la traduction écrite leur est présentée, et tout le monde répète en langage des signes. Ce n’est pas simple ! On plaisante, car les femmes ne peuvent s’empêcher de parler pendant qu’elles décodent les signes. Chacune son tour doit décoder une vidéo.

2. Puis, toujours en vidéo, il s’agit de décoder des mots (en l’occurance les noms des planètes) par leurs lettres épelées, et d’apprendre le signe unique qui les désignent. Apprendre ces signes permet une communication bien plus rapide que d'épeler chaque mot. C’est au tour des enfants de répéter les signes uniques à partir des mots écrits. Ceux-ci sont imagés : Saturne se désigne par la main gauche en « O » (la planète) devant laquelle la main droite forme un « S », puis des anneaux autour de la main gauche. Pour Uranus, la main droite forme le U et décrit la couleur « bleue » de la planète!

La concentration est extrême sur ce cours difficile.

Un apprentissage de la langue des signes tout en bonne humeur ! Crédit photo : Stéphanie Piou.

3. Enfin, dos au texte qu’on leur lit, les participantes doivent se souvenir des signes appris précédemment! Elles doivent répéter en langage des signes le texte qui leur est lu.

Les employées du Café Jazmines, l’une malentendante et l’autre non, viennent se joindre à ce cours détendu.

A la fin de la séance, Luz-Marina reste pour discuter avec deux enseignantes, qui lui expliquent les difficultés qu’elles rencontrent avec leurs Directions. Celles-ci n’ont malheureusement que peu de volonté pour organiser un enseignement secondaire général accessible aux malentendants, qui permettrait réellement à ces jeunes d’avoir un choix dans le métier qu’ils feront. Luz-Marina leur apporte du soutien, des idée, des encouragements pour les aider à convaincre leurs Directions de monter de véritable projets d’intégrations de malentendants.

Ainsi, grâce à l’association, des mamans découvrent un moyen de tisser du lien avec leur enfant malentendant, ces enfants augmentent leurs chances de pouvoir vivre normalement, et des enseignantes engagées trouvent du soutien et de la motivation. Voilà ce qui me semble être un très beau résultat !

Originally published at social-et-solidaire.fr.

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Stéphanie Piou
Durable et Solidaire

Me voilà sur le chemin vers une autre vie, plus durable et plus solidaire. Ça vous tente? Embarquez donc!