Le greenwashing : quand l’économie se sert de l’écologie

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8 min readMay 5, 2020

L’environnement était la première préoccupation des Français.es en 2019 selon un sondage Ipsos-Sopra Steria. La crise du Covid-19 a probablement redistribué les préoccupations mais il reste tout de même une véritable conscience de la catastrophe écologique qui s’annonce, surtout que le coronavirus a émergé précisément parce que nos modes de vie ne sont pas assez respectueux de l’environnement. Les entreprises axent donc leur communication sur cette préoccupation majeure et vantent leurs engagements environnementaux et sociaux. Le problème c’est qu’il s’agit bien souvent d’un engagement de façade. C’est ce que l’on appelle le greenwashing.

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Qu’est-ce que le greenwashing ?

En Français, “écoblanchiment, “verdissage” ou encore “mascarade écologique”, le greenwashing désigne une communication trompeuse, visant à améliorer l’image d’une entreprise, en lui donnant pour préoccupation l’environnement ou l’éthique. Or, souvent, la communication en elle-même a coûté davantage que l’engagement écologique qu’elle promet. Un des exemples marquants a été la campagne du principal fournisseur d’électricité en France qui promouvait son investissement dans les énergies renouvelables alors que cela ne représentait que 2% de son budget (soit 8,9 millions d’euros) alors même que la campagne de publicité qui transmettait ce message avait coûté 10 millions d’euros.

Le terme anglais greenwash est apparu dès 1989 et a été substantivé en 1991 mais c’est surtout au milieu des années 2000 que le terme se répand, en même temps que le phénomène lui-même. Il a connu également un essor en 2015 avant la COP21, puisque c’est à cette période que la lutte pour la protection de l’environnement est devenu l’un des sujets centraux de la politique et de l’économie.

On a alors vu la multiplication d’informations volontairement erronées pour détourner les faits réels, que ce soit par le fond ou la forme du message, afin de revendiquer une performance environnementale de manière abusive. Cela a toujours cours dans tous les secteurs : industrie, automobile, habitat…

Comment déceler le greenwashing ?

Le greenwashing peut aussi bien résider dans le contenu du message que dans son graphisme.

Les entreprises qui le pratiquent ont tendance à utiliser des touches de vert ou de bleu dans leurs logos ou sur leurs emballages. En effet, le vert, selon l’historien des couleurs Michel Pastoureau, est passée du statut de couleur mal aimée, renvoyant au diable et portant malheur au théâtre à la couleur de la nature, de la santé, et surtout de l’écologie de nos jours. Le bleu est de même associé à l’eau et à la pureté. Changer la couleur permet de ne pas faire d’efforts sur le fond ou alors très peu comme le signale l’exemple d’une chaîne de fast-food qui a simplement changé le fond de son logo du rouge au vert et rajouté quelques sandwichs végétariens au menu pour changer son image et ne pas révéler le désastre écologique que constituent les tonnes de viande qu’elle utilise. On peut aussi noter l’exemple d’une compagnie pétrolière qui a une fleur verte et jaune sur son logo.

Un changement dans les noms des produits peut aussi être une bonne astuce de greenwashing. Si, il y a quelques années, c’était la syllabe “oo” qui rendait instantanément une marque “cool” (Yahoo, Google, Wanadoo), les termes “éco”, “cloud”, “pure”, “blue”, “green”, “nature” et “bio” permettent désormais de verdir sa production à peu de frais. Ainsi, des lessives deviennent “éco” sans porter l’écolabel, des yaourts “bio” alors que les fruits qu’ils contiennent ne le sont pas et des jambons “100% naturels” alors que l’on injecte des antibiotiques aux animaux.

Il faut également faire attention au label car ce sont parfois les entreprises elles-mêmes qui se labellisent en faisant appel à des spécialistes qui leur sont dépendants. Les constructeurs automobiles sont ceux qui recourent le plus à ce type greenwashing, ce qui a été révélé lors des études sur les moteurs diesels. On peut citer notamment le label Renault Eco que le constructeur se décerne lui-même ou la technologie Bluemotion de Volkswagen qui a d’ailleurs été condamnée.

Les producteurs ont aussi tendance à vanter beaucoup le fait d’enlever des composantes dangereuses de leurs produits alors même que ces composantes sont interdites par la loi. Pire encore, elles sont parfois remplacées par des produits chimiques tout aussi néfastes : le bisphénol A a ainsi été remplacé par du bisphénol B, dont on ne connaît pas encore exactement les effets et donc qui n’est pour le moment pas interdit, mais rien ne laisse envisager qu’il est moins dangereux que son cousin. C’est également le cas pour le parabène, les conservateurs et les parfums, souvent remplacés par d’autres composantes chimiques pour que le produit garde les mêmes qualités.

On peut ainsi se référer au guide anti-greenwashing publié par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en 2012, selon lequel les pratiques d’écoblanchiment sont :

  • le mensonge pur et simple ;
  • la promesse disproportionnée ;
  • l’usage de termes vagues ;
  • le manque de transparence, d’informations ;
  • des visuels trop suggestifs par rapport au produit réel ;
  • le faux écolabel (autoproclamé et ne correspondant à aucun référentiel) ;
  • une mise en avant de pratiques durables sans rapport avec le produit ;
  • des allégations sans preuves ;
  • une fausse exclusivité, alors que l’entreprise ne fait que respecter la loi.

Pour se repérer, le quotidien suisse Le Temps a proposé une liste de questions pour déceler un éventuel greenwashing (une majorité de « non » est suspecte) en 2019 :

  1. La démarche environnementale touche-t-elle au cœur d’activité de l’entité ?
  2. Les objectifs annoncés sont-ils chiffrés et planifiés selon un calendrier et une méthode clairs ?
  3. Le vocabulaire et les unités employés sont-ils précis ?
  4. La démarche environnementale concerne-t-elle l’ensemble des activités de l’entreprise ?
  5. L’entreprise est-elle suffisamment transparente sur sa chaîne d’approvisionnement et son circuit de distribution ?
  6. La personne chargée des questions environnementales est-elle membre de la direction générale de l’entreprise ?
  7. L’entreprise fait-elle amende honorable sur d’éventuelles critiques crédibles et récentes pour des atteintes à l’environnement ?

Lutter contre le greenwashing

Si la manière la plus simple et sans doute la plus efficace de lutter contre le greenwashing est de boycotter les marques qui y ont recours (ce qui est aussi mieux du point de vue de notre consommation, puisqu’on peut alors choisir des alternatives plus éco-responsables), il existe plusieurs autres manières de le dénoncer.

La loi

Même si elle n’est pas toujours efficace puisque l’on trouve encore des cas de greenwashing (les messages publicitaires à caractère environnemental ont plus que quintuplé en trois ans), la loi permet tout de même de réguler cette pratique. C’est dans cette optique qu’a été créée l’ARPP (Agence de la Régulation Professionnelle de la Publicité).

Ainsi, en 2015, dans le contexte de la fermeture de Fessenheim, le fournisseur d’électricité susmentionné a été épinglé pour trois de ses publicités par le Jury de la déontologie publicitaire pour manquements à la Recommandation Développement Durable de l’ ARPP. Les trois cas sont les suivants :

- une campagne internet. « 100 % » en très gros caractères, suivie, en plus petit, de la mention « d’électricité produite sans émission de CO2 en Alsace » est susceptible d’induire le public en erreur sur la réalité écologique des actions de l’annonceur

- une campagne Internet et presse « Partenaire officiel d’un monde bas carbone » sur visuel de parc d’éoliennes ou de barrage hydraulique. Verdict : cette allégation n’est pas conforme aux exigences de clarté

- une campagne Internet. Sans explication, l’expression « 98% de la production électrique française sans CO2 » sur un visuel de cascade peut être de nature à induire le public en erreur sur la réalité des actions mise en œuvre

En effet, ces publicités semblent omettre que, si le nucléaire est une énergie qui n’émet pas de carbone, elle produit en revanche de nombreuses tonnes de déchets nucléaires, que nous ne savons pas encore traiter. Or, selon l’ARPP, « l’assimilation directe d’un produit présentant un impact négatif pour l’environnement à un élément naturel (animal, végétal…) est à exclure ».

Des marques qui luttent contre le greenwashing

La Fashion Revolution Week s’est déroulée la semaine dernière (de manière virtuelle pour cause de confinement) : cette Fashion Week spéciale a pour objectif de mettre en avant une mode plus responsable écologiquement et socialement. L’enseigne de prêt-à-porter WeDressFair, qui vend en ligne des vêtements dont les conditions de fabrication sont plus respectueuses de l’environnement et de l’humain en a profité pour lancer une campagne de publicité anti-greenwashing.

La Fashion Revolution Week s’est engagée dans une démarche éthique après le choc de l’effondrement du Rana Plaza, immeuble insalubre qui abritait des ateliers de confection textile à Dacca, capitale du Bangladesh, le 24 mars 2009. Cet effondrement a coûté la vie à 127 personnes et a fait de nombreux.ses blessé.e.s. Il a aussi mis en avant les conditions de vie déplorables des couturier.ère.s sous-payé.e.s, qui travaillent à la chaîne pour des vêtements à destination des Occidentaux. Il y a eu alors de nombreuses attaques contre les marques de prêt-à-porter, mais la réponse de celles-ci fut davantage communicationnelle (greenwashing) que réellement éthique.

C’est pour cela que WeDressFair a voulu faire cette campagne anti-greenwashing en lançant le hashtag #duvraipasduvert pour dénoncer les dérives de la communication de certaines marques. En voici quelques visuels :

Néanmoins, il convient de noter que WeDressFair vise aussi par cette campagne à vendre ses produits, mais cela nous semble plus honnête car il y a un réel engagement derrière, bien qu’il soit toujours mieux d’acheter des vêtements de seconde main que d’en acheter des neufs, aussi éthiques soient-ils.

Le pouvoir des citoyen.ne.s

Aramco, la plus grande compagnie de pétrole au monde, entrée en bourse avec un record historique de 1 000 milliards de dollars (soit le PIB du Canada) a récemment été condamnée pour une campagne publicitaire qui prétendait que le pétrole était une énergie “durable”, jouant volontairement sur ce mot utilisé dans la lutte contre le réchauffement climatique. Cette condamnation par l’ASA (Advertising Standards Authority) a eu lieu après une soixantaine de plaintes, déposées par des ONG et des mouvements citoyens. La force des collectifs a ainsi pu condamner un géant économique.

La lutte contre le greenwashing peut se faire à tous les niveaux mais il faut avant tout savoir le déceler, et pour cela exercer son esprit critique. Si toute revendication écologique n’est pas nécessairement fausse, il convient toujours d’interroger les engagements réels qui sont derrière elle.

Sources :

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