La collapsologie : prévenir l’effondrement

edeni
edeni stories
Published in
10 min readFeb 18, 2020

Selon le dernier sondage de l’Institut Aristoclès, 72,4% des Français·e·s pensent que “tout peut s’effondrer” et 92 % d’entre eux prévoient le développement de catastrophes dans les années à venir. Cela s’accorde avec la théorie de l’effondrement qui émerge depuis les années 1970, avec le rapport Meadows, Les limites de la croissance (dans un monde fini), publié en 1972 par des chercheurs du MIT (Massachussets Institute of Technology). Ce rapport alerte sur les risques d’une croissance démographique et économique exponentielle sur une planète aux ressources limitées. Près de 40 plus tard, dans un contexte indéniable de réchauffement climatique, Pablo Servigne, ingénieur agronome et docteur en biologie, et Raphaël Stevens, éco-conseiller , ont remis au goût du jour la théorie de l’effondrement dans leur livre Comment tout peut s’effondrer ? Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, paru en 2015. Ils y définissent le néologisme de “collapsologie”, fondé sur le latin collapsus, qui désigne “ce qui est tombé en un seul bloc”, d’où est tiré l’anglais to collapse (“s’effondrer”). Mais à quelles réalités ce nouveau terme renvoie-t-il et pourquoi est-il particulièrement dans le contexte actuel ?

Source : France Info

Envie d’avoir plus de contenus ? Inscrivez-vous à notre newsletter !

La théorie de l’effondrement

Le terme de “collapsologie” se démarque, par son étymologie latine, du terme “eschatologie”, fondé sur le grec eschatos (“le dernier”). En effet, là où l’eschatologie cherche à définir la fin du monde, la collapsologie s’intéresse plutôt à la fin d’un monde, celui de notre société techno-industrielle.

Cet effondrement est défini par Yves Cochet, ancien ministre de l’écologie, auteur de Devant l’effondrement — essai de collapsologie, ayant préfacé l’ouvrage de Servigne et Stevens, comme

“le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi”.

Il sera causé par la convergence de toutes les crises, qu’elles soient écologiques, économiques, sociétales, climatiques, biogéophysiques… Ainsi, ce que l’on conçoit depuis des années comme des crises isolées les unes des autres participeront (voire participent déjà) d’un effondrement global de la société telle que nous la connaissons. On ne sait donc pas précisément ce qui déclenchera l’effondrement, comme le souligne P. Servigne:

“C’est un enchaînement de catastrophes qu’on ne peut plus arrêter et qui a des conséquences irréversibles sur la société. On ne peut pas savoir ce qui le déclenchera : un krach boursier, une catastrophe naturelle, l’effondrement de la biodiversité (…) Ce qu’on peut affirmer, c’est que toutes ces crises sont interconnectées et qu’elles peuvent, comme un effet de domino, se déclencher les unes les autres (…) Il faut imaginer une vie où il n’y a plus rien dans les distributeurs automatiques, où l’essence est rationnée, où l’eau potable n’arrive pas souvent, où il y a de grandes sécheresses et de grandes inondations. Il faut se préparer à vivre ces tempêtes ».

Cet effondrement est donc le passage d’un état d’équilibre à un autre, dont l’espèce humaine ne fera pas nécessairement partie, et encore moins la société telle que nous la connaissons.

Pablo Servigne

Il est d’ailleurs probable qu’il s’agisse moins d’un réel “point de bascule” qu’une influence mutuelle des différentes crises, sans origine définie. Pour certains dont Y. Cochet et son Institut Momentum, qui étudie l’effondrement pour mieux le freiner, ce dernier a déjà commencé dans certains pays du monde comme la Libye ou la Syrie. Selon P. Servigne, “l’effondrement est déjà une réalité”, qui s’étalera sur plusieurs années et qui aura lieu à différents moments pour les différentes personnes, selon leur condition géographique et sociale. Il estime, avec Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle que :

« l’effondrement de la civilisation thermo-industrielle [est] un processus géographiquement hétérogène qui a déjà commencé, mais n’a pas encore atteint sa phase la plus critique, et qui se prolongera sur une durée indéterminée. C’est à la fois lointain et proche, lent et rapide, graduel et brutal. Cela ne concerne pas seulement les événements naturels, mais aussi (et surtout) des chocs politiques, économiques et sociaux, ainsi que des événements d’ordre psychologique (comme des basculements de conscience collective).» (Une autre fin du monde est possible : vivre l’effondrement, et pas seulement y survivre).

Certains symptômes de l’effondrement sont déjà visibles puisque, d’après François Gemenne et Aleksandar Rankovic dans leur Atlas de l’anthropocène (Presses de SciencesPo, 2019) et la décla­ra­tion annuelle de l’Organisation météorologique mondiale sur l’é­tat du cli­mat dans le monde :

  • Un tiers des terres et 40 % des océans sont alté­rés
  • L’extinction mas­sive en cours est beau­coup plus rapide que les pré­cé­dentes
  • Au regard de l’ère pré­in­dus­trielle, le réchauf­fe­ment cli­ma­tique moyen a déjà dépas­sé + 1 °C, ce qui signifie qu’il est proche de sa phase d’emballement
  • La moi­tié des hydro­car­bures (char­bon, pétrole et gaz natu­rel) ont été extraits et brû­lés en l’es­pace de deux siècles
  • Les mine­rais et métaux se raré­fient
  • L’air que nous res­pi­rons est pollué et donc dangereux pour notre santé
  • L’eau potable se fait de plus en plus rare
  • La pénurie de pétrole est prévue dès cette année 2020 selon le rapport World Energy Investment 2019 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) de mai 2019, et même selon le PDG de Total qui le disait déjà en 2018

En outre, ces phénomènes s’alimentent entre eux. Un bas­cu­le­ment éco­lo­gique est donc bien en cours et s’a­vère irré­ver­sible. Néanmoins, il existe plusieurs manière de concevoir l’effondrement. Trois théories cohabitent :

  1. Le chaos : la pénurie d’hydrocarbures et de ressources alimentaires ainsi que les nombreuses pannes d’électricité provoqueront des violences, des pillages, des trafics en tous genres et des guerres
  2. La décroissance forcée : si nous prenons le temps de nous y préparer, cela peut constituer une solution à l’effondrement. Il s’agit de refonder la société sur la coopération, chacun participant de l’effort collectif. Cette solution refuse la violence et l’autorité.
  3. L’extinction de l’espèce humaine : pour certain·e·s, l’effondrement est inéluctable et plus il surviendra tard, plus il sera dangereux : il pourra alors conduire à la fin de notre espèce, notamment à cause de l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre, qui rendra impossible la vie de l’Homme sur Terre.

De ces trois théories, celle qui est préférable pour notre espèce est la deuxième. Cependant, pour la rendre possible, il faut étudier les différentes hypothèses d’effondrement afin d’essayer de s’y adapter : c’est ce que cherche à faire la collapsologie, en tant que discipline.

La collapsologie : une approche scientifique de l’effondrement

Si la collapsologie n’est pas à proprement parlé une science puisque ses résultats ne peuvent être qu’hypothétiques, elle constitue une approche pluridisciplinaire, recourant aux diverses sciences écologiques, économiques, sociales, physiques et géographiques. Son objectif est de modéliser l’évolution des sociétés humaines passées, qui sont des systèmes complexes socio-écologiques, afin de pouvoir définir quelles sont les caractéristiques et les signes avant-coureurs de la fin d’une société et ainsi prévenir la fin de la nôtre.

Sander van der Leeuw, du Centre des systèmes complexes bio-sociaux (université de l’Arizona) détaille :

“Nos simulations n’ont pas forcément de pouvoir prédictif, mais elles nous permettent de tester les théories avancées par les historiens et de comprendre les mécanismes sous-jacents qui ne laissent pas forcément de traces archéologiques”.

Or, l’état de l’écosystème est une des causes principales de l’effondrement d’une société. En effet, Michel Loreau, directeur du Centre de théorie et modélisation de la biodiversité, explique :

“Nous avons récemment simulé la conversion d’espaces naturels en terres agricoles pour répondre à l’appétit d’humains toujours plus nombreux. Or, notre modèle montre que la dégradation des services rendus par les écosystèmes pollinisation, cycle des nutriments, filtration de l’eau potable, qualité de l’air, régulation des épidémies aboutit à une hausse de la mortalité et, in fine, à un déclin important de la population mondiale !”

Cela renforce l’idée que pour sauver notre espèce, il faut également sauver celles (animales et végétales) qui nous entourent.

Cependant, l’immense majorité des chercheurs doute de l’existence d’une cause unique d’effondrement d’une société.

“Beaucoup de simulations pointues montrent que le basculement ne s’explique pas seulement par un climat extrême, la perte d’un écosystème ou la survenue d’une catastrophe majeure, comme l’éruption du Santorin pour la civilisation minoenne”, signale Angelos Chliaoutakis, modélisateur à l’université technique de Crète.

En effet, le type d’organisation sociale joue également un rôle prépondérant dans l’effondrement d’une société, comme cela apparaît dans le modèle d’un groupe de chercheurs américains, nommé HANDY (“Human and Nature Dynamics”). Il reproduit une société inégalitaire, proche du modèle capitaliste, dans lequel les citoyens exploitent intensément des ressources et produisent de la richesse à destination des élites, qui ne la redistribuent pas de manière égalitaire. Eugenia Kalnay (Université du Maryland) tire les conclusions suivantes de cette modélisation :

“Nous avons constaté que ces inégalités rendent l’effondrement plus difficile à éviter : cette stratification économique accélère et aggrave le processus. À l’inverse, la simulation montre que les sociétés égalitaires finissent par se stabiliser.”

Ainsi, encourager l’égalité est un moyen d’augmenter la résilience d’une société.

De même, une simulation menée en 2018 montre que la civilisation maya se serait effondrée à cause d’une surexploitation des sols. En effet, en modélisant l’émergence d’une agriculture intensive à partir de l’an 550, les chercheurs sont parvenus à reproduire l’augmentation rapide du nombre de Mayas, constatée dans les années 700, et l’extension de leurs constructions. Jusqu’à ce que ce système connaisse une “bifurcation supercritique” vers l’an 900 : les ressources agricoles sont arrivées à saturation et la société s’est effondrée.

Or, jamais l’humanité n’a exploité les sols de manière aussi intensive, et est en outre très inégalitaire : selon le Rapport sur les inégalités mondiales 2018, les 1 % des plus hauts revenus ont capté 27 % de la croissance depuis 1980, et en ont deux fois plus profité que les 50 % les plus pauvres. Notre civilisation serait donc peu résiliente et il ne faut pas croire que “le progrès” que nous avons connu nous protégerait de l’effondrement. Par exemple, notre hyperconnectivité, facilitant les échanges de flux, pourrait aussi propager plus rapidement les crises. De surcroît, notre système reste semblable à celui des civilisations antérieures, et nous restons donc soumis aux mêmes pressions, comme l’explique Thimothy Lenton, directeur de l’Institut des systèmes globaux (université d’Exeter) ;

“Comme ces civilisations passées, nous restons des sédentaires, dépendants de l’agriculture et seulement capables de supporter une certaine fenêtre de conditions climatiques”.

Il nous revient alors de chercher à adapter notre système à l’effondrement, en augmentant ainsi sa résilience.

La collapsosophie : une nouvelle manière de penser la société pour prévenir l’effondrement

Si la collapsologie consiste en l’étude de l’effondrement de la fin des sociétés, le terme de “collapsosophie” peut être utilisé pour désigner la philosophie de vie qui cherche à prévenir cet effondrement. Elle invite à essayer de vivre dès maintenant comme nous pourrions le faire après cet effondrement. Il faut alors développer de nouveaux modèles agricoles, repenser l’aménagement des villes et favoriser le low-tech.

Cela peut passer par des mesures comme la création de ceintures urbaines agricoles, gérées selon le principe de la permaculture, pour approvisionner les habitants en légumes ou encore la récupération d’eau de pluie notamment pour la douche ou pour constituer des stocks d’eau. Il est également possible de mettre en place des mesures de protection de l’environnement, sans tomber dans la volonté de créer artificiellement des nouveaux éco-systèmes qui pourraient perturber la faune et la flore préexistante à cette entreprise.

La solidarité deviendra alors nécessaire, afin d’éviter de tomber dans un chaos concurrentiel qui serait néfaste à l’humanité. Il faudrait donc sortir de nos liens actuels de dépendance pour repenser le modèle social autrement.

Il convient alors d’être positif·ve et de ne pas voir l’effondrement comme la fin de toute civilisation mais au contraire comme une perspective d’amélioration vers un monde plus équitable, plus résilient et plus respectueux de l’environnement. En effet, la société actuelle n’est que celle de l’extractivisme et de l’exploitation de l’Homme par l’Homme, et est bien loin d’être la seule manière de vivre ensemble. Les soulèvements et initiatives populaires, contre les systèmes actuels, partout dans le monde sont donc une note d’espoir, car ils sont les prémices d’un changement plus général : en juin 2018, une expérience publiée dans Science a établi que la conversion à grande échelle vers une nouvelle norme sociale pouvait intervenir à partir d’un seuil de 25 % de la population déjà convertie. Or, des ambassadeurs comme Greta Thundberg peuvent informer et mobiliser des millions de personnes, les réseaux sociaux devenant dans ce cas une aide. Il nous revient donc de choisir l’avenir que nous voulons pour notre société et d’agir en ce sens, en utilisant les moyens qui déjà à notre disposition.

Pour vous renseignez davantage sur la collapsologie, vous pouvez consulter le portail documentaire sur ce sujet : http://www.collapsologie.fr

Si vous voulez aligner votre mode de vie à vos valeurs, rendez-vous sur https://www.edeni.fr

Sources :

  1. https://www.science-et-vie.com/science-et-culture/theorie-de-l-effondrement-notre-civilisation-peut-elle-vraiment-disparaitre-49692
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Collapsologie
  3. https://www.revue-ballast.fr/depasser-les-limites-de-la-collapsologie/

--

--