Confession #2 : je ne veux pas avoir d’enfant

Nicolas Galita
Dépenser, repenser
23 min readMay 26, 2020

Si on m’avait dit les torrents de boue que j’allais recevoir en publiant la première confession, je ne l’aurais pas cru.

Pourtant, tout est dans le concept des confessions : expliquer que je n’adhère pas à une position religieuse. Je dis religieuse car certaines pressions sociales fonctionnent exactement comme une religion.

Il s’agit donc de blasphémer. Annoncer que l’on est pas monogame est un blasphème. Je le savais. Mais je ne réalisais pas à quel point.

Certaines personnes ont été jusqu’à expliquer à mon patron que je nuisais à l’image de l’entreprise avec cet article (sous-entendu il faut me faire taire ou me virer). Heureusement, il m’a totalement soutenu. Mais ça reste violent à vivre.

D’autres l’on fait en public :

On sort largement du cadre du désaccord. La réaction est celle d’une inquisition face à un blasphème.

Suite à ça, j’ai fait une pause d’écriture de plusieurs mois. C’était la première fois en 8 ans. Mais j’avais besoin de cette pause pour me ressourcer.

Nous voici donc plusieurs mois après la première confession. Il est temps de vous faire la deuxième : je ne veux pas d’enfants.

Je pense qu’elle est un peu moins coûteuse à faire quand on est un homme. Pour la préparer, j’ai lu un article avec des témoignages et l’auteur note :

“Les femmes qui ont accepté de parler à visage découvert se comptent sur les doigts d’une main”.

Mais elle n’est pas gratuite pour autant : j’ai perdu des relations amoureuses par cette confession.

Voyons ensemble comment je suis sorti de la religion de la parentalité. Comme la dernière fois, on va commencer par analyser le culte à travers ses idées reçues.

Mais avant de commencer je précise quelque chose de fondamental : ceci est une rationnalisation a posteriori de mon cheminement. En vrai, la seule réponse à “pourquoi tu veux pas d’enfant” c’est “parce que”. C’est comme quand on demande “pourquoi tu aimes cette personne”. La seule réponse possible est “parce que”. Même si on peut rationaliser ensuite en parlant de sa personnalité.

Les idées admises sur la parentalité

Commençons par les idées admises sur la parentalité. Ce qu’on répète sans y réfléchir.

Idée admise #1| C’est un bonheur

L’accouchement est le plus beau jour de la vie. Même si, bizarrement, tout le monde semble aussi dire que le mariage est le plus beau jour de la vie. Faudrait se mettre d’accord ?

Mais ça ne s’arrête pas au jour de l’accouchement. On admet également que la parentalité est un bonheur, en soi.

Conséquence : il faut la rechercher. On se met donc à faire des plans de paternalité. On accorde ses choix professionnels en fonction, on accorde ses choix de logement en fonction, etc.

Idée admise #2| C’est une étape obligatoire de la vie rêvée

Mais plus qu’un simple bonheur : on l’envisage comme une étape incontournable. Un passage obligatoire pour une vie réussie : un CDI, un mariage, un appartement ou une maison et un enfant. Le carré magique.

On court sur ce chemin sans trop se poser de questions.

“Si 12% des français n’auront pas d’enfants, ils seraient moins de 5% à en faire la démarche volontaire”

Notons que la France est un cas particulier : la pression à l’enfant y est bien plus forte que dans beaucoup d’autres pays occidentaux. On peut le voir à travers les chiffres de la natalité : la France est le pays le plus fécond de l’Union Européenne.

Ou à travers les chiffres de stérilisation volontaire. Beaucoup de médecins refusent de la pratiquer. Au final, “4% des françaises seulement le pratiquent, alors qu’il s’agit de la première méthode contraceptive au niveau mondial. 36% des américaines y ont recours, un tiers des canadiennes”

Idée admise #3 | C’est avant tout un sujet de femme

La femme doit s’épanouir en devenant mère. On ne le dit plus comme ça mais on le sous-entend très fortement. Passé 30 ans, l’entourage vous regarde bizarrement, des inconnus sous-entendent que vous n’êtes pas normale…

Héritage de notre culture chrétienne puisque la Bible est claire :

Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de faire la loi à l’homme, qu’elle se tienne tranquille. C’est Adam en effet qui fut formé le premier, Eve ensuite. Et ce n’est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme qui séduite, a désobéi. Néanmoins, elle sera sauvée par la maternité si elle persévère avec modestie dans la foi, dans la charité, et dans la sainteté

Pire encore, on accepte inconsciemment l’idée selon laquelle c’est à la femme de s’occuper des enfants. Mettez sur LinkedIn la photo d’un père qui s’occupe de son enfant et vous aurez des milliers de likes et d’encouragement. Mettez la photo d’une mère et vous aurez de l’indifférence.

“Quand les hommes deviennent pères, leur activité professionnelle augmente et ils dédient davantage de temps à leur travail, l’opposé des femmes.

Les études montrent que les hommes qui ont des carrières brillantes sont souvent des pères de plusieurs enfants, alors que les femmes qui ont les carrières les plus accomplies sont souvent sans enfants.

Il n’y a aucun doute : les enfants sont un accélérateur pour les uns, un fardeau pour les unes.”

D’ailleurs, les hommes peuvent abandonner leurs enfants sans stigmate social. On intègre inconsciemment l’idée selon laquelle il est normal d’avoir un homme qui n’assume pas sa paternité. Je ne dis pas qu’on trouve ça bien, mais on n’est pas étonné : ça fait partie de notre cadre de référence.

La série documentaire “en bref” (VO : explained) a consacré un sujet sur les inégalités salariales entre les hommes et les femmes ? Conclusion ?

« Les femmes sans enfants gagnent quasiment autant que les hommes. C’est donc une sanction à la maternité »

« La plupart des facteurs qui fondaient l’inégalité entre hommes et femmes se sont résorbés. Sauf un.

Ce qui est resté c’est que les femmes s’occupent des enfants, on suppose qu’elles sont le parent principal.

Même quand une femme travaille à plein temps comme son partenaire, elle passe 25 heures par semaine à s’occuper des enfants et de la maison, contre 16 heures pour son partenaire. Sur un an c’est l’équivalent de trois mois à temps plein . Voici le réacteur principal des inégalités salariales»

Les indices qui me faisaient douter de la paternité

Contrairement à la monogamie, j’ai un jour vraiment cru à la paternité. Jusqu’à mes 24 ans, je disais que je voulais une fille et que je voulais l’appeler Mélanie. J’ai voulu l’appeler Madeleine mais trop de gens se moquaient de moi.

Alors…comment je suis passé de “je veux un enfant avant 2014” à “je ne veux pas d’enfants” ?

Indice #1 | La tête des parents dans l’enfer de la naissance

Quand on connaît des parents qui sont assez proches pour nous dire la vérité, on voit l’enfer dans lequel sont plongés les nouveaux parents.

Principalement à cause de la privation de sommeil. Or, le manque de sommeil provoque un affaiblissement de la santé mentale mais aussi physique. Contrairement à l’idée reçue, le froid ne rend pas malade. Mais le manque de sommeil, oui.

Heureusement, ça s’améliore quand l’enfant devient autonome. Mais les premières années ont l’air violentes.

Indice #2 | Le gouffre de temps et d’argent

S’occuper d’un enfant est un travail à temps plein. Ou plutôt à six septièmes puisqu’on l’évalue à 30 heures par semaine. Je dis un travail mais il n’est pas rémunéré. Au contraire : l’Insee évalue à 20% le budget enfant d’une famille. Le chiffre est débattu mais personne ne débat sur le fait que les enfants coûtent cher. Surtout à l’adolescence.

Le cercle est vicieux : les dépenses augmentent, le temps de travail augmente et les revenus…diminuent !

En effet : 38% des femmes arrêtent de travailler au moins pendant un an après la première naissance. 69% des femmes ne travaillent pas, l’année qui suit la troisième naissance.

Indice #3 | La rupture d’amour dans le couple

“90% des couples vivent une baisse de leur bonheur conjugal dès la naissance de leur premier enfant”.

J’imagine qu’il n’est pas facile d’intégrer un troisième individu dans un couple. Le couple est déjà un équilibre compliqué à tenir. Mais je ne m’avance pas davantage : je n’ai pas d’enfant, je ne sais pas.

Voici ce que dit une mère qui a écrit “no kids” :

“Si tous les enfants ne tuent pas l’amour, ils tuent tous la libido”. Et on pense que ça n’arrive qu’aux autres.

Indice #4 | Les regrets des parents

Il y a une sorte d’omerta sur la parentalité. Personne n’en parle, personne ne dit à quel point c’est dur. Parce que se plaindre c’est déjà être un mauvais parent.

Mais si vous connaissez suffisamment intimement un parent, il vous confiera ses doutes. J’ai déjà entendu des phrases comme “je n’aime pas ma fille…je ne peux le dire à personne”.

C’est normal : on fait souvent ce choix sans savoir ce qui nous attend.

“Les adultes avec des enfants sont 3,6 fois plus susceptibles de dire à Google qu’ils regrettent leur décision que le sont les adultes sans enfants”

Le tabou sur le sujet est énorme mais ça ne change pas la réalité : nombreux sont les parents qui ne referaient pas d’enfants s’ils avaient su ce que ça impliquait.

Hasard du calendrier, au moment où j’écris ces lignes est en train d’émerger sur Twitter le hashtag #monpostpartum où des femmes décrivent leurs difficultés d’après l’accouchement. La parole se libère.

Indice #5 | La monogamie épée de Damoclès

Quand je voulais être père, j’étais hanté par l’épée de Damoclès de la monogamie. Le concept qui consiste à dire que le couple doit être fidèle, sinon on se quitte.

Quand on n’y réfléchit c’est absurde et violent. On ne devrait pas lier la monogamie et la parentalité. Ce faisant, on expose sa famille à une bombe à retardement. Je vais paraphraser et résumer le livre “Sex at Dawn” :

Les options acceptées par la société sont les suivantes :

1. Mentir et essayer de ne pas se faire attraper. Bien que cette option est la plus communément choisie c’est aussi la pire. Combien d’hommes pensent avoir un accord tacite avec leur femme : tant qu’elle ne sait pas, ce n’est pas grave. C’est aussi pertinent que dire que vous avez un accord tacite avec la police : tant qu’ils ne vous voient pas c’est acceptable de conduire bourré.

2. Abandonner la possibilité de coucher avec une autre personne, pour le reste de votre vie. Se débrouiller avec le porno.

3. La monogamie en série : divorcer et recommencer. Cette option semble être celle qu’on considère comme la plus mature.

Ce modèle est récent. Avant on visait une vraie monogamie : une seule personne pour la vie. La monogamie en série a conduit à l’explosion des familles monoparentales. Comment on peut considérer comme mature d’infliger un traumatisme à nos enfants parce qu’on est incapable d’affronter la vérité sur le sexe ?

Pourquoi la société considère qu’il est plus moral de briser un mariage, de traverser un divorce, de bouleverser la vie de nos enfants à jamais, juste pour avoir le droit de coucher avec quelqu’un d’autre ?

On devrait au moins se poser la question : est-ce moral de faire reposer cette menace sur l’équilibre de l’enfant ?

D’ailleurs, dans les sociétés qui ont été protégées de la monogamie vous avez des systèmes bien plus protecteurs pour l’enfant : il est entouré d’adultes qui se considèrent comme responsables de lui. Bien souvent, on ne sait pas qui est exactement le père mais la tribu s’organise autour des enfants.

Dans la tribu Aché, par exemple, vous avez 4 niveaux de “pères”. Ils sont tous responsables de l’enfant. Si bien qu’un enfant Aché identifie plusieurs personnes comme étant ses papas.

Finie l’épée de Damoclès. Finie la charge supportée par un seul couple.

En le découvrant, j’ai réalisé que je n’étais pas sûr de ne pas vouloir d’enfant. En fait, je suis sûr de ne pas vouloir d’enfant dans une société où la monogamie est la norme. Mais j’aimerais vraiment avoir un enfant dans un modèle différent.

Comment j’ai basculé vers le non désir d’enfant

Je ne saurais pas retracer exactement mon basculement. Je me rappelle de quelques moments marquants. Je me rappelle d’avoir convoqué deux de mes amis en leur demandant d’essayer de me convaincre que je devais avoir un enfant.

Basculement #1 | La conscience du temps qui passe

Avant mes 25 ans, je vivais sans conscience du temps. Puis, la conscience de la mort s’accentuant, j’ai fini par développer une obsession de mon temps. Comment éviter de gaspiller le peu de temps que l’on a avant la fin ? Surtout qu’au même moment j’arrêtais de croire en une vie après la mort.

Je n’arrive pas à voir comment je peux me permettre d’avoir un enfant dans cette équation. Même si mes amis parents m’ont dit que ça obligeait justement à s’organiser. Ils ont probablement raison. Mais je n’arrive pas à sacrifier autant de liberté pour un autre individu.

Parfois, je reste 48h enfermé chez moi dans mon lit, tout seul. Pas parce que je suis triste, au contraire : j’adore passer du temps tout seul. Comment faire ça avec un enfant ?

En 2015 j’ai rencontré une graphologue. J’ai commencé par me moquer d’elle. Puis, pour ne pas mourir bête, je lui ai demandé de me faire une analyse. Il se trouve que la graphologie n’était qu’un prétexte pour mélanger d’autres disciplines. Elle m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais :

“Tu ne peux pas avoir d’enfant, tu ne t’es pas encore accompli toi-même en tant qu’individu. Tu ne peux pas t’occuper de quelqu’un d’autre alors que tu n’as pas fini de t’occuper de toi-même”.

Tout est dit. Et j’ai l’impression que je n’aurai jamais fini de m’occuper de moi-même. Je n’aurai jamais fini d’essayer de créer des choses. Platon disait que la procréation était la manière fainéante de créer. Que c’était ce que trouvaient les personnes sans talent artistique pour accéder à une forme d’immortalité. Sans aller jusqu’à ce mépris, je comprends ce qu’il veut dire. Ce n’est pas un hasard si autant d’artistes sont sans enfants.

Basculement #2 | Le prix d’un enfant

Dans la même idée, j’ai compris qu’un enfant coûtait cher. Je crois que c’est le premier réveil que j’ai eu. Un jour j’ai lu qu’un enfant coûtait 200 000€ en tout.

Claque. Personne ne m’avait rien dit.

Si on me demande est-ce que je suis prêt à investir 200 000€ dans un enfant…ma réponse est claire.

Basculement #3 | J’ai compris que j’étais noir

Ce sera l’objet d’une autre confession mais j’ai mis beaucoup de temps à comprendre que j’étais noir. Je ne suis pas le seul : Christiane Taubira, Harry Rozelmack, Rhokhaya Diallo ont tous prononcé des phrases dans ce sens. On devient noir dans les yeux des autres. Un jour on comprend qu’on est noir.

J’ai commencé à comprendre que j’étais noir en 2012, en Pologne. La première fois qu’on m’a craché dessus sans raison, juste parce que j’étais noir.

Jusque là, j’étais dans le déni. Je voulais être un blanc (donc un humain) comme les autres.

Or, cette conscience a contribué à me refroidir : si je fais un enfant il sera noir en France hexagonale. Qui suis-je pour faire porter ça à un enfant ? Je réfléchirais différemment si je comptais vivre en Guadeloupe. Mais ce n’est pas le cas. D’ailleurs, quasiment tous mes amis parents guadeloupéens ont fini par rentrer en Guadeloupe en me disant “je ne peux pas élever mon enfant dans ce climat”.

Le climat racial est étouffant. J’ai déjà suffisamment de ma croix à porter, pour la faire porter à un autre.

Basculement #4 | La conscience du danger

Un enfant est un pari. Il n’est pas sans risque. Je ne parle même pas du risque de perdre la mère. En France, au XXIème siècle le risque est minime. Mais notez tout de même qu’il existe : 7 femmes meurent tous les 100 000 accouchements.

Je parle plutôt du pari sur le couple. On l’a vu : l’arrivée de l’enfant est un risque énorme sur la libido. Ça ne s’arrête pas là : l’enfant est un risque énorme sur le couple.

“De plus en plus de couples rompent quand les enfants sont encore très petits : statistiquement autour du quatrième anniversaire du premier enfant ou juste après la naissance du second. Le sexe ou les enfants ? C’est souvent le choix qu’il faut faire”

On en revient au concept de l’épée de Damoclès. On a vu que le couple monogame fait peser un danger sur l’enfant. Mais ça va également dans l’autre sens : l’enfant fait peser un danger sur le couple.

La réaction de l’inquisition

On l’a dit : la parentalité s’ancre dans une culture chrétienne. C’est donc une religion qui vient d’une religion. Or, pour maintenir une religion il faut maintenir une censure, une pression sociale.

Pour maintenir le conformisme des membres il faut stigmatiser ceux et celles qui sortent du rang en refusant d’avoir des enfants. Combien de parents sont capables de reconnaître qu’ils ont eu des enfants uniquement parce que la société les y avait poussés ?

“Il est plus facile et plus confortable de s’inventer des raisons liées à l’amour, à la joie et de parler d’instinct maternel”.

L’instinct maternel.

Quelle connerie.

En général quand on renvoie à l’animalité, à la nature c’est mauvais signe. On ne justifie pas les meurtres par l’instinct de mort ou les agressions sexuelles par l’instinct de reproduction.

Mais rentrons dans le vif du sujet. Voici les réactions les plus fréquentes.

Réaction #1 : “Mais pourquoi ???”

Je mets volontairement plusieurs points d’interrogation pour illustrer la pluie de questions. On ne te le demande pas qu’une fois. On te somme de t’expliquer. On te convoque en garde à vue. On te demande des explications que l’on va scruter à la loupe et contredire. On n’écoute pas ce que tu réponds, on veut juste te remettre dans le droit chemin.

“Il y a une immixtion pernicieuse ou carrément frontale de l’entourage. Je trouve cela très désagréable et totalement inconvenant, car derrière une absence d’enfant, il y a aussi parfois des problèmes de procréation, de stérilité. Lorsque cela ne fonctionne pas, c’est souvent douloureux, et dans ce cas, les gens n’ont pas du tout envie de le crier sur tous les toits ni d’étaler leur vie privée sur la place publique en expliquant pourquoi ils n’ont pas d’enfant. Pour toutes ces raisons, je trouve le prosélytisme pronataliste insupportable !”

D’ailleurs, on remarque que personne ne se permet ce comportement face à des parents. Quand quelqu’un annonce qu’il va avoir un enfant, personne ne crie “mais pourquoi ?”.

Alors que pourtant, parfois on devrait. Certaines personnes ne devraient pas avoir d’enfant, on le sait tous : mais personne ne leur dira en face.

“Je trouve les gens très impolis, très voyeurs. Dès qu’ils savent que je n’ai pas d’enfant, on me dit “Ah bon, tu n’as pas d’enfant ?” sans aucun égard, attendant immédiatement la suite, que je me justifie, que j’apporte les explications d’une telle incongruité. Je ne supporte pas ! Ceci fait partie de ma vie privée. Est-ce que l’on demande à tous les parents pourquoi ils ont eu des enfants ? Est-ce qu’on exige d’eux qu’ils se justifient, qu’ils fassent état de leurs motivations ?”

Réaction #2 : “Tu vas changer d’avis”

Elle est souvent la suite de la précédente. L’interlocuteur affirme avec force que tu vas changer d’avis. Sans aucun argument. Comme si c’était un verset tiré de la Bible.

Bien entendu il faut lire entre les lignes. Il est évident que tous les avis peuvent changer. Seuls les morts ne changent plus d’avis. Mais quand on dit “tu vas changer d’avis” on sous-entend “tu dois changer d’avis” ou alors “ahaha il est encore trop jeune pour comprendre la vérité”. Sinon on ne prendrait pas la peine de prononcer un truc aussi plat.

On se rend compte de la violence du propos ? Là encore est-ce qu’on dirait à quelqu’un qui vient d’avoir un enfant “attention, tu vas changer d’avis”.

Alors que pourtant tous les chiffres portent à croire que c’est bien l’inverse qui se produit : ce sont les parents qui regrettent d’avoir des enfants. Au moins autant que les personnes qui regrettent de n’avoir pas eu d’enfants.

“Quand une chroniqueuse du Chicago Sun Times a demandé dans les années 1970 aux parents s’ils referaient le choix de la parentalité en sachant ce qu’ils savaient, 70% ont répondu par la négative. Une enquête plus récente souligne que 13% des parents en Belgique regrettent d’avoir eu des enfants”.

On ne ment pas à Google. Parce qu’on sait que personne ne nous regarde. Or, sur Google, on a quasiment 4 fois plus de requêtes de parents qui regrettent d’avoir eu des enfants que de requêtes d’adultes qui regrettent de n’en avoir pas eu.

Le tabou empêche de le dire publiquement, mais on retrouve plein de témoignages anonymes sur les réseaux sociaux.

“Si j’avais le choix, je retournerais sans doute en arrière, afin de profiter de mon quotidien en couple”

https://www.neonmag.fr/je-les-aime-mais-je-deteste-ma-vie-de-parent-ils-regrettent-davoir-fait-des-enfants-530985.html

“Fini les plaisirs égoïstes, les soirées ciné et resto improvisées, le calme à la maison et les vacances n’importe où. Aujourd’hui tout doit être calculé et fait au mieux en fonction des enfants, pour privilégier leur sécurité et leurs besoins. Ma vie d’avant me manque bien souvent”

https://www.neonmag.fr/je-les-aime-mais-je-deteste-ma-vie-de-parent-ils-regrettent-davoir-fait-des-enfants-530985.html

“J’aime mes enfants mais j’aimerais ne jamais les avoir eus”

Alors pourquoi c’est sur les personnes qui ne veulent pas d’enfant qu’on met cette pression du changement d’avis ? Surtout qu’on peut finalement décider d’avoir un enfant après 10 ans sans en vouloir. Alors qu’il est impossible de rendre son enfant une fois qu’il est là. La probabilité de regretter est donc évidemment plus grande du côté de la situation irréversible.

En 2015, la sociologue israëlienne Orna Donath a produit une recherche sur des mères avouant regretter avoir eu des enfants. Dans son article scientifique « Je n’aurais pas dû avoir d’enfants… » : une analyse sociopolitique du regret maternel, la chercheuse explique ainsi que la maternité peut apporter un épanouissement profond, mais qu’elle peut aussi mener à la détresse, le sentiment d’impuissance, la frustration, l’hostilité et la déception, et déboucher sur une arène où se jouent des rapports d’oppression et de subordination.

“Doreen : Jamais je n’aurais eu d’enfants si j’avais su !

Moi : Même pas un ou deux ?

Doreen : Aucun. Pas du tout ! Cela me fait beaucoup de peine de dire ça, et jamais je ne le leur dirai à eux. Ils ne pourraient pas comprendre… Même quand ils auront 50 ans… Bon, peut-être qu’ils pourraient comprendre à ce moment-là, mais je n’en suis vraiment pas sûre. Si c’était à refaire, je n’aurais aucun de mes trois enfants. Vraiment.

Je n’en aurais pas, sans l’ombre d’un doute. C’est très difficile à dire pour moi, parce que je les aime. Je les aime beaucoup. Mais je m’en passerais très bien.

J’ai vu un psychologue pendant pas mal de temps. C’est drôle, vous savez. S’il y a bien une chose dont je suis sûre, c’est ça ! Ce que je ressens… La maternité, ce n’est pas quelque chose de sphérique pour moi [c’est incomplet, inachevé] ; mais je suis absolument sûre de ce que je vous dis. Et avec cette dichotomie… vous savez ? J’ai des enfants et je les aime — mais si je pouvais remonter le temps, je n’en aurais pas ; je ne les mettrais pas au monde. Alors, pour répondre à votre question… Si c’était à refaire, non, je n’aurais pas d’enfants.”

Source : https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2017-v49-n1-socsoc03347/1042813ar/

Le moins qu’on puisse dire c’est que la question du regret se pose également pour les parents. Donc pourquoi oppresser quelqu’un qui ne veut pas d’enfant ? Dans les deux cas le regret est possible.

Réaction #3 : “Les enfants donnent un sens à la vie”

Bah…ma vie a déjà un sens. Le voici : je crois profondément que l’éducation peut sauver le monde. Je crois que personne n’est abruti par essence. Abruti est un adjectif. Mais tout le monde peut être éduqué. Tout le monde peut s’épanouir et s’émanciper par la connaissance. Tous les problèmes de ce monde peuvent être résolus par l’éducation. On s’améliore en tant qu’espèce en s’élevant par la transmission de savoir. Or, je veux faire partie de cette chaîne. Je veux enseigner ce que j’ai découvert et qui m’a été légué par d’autres. Je veux l’écrire. Je veux le clamer.

Voici donc le sens de ma vie. Voilà pourquoi j’ai choisi d’exercer le métier d’enseignant (même si ce n’est pas dans l’éducation nationale), voici pourquoi écrivain est mon hobby.

Je n’ai pas besoin d’un enfant pour trouver le sens de ma vie. J’ai mis 20 ans à trouver mais j’ai trouvé.

Si un jour je fais un enfant (qui sait, je peux vraiment changer d’avis un jour, par définition) ce ne sera pas pour trouver le sens de ma vie. Ce sera pour l’aider à trouver un sens à la sienne.

Réaction #4 : “Tu es égoïste”

Mais ? Mais … MAIS ???

J’hésite entre éclater de rire ou en sanglots.

Dans un monde où faire un enfant est la pire décision écologique possible, la solution égoïste c’est de ne pas faire d’enfant ? Il faut qu’on m’explique.

Vous noterez que cette réaction contredit la précédente. Ce qui est égoïste c’est de faire un enfant dans le but de donner un sens à sa vie.

J’imagine que cette réaction est en réalité un aveu de la religion. Cette réaction dit : “comment ça tu n’es pas prêt à souffrir pour accomplir ta destinée ? Moi j’ai souffert, tu dois aussi souffrir”.

Réaction #5 : “Tu ne veux pas transmettre ? Léguer ton héritage ?”

Oui. C’est probablement la seule chose qui se rapproche d’un argument et non pas d’une inquisition. Il est vrai qu’un enfant est l’occasion de transmettre ses valeurs à un autre individu. Mais, d’abord, c’est bien plus limité que le fantasme qu’on s’en fait. Un enfant c’est avant tout un petit humain et pas une statue d’argile ou un Sims.

Ensuite, je comble ce besoin en transmettant à des élèves. D’ailleurs ils blaguent souvent en disant “t’as pas besoin d’enfants tu nous as nous”. Il y a quelque chose de vrai dans cette phrase : j’ai mes élèves, mes lecteurs et plus largement je me sens responsable de l’éducation de tous les humains que je croise. Je me sens responsable de partager mes valeurs au monde entier.

Réaction #6 : “Tu ferais un excellent papa. Une fois que tu l’aurais”

Ah mais je n’en doute pas ! Je vois bien que n’importe qui fait des enfants. Je n’ai aucun syndrome de l’imposteur. De même, je suis convaincu que je serais content d’en avoir si j’en avais.

Mais “une fois de l’autre côté de la barrière” n’est pas un argument qui me convainc. En effet, je ferais également un excellent dictateur. Je ferais aussi un excellent fumeur. Une fois de l’autre côté, je le ferais bien. Mais ce que je vois en étant de ce côté, ne me donne pas envie de franchir.

Réaction #7 : “C’est parce que tu as un problème avec tes parents”

Oui. Les gens osent. Ils osent. Et ensuite ils ne comprennent pas que je les insulte. Donc je vais le dire de la manière la plus courtoise possible : j’ai été baigné d’amour toute mon enfance et mes deux parents sont parmi les humains les plus incroyables que j’ai rencontré. J’aurais aimé être le dixième de mon père à son âge. Je ne sais pas comment ma mère a survécu à trois enfants. J’ai eu l’enfance la plus heureuse possible.

Au contraire, ce serait plutôt ce qui me donnerait envie de faire des enfants : pouvoir rendre ça. Mais…c’est trop me demander.

En écrivant cette phrase je comprends que c’est ce que veulent dire les gens qui disent “tu es égoïste”. Du coup…OUI. J’assume. Merci beaucoup papa et maman. Mais moi je ne vais pas le faire, ça avait l’air super dur.

Je ne supporterais pas d’avoir un enfant aussi ingrat que moi.

Guide pour les débutants qui veulent sortir de la religion de la parentalité

Voici ce que j’aurais aimé qu’on me dise avant que je fasse ce choix.

Conseil #1 | Tu n’as pas besoin d’une raison

En dépit de ce que te laisse penser l’inquisition, tu n’as pas besoin d’une raison. On a envie d’un enfant ou on a pas envie d’un enfant. Si tu as envie d’un enfant, fais un enfant. Si tu n’as pas envie d’un enfant, ne fais pas d’enfant. Aussi simple que ça.

Demande aux autres de respecter “j’ai pas envie”. Tu es un humain qui a le droit de faire des choix. On ne devrait pas te pressuriser parce que tu dis “j’ai pas envie”. Tu imagines si on le faisait sur d’autres sujets ? Quoique…on le fait sur l’alcool en fait. Mais c’est un autre sujet.

Si vraiment on te demande une raison tu peux l’inventer.

Conseil #2 | Tu vas peut-être devoir couper des ponts

Si ta famille ne comprend pas, il va falloir t’imposer ou arrêter d’aborder le sujet. Choisis tes amis correctement : quelqu’un qui agresse régulièrement ton choix n’est pas vraiment ton ami.

Conseil #3 | Ça va poser souci dans ta vie amoureuse

Très peu de français sont dans une démarche consciente de ne pas avoir d’enfants. Une personne sur vingt. Ça va donc devenir un fardeau que tu devras traîner partout : dans les rencards, dans les relations…

Mes dernières grandes ruptures ont toujours été sur ce thème. Soit principalement, soit en toile de fond.

Je ne sais pas si ça ne va pas me condamner à finir seul. J’ai enduré une rupture juste en annonçant que j’avais préparé le plan de cet article.

Je ne vais pas te vendre du rêve : le coût social est extrêmement élevé. Encore plus si tu es une femme.

Demande-toi si ce chemin vaut le coup pour toi.

Conseil #4 | Ce n’est pas définitif

Ne t’accroche pas à la définition sans-enfant. Ça vaut pour tout le reste : végétarien, polyamoureux, etc. Ce sont des étiquettes. Changer de position n’est pas honteux : ce n’est pas un retour en arrière. L’important c’est que maintenant tu as conscience de l’existence du choix. Tu ne te laisses plus porter.

Alors…c’est un sujet particulier puisqu’en la matière il y a bien une date limite. Contrairement au végétarisme : passé un certain âge tu ne pourras plus. Mais ça te laisse bien deux décennies quand même.

Conseil #5 | Les 5 commandements des sans-enfants

Je te recopie un extrait du livre “pas d’enfants, ça se défend !”

1. Vous avez le droit de choisir de ne pas avoir d’enfants

2. Vous êtes l’égal des personnes qui ont des enfants

3. Vous n’êtes pas égoïste en choisissant de ne pas avoir d’enfants et l’on ne devrait pas vous faire culpabiliser pour avoir fait ce choix

4. Les Big Kids heureux sans enfants contribuent ou peuvent contribuer à la société par d’autres biais que par la reproduction

5. Le fait d’avoir des enfants ne rend pas ces personnes meilleures, cela fait d’eux des parents, bons ou mauvais.

Conclusion

Voici donc la fin de ma deuxième confession. J’en profite pour redire ce que j’ai déjà dit : il ne s’agit pas de dire que tout le monde doit faire pareil.

On ne se libère pas d’une religion par une autre religion. Je n’ai pas pour ambition de vous empêcher de faire des enfants. J’ai pour ambition de faire accepter l’idée que c’est un choix. On a donc le droit de faire le choix inverse.

Je sais que dans un monde où la parentalité est si dominante, certains le verront forcément comme la religion inverse. Certains auront l’impression que j’essaie d’appeler à l’inverse. Même avec cet avertissement :

Ce qui est criminel c’est de ne jamais se poser la question. Il faut se poser la question de ce que l’on veut. Sans suivre forcément la pression sociale.

Si à la fin de cet article, tu as encore plus envie d’avoir des enfants : tant mieux. Au moins c’est en toute connaissance de cause. C’est déjà une victoire en soi.

Hey, attends :D

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Nicolas Galita
Dépenser, repenser

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