La convention citoyenne sur le climat : innovation démocratique et engagement écologique

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8 min readJun 30, 2020

Le président de la République a répondu ce lundi 29 Juin aux 150 membres de la convention citoyenne qui ont travaillé pendant neuf mois sur 150 propositions (dont une, le passage de 35 à 28h de travail par semaine sans changement de salaire, a été rejetée par vote par la convention avant la remise des propositions à l’exécutif). L’objectif que le gouvernement leur avait fixé était clair : réduire d’au moins 40% les émissions de GES de la France d’ici 2030 (par rapport à 1990), dans un esprit de justice sociale. Cette convention était véritablement inédite car elle représentait une véritable prise de conscience démocratique et écologique de la part de l’Etat.

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Qu’est-ce que la convention citoyenne sur le climat ?

La convention citoyenne sur le climat est née des suites du Grand Débat qu’Emmanuel Macron avait organisé après la crise des Gilets Jaunes. Elle a donc permis de renouer avec une autre forme de démocratie, plus engageante pour les citoyen·ne·s, mais aussi avec la question environnementale, priorité principale des Français·es (ce que la vague verte des élections municipales a à nouveau prouvé), que le gouvernement semblait avoir oublié pendant la première moitié du quinquennat.

Dans cet objectif, 150 citoyen·ne·s ont été tiré·e·s au sort fin août 2019, parmi plus de 250.000 personnes, selon une logique de représentativité la plus fidèle possible aux caractéristiques de la population française. Les délibérations en elles-mêmes ont commencées à la mi-octobre. Les citoyen·ne·s étaient encadré·e·s par des expert·e·s et réparti·e·s en cinq groupes de travail thématiques :

  • produire et travailler (10 objectifs)
  • se loger (3 objectifs)
  • se déplacer (11 objectifs)
  • consommer (5 objectifs)
  • se nourrir (14 objectifs)

Quelques exemples de propositions de la convention citoyenne sur le climat :

  1. En ce qui concerne la production et le travail, l’épargne sera réorientée vers des investissements verts : « L’innovation doit s’inscrire dans la logique de sortie d’un modèle basé sur le carbone » d’ici 2020. De plus, localement, les citoyen.ne.s devront participer à la production d’énergie verte. Pour mettre en œuvre ces mesures, la Caisse des Dépôts et Consignations devra réglementer l’épargne vers les investissements verts et la relocalisation et intégrer à sa gouvernance des acteurs de la société civile.
  2. Le groupe de travail “se loger” a décidé la rénovation énergétique globale des bâtiments (toit, isolation, fenêtre, chauffage et VMC) rendue obligatoire d’ici à 2040, ce qui demande de multiplier le rythme des travaux par trois, mais permettra de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre issus du secteur résidentiel et tertiaire (représentant 16% des émissions nationales) ; ainsi que la lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols en levant l’interdiction d’immeubles collectifs dans des zones pavillonnaires et en sensibilisant à l’intérêt de villes compactes
  3. Les objectifs de “se déplacer” visent surtout le développement massif des alternatives à la voiture que sont le vélo, les barges et le train en réduisant la TVA et en modernisant les infrastructures afin notamment de doubler le fret ferroviaire et fluvial
  4. La consommation doit également devenir plus sobre : la convention propose donc de réduire les incitations à la consommation en réduisant les publicités pour les produits très polluants, questionner la sobriété numérique et la 5G (« le passage de la 4G vers la 5G générerait plus de 30 % de consommation d’énergie carbonée en plus, sans réelle utilité (pas de plus-value pour notre bien-être) »), mettre en avant “l’enseignement de la réflexion critique”, renégocier l’accord entre l’UE et le Canada (CETA) et réformer la politique commerciale européenne et mondiale.
  5. Pour que tout le monde puisse se “nourrir” de manière saine, la convention demande d’atteindre un objectif de 40% des terres agroécologiques en 2040, avec un système de chèques alimentaires pour que les familles les plus modestes puissent avoir accès à ces produits de qualité. Le retour au local est également une des préoccupations principales de ce groupe de travail.

L’engagement de Macron : une opération de communication ?

Alors que les élections municipales ont été marquées par la vague verte et la défaite de la République en marche, il est temps pour le chef de l’Etat de montrer qu’il n’est pas déconnecté des demandes de la population et de l’urgence écologique. La mise en place de la convention citoyenne pour le climat marquait une prise de conscience mais faut-il encore que le gouvernement respecte ses engagements (certaines propositions était au programme du candidat Macron mais n’ont pas été débattues depuis son élection).

Il y semble pour le moment déterminé. Il va en effet transmettre “sans filtre” les 146 mesures (il s’est attribué trois jokers) au Parlement et au conseil de défense écologique (i.e. un conseil des ministres dédiées aux questions de biodiversité). Certaines seront intégrées dans le plan de relance économique, écologique et social post-covid d’ici la fin de l’été. Des groupes de travail constitués de membres de gouvernements, de parlementaires, d’élu·e·s locaux·ales et des membres de la convention (qui auront un droit d’alerte) proposeront des projets de lois également d’ici la fin de l’été.

Macron s’est aussi engagé à transmettre les propositions qui relèvent de l’échelle européenne aux autres membres de l’UE (mise en place de la taxe carbone aux frontières du continent, verdissement de la politique agricole commune). Enfin, sur le plan international, il laisse encore une marge aux accords commerciaux comme le CETA pour s’aligner sur les Accords de Paris, sinon il les quittera comme il l’a fait avec le Mercosur.

Le président a également souligné dans sa réponse à la convention citoyenne quatre piliers sur lesquels reposent la convention citoyenne et qu’il partage comme principes :

  • placer l’écologie au centre de la question économique avec 15 Milliards d’euros supplémentaires investis sur 2 ans dans la conversion de l’économie vers l’écologie
  • la justice sociale
  • l’aménagement et l’accessibilité du territoire
  • la responsabilité de chacun·e et l’engagement de la nation dans toutes ses composantes : le gouvernement et le parlement bien entendu, mais aussi les citoyen·ne·s et les entreprises.

Mais, au-delà de ces principes, nous pouvons noter des faiblesses dans l’engagement de Macron. Il a reconnu, et revendiqué, qu’il ne voulait pas d’une décroissance. C’est d’ailleurs comme cela qu’il justifie de ne pas taxer les dividendes des actionnaires à hauteur de 4% (c’est l’une des trois mesures qu’il a refusé) : il ne veut pas freiner les investissements et la production mais seulement les rediriger vers une économie verte. Or, nous avons déjà montré dans nos précédents articles que l’effondrement était inévitable tant que nous continuions à consommer toujours plus de ressources que ce que la Terre a à nous offrir et que les technologies vertes pour sauver l’environnement n’était qu’une illusion.

De surcroît, comme le relève la France Insoumise, pour respecter l’accord de Paris, il ne faudrait pas réduire de seulement 40% nos émissions de gaz à effet de serre mais bien de 65%.

Enfin, le fait même de recourir à des “jokers” affaiblit la puissance de la convention citoyenne. En outre du refus de taxer les dividendes, il a également refusé la proposition des 110 km/h pour ne pas ré-enclaver les territoires, et d’inscrire dès le préambule de la constitution car il y voit un risque de menace pour les libertés publiques et les règles démocratiques.

Un nouveau pouvoir citoyen

Néanmoins, quelque soit la position d’Emmanuel Macron, la convention citoyenne (qui ne sera pas la seule, d’autres suivront sur différents sujets) a ouvert le débat de la place des citoyen·ne·s dans la gouvernance de la France. Si les membres tirés au sort n’ont pas de légitimité électorale, ils sont peut-être davantage représentatif de ce qu’est la France dans leur diversité. En effet, au sein des membres de la convention, on compte une majorité de femmes, de nombreuses personnes faiblement ou non diplômées (il y a autant de non diplômés dans cette assemblée que de non diplômés dans l’ensemble de la population), cinq jeunes de 16 à 17 ans, deux agriculteurs, 26 % d’ouvriers et d’employés et même « deux anciens sans domicile fixe », d’après Laurence Tubiana. 13 % de ses membres habitent aussi des quartiers prioritaires et 15 % des communes rurales. Là où les élections permettent de choisir des “élites”, ayant un parcours les rendant capables de (ou du moins légitimes à) prendre des décisions, la convention citoyenne cherche davantage à représenter la population telle qu’elle est. Comme l’a souligné le président, ce nouvel appareil politique, première mondiale aussi bien par son ambition que par son ampleur, ne doit pas concurrencer le Parlement (car les autres concitoyen·ne·s n’ont été consulté·e·s ni sur le choix des membres ni sur les mesures), mais bien le compléter. Toutefois, elle a permis de montrer que les citoyen·ne·s encadré·e·s par des expert·e·s et formé·e·s sur des sujets politiques peuvent devenir aussi responables que ces politiques, voire davantage, car iels n’ont pas le souci de représenter un parti ou de se faire réélire.

A cela va s’ajouter le vote par référendum de deux mesures, donnant ainsi le pouvoir à l’ensemble des citoyen·ne·s. Ces propositions sont :

  • la modification de l’article 1er de la Constitution visant à renforcer la responsabilité de la France en matière environnementale en ajoutant au texte actuel : “La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique.”
  • la pénalisation du crime d’écocide, si le Parlement souhaite faire appel au référendum (le Parlement doit être consulté au préalable sur cette mesure, afin de respecter la constitution).

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