Sommes-nous résilients face au coronavirus ?

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11 min readApr 2, 2020

Nous vous expliquions la semaine dernière en quoi le coronavirus était une crise écologique. Néanmoins, il ne suffit pas de connaître les origines d’une crise pour bien la vivre au quotidien, à l’échelle individuelle comme à l’échelle de la Nation. Alors que la moitié de la population mondiale est confinée, nous nous intéressons à la manière dont nous avons réagi, en tant que personnes mais aussi en tant que groupe social, à cette crise sanitaire historique, et aux conclusions, parfois hâtives, qui en ont été tirées.

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Une crise à laquelle nous n’étions pas préparé.e.s

Comme l’indique à juste titre Aurélien Barrau dans son introduction à son cours sur la philosophie des sciences, il y a eu, collectivement, une incapacité à anticiper la crise du coronavirus. Dans un premier temps, nous avons pensé que ce virus resterait un virus “chinois”, comme si l’éloignement géographique nous empêchait de nous préparer à ce qui était susceptible d’arriver. Mais même quand le virus est arrivé en Italie, il a fallu que nos hôpitaux arrivent à saturation pour que le gouvernement prenne des mesures autoritaires. Néanmoins, cette erreur n’est pas seulement celle d’un gouvernement puisque nous n’aurions pas nécessairement compris la rigueur des mesures sans avoir compris que cette pandémie était d’une ampleur sans précédent ces dernières décennies. Beaucoup ont continué à se faire la bise, à ne pas respecter les règles d’hygiène et même à continuer de fréquenter en masse les lieux publics, le soir même où leur fermeture a été annoncée pour des raisons de sécurité sanitaire. A vouloir (nous) rassurer, il semblerait que nous n’ayons pas pris la mesure de ce qui nous arrivait. Cela est notamment dû aux messages politiques, comme ceux d’Agnès Buzyn en janvier qui indiquait qu’il y avait très peu de chances que l’épidémie se propage en France, ou encore ceux de Trump, qui ironisait sur le coronavirus quelques semaines avant que son pays devienne celui avec le plus de cas au monde. De même, il a longtemps été dit que les masques n’étaient utiles que pour les personnes malades ou les personnes à risque, alors que désormais, Emmanuel Macron en porte pour ses déplacements. Le manque d’information ou de discours cohérent a engendré une méconnaissance de la nécessité de se préparer à un choc sanitaire. Or, l’absence de préparation a été un facteur aggravant à la crise.

Ce manque d’anticipation que révèlent les discours politiques et médiatiques, est également présent au niveau des politiques publiques menées depuis ces dernières années, alors même que la forte probabilité d’une nouvelle pandémie était annoncée par les scientifiques. Le coronavirus met surtout en lumière la réelle nécessité d’avoir un système d’hôpital public. Cependant, celui-ci avait été délaissé par les gouvernements successifs avec une politique “gestionnaire” des hôpitaux, que déplorent depuis longtemps tout le personnel de santé, sans qu’on ait su l’entendre. Depuis 20 ans, 100 000 lits ont été supprimés, soit 20% du nombre de lits total. Ces suppressions ont notamment eu lieu dans les services d’urgence, où pourtant, dans le même temps, le nombre de passages a été multiplié par deux. Les médecins et, plus généralement, le personnel de santé se plaignent de la difficulté de soigner correctement les patients dans des laps de temps de plus en plus courts et avec un manque de moyens matériels qui ne leur permet pas d’appliquer les nouvelles procédures. En outre, sur la même période a eu lieu le virage ambulatoire, avec une tarification des services à l’acte, qui furent des accélérateurs de la marchandisation des soins. Or, les patients atteints du coronavirus nécessitent une prise en charge de longue durée, dans des chambres isolées et sont, de surcroît, de plus en plus nombreux, ce qui pose des problèmes de manque de lits mais aussi de personnel.

Si l’hôpital est le principal “champ de bataille”, pour reprendre le vocabulaire martial (contestable) d’Emmanuel Macron, de la lutte contre la pandémie, et que par conséquent, il est le meilleur révélateur de ce qui ne fonctionne pas dans le système tel qu’il existe, le manque de préparation à une telle crise souligne également des dysfonctionnements à d’autres niveaux. Pour rester dans le domaine de la santé, l’absence de financement de la recherche pharmaceutique et le monopole de laboratoires privés ne permettent pas assez de prévoir de telles épidémies, tant au niveau de la recherche de traitements qu’au niveau de la fabrication de ceux-ci en grand nombre. De plus, la délocalisation de nombreuses usines de fabrication de médicaments rend difficile l’approvisionnement, en particulier en cas de pandémie où les usines et les frontières se ferment. En effet, 80% de la production de substances actives se fait en dehors de l’Union Européenne (contre seulement 30% il y a 20 ans), et la France n’a donc plus les moyens matériels de fournir des remèdes en grand nombre. Néanmoins, le secteur pharmaceutique n’est pas le seul touché par ces difficultés de production en période de pandémie, bien qu’il soit le secteur où cela s’avère le plus critique. Toute l’économie est en effet déstabilisée par cette crise qui paralyse successivement les différentes zones géographiques et donc, dans un système mondialisé, les lieux de fabrication et de décisions, nous y reviendrons. Enfin, le politique également est traversé par la crise et semble ne pas savoir prendre de décisions dans ce contexte particulier, comme le révèle le maintien du premier tour des municipales quelques jours seulement avant le confinement total ou la difficulté à assurer la continuité pédagogique, avec des plateformes de travail qui sont rapidement arrivées à saturation.

Ainsi, nous constatons la nécessité d’avoir un État déjà préparé à la crise, et qui prévoit sur le long terme, en finançant suffisamment les services publics que sont la santé, l’éducation et la recherche, afin d’éviter que ce genre de crise se reproduise et peut-être en tirer des leçons pour la crise écologique qui s’annonce, comme nous le verrons dans nos prochains articles.

Les réactions à la crise : entre égoïsme et solidarité

Dès les premières annonces de l’épidémie par le gouvernement chinois en janvier, une inquiétude s’est faite ressentir en France. Cependant, elle n’a pas permis d’anticiper la crise, comme nous le disions plus haut, puisqu’elle ne s’est pas traduite par des gestes hygiéniques efficaces contre la transmission de la maladie mais plutôt par la multiplication de discriminations anti-asiatiques, de l’”humour” fondé sur des préjugés racistes, notamment sur les réseaux sociaux, à des gestes délibérés d’évitement des personnes d’origine asiatique, qui pourtant n’étaient pour la plupart pas allées en Asie pendant l’épidémie. Ces réactions de période de crise révèlent bien une xénophobie permanente qui se réveille dès que l’on se sent en insécurité, ce qui est injustifié et condamnable. Ce comportement participe d’un égoïsme plus généralisé, que nous avons pu constater également lorsque les clients des supermarchés se sont rués sur les pâtes et le papier toilette, sans songer à en laisser pour les autres, alors même qu’il n’y avait pas de risque de pénuries. Enfin, à l’annonce du confinement, on estime que 17% des parisiens sont allés en province, et bien que nous puissions comprendre la nécessité de se confiner en famille ou de partir d’appartements trop petits, ces comportements sont dangereux car ils ont contribué à la multiplication des contaminations. Nous remarquons que ces réactions sont fondées sur la peur de l’inconnu, ce qui souligne la nécessité de l’éducation et de la formation sur ces sujets que sont la santé mais aussi l’écologie et l’éthique.

A l’échelle mondiale, un phénomène de repli sur soi a également été observé avec la fermeture des frontières (aux Etats-Unis et en Chine notamment) et la baisse du trafic aérien. Si ces mesures sont utiles pour lutter contre l’épidémie, elles ont souvent été appliquées à retardement ou ne sont pas assez drastiques pour empêcher toute contagion. Par exemple, la Chine a interdit le 26 Mars 2020 aux étrangers de venir en Chine tout en continuant d’accepter le retour des Chinois résidant à l’étranger, qui pourtant représentaient la plus grande part de nouveaux cas importés.

https://lesideesbleues.be/coronavirus-fermeture-temporaire/

De surcroît, le confinement de larges zones géographiques représente une difficulté pour l’économie, puisque les usines de ces zones ne peuvent pas produire. Or, dans un système où les chaînes de production et d’approvisionnement sont très longues, il est difficile pour une industrie de continuer à fonctionner dès qu’un de ses éléments est paralysé. En outre, de nombreux commerces sont fermés, ce qui entraîne un ralentissement de la consommation. Ainsi, si on prend en compte les différentes activités désormais rendues impossibles, comme le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, les activités culturelles, c’est environ 20% du PIB qui n’est pas produit pendant le confinement, et derrière cela une réalité humaine, avec de nombreuses personnes au chômage technique alors que d’autres doivent continuer d’aller travailler pour assurer les services de première nécessité. Le CAC 40 a, quant à lui, perdu 40% de sa valeur en l’espace d’un mois. Cela met en lumière les limites du système capitaliste et de l’économie mondialisée qui ne parviennent pas être résilients dans les périodes de crise, qui leur demandent de s’adapter et de fonctionner autrement. Toutefois, lorsque l’Etat se fait plus fort, au niveau de ses ordres mais aussi de ses aides, l’industrie peut se réinventer et répondre aux besoins de la crise en transformant les chaînes de production des usines afin de fournir des masques, du gel hydroalcooliques voire des respirateurs aux hôpitaux, comme l’ont fait Renault et le groupe LVMH.

Il y a donc encore une possibilité de changer le système, en ne le fondant plus sur le profit économique mais davantage sur le profit de tous, avec un modèle fondé sur une sorte de solidarité. Car s’il y a eu des comportements égoïstes de la part de certain.e.s depuis le début de l’épidémie, de nombreuses actions solidaires, à différentes échelles, sont menées également, des courses faites pour les voisins fragiles au soutien aux agriculteurs. Ces initiatives sont recensées sur la carte interactive de Covidentraide.

Une crise sanitaire bonne pour le climat ?

Nous avons beaucoup entendu dire que le coronavirus et les mesures drastiques qu’il faisait prendre à nos dirigeants constituaient une aubaine pour l’environnement. Or, cela est faux car nous ne semblons pas nous engager sur la voie d’une transition énergétique. François Gemenne, chercheur en sciences politiques et spécialiste en géopolitique de l’environnement, directeur de l’Observatoire Hugo à l’Université de Liège, enseignant à Sciences Po et membre du GIEC, a déclaré :

“Les émissions ont toujours tendance à rebondir après une crise.”

En effet, lorsque la crise sera passée, il y a fort à parier que les gouvernements comme les industries auront pour objectif de relancer l’économie et de recréer de l’emploi immédiatement, c’est-à-dire de relancer le système à l’identique, car de nouveaux plans n’auront pas eu le temps d’être pensés dans cette situation d’urgence sanitaire. Or, le sociologue Bruno Latour, dans le média AOC explique :

“c’est déjà maintenant qu’il faut se battre pour que la reprise économique, une fois la crise passée, ne ramène pas le même ancien régime climatique contre lequel nous essayons jusqu’ici vainement de lutter”.

Certes, le coronavirus semble apporter une sorte de parenthèse à la pollution engendrée par l’Homme : en Chine, en janvier et février dernier, la concentration de dioxyde d’azote (NO2), un gaz très toxique émis par les véhicules et les sites industriels, a diminué de 30 % à 50 % dans les grandes villes par rapport à la même période en 2019 ; le taux de monoxyde de carbone (CO) a baissé de 10 % à 45 % dans toute la région entre Wuhan et Beijing ; les niveaux de particules fines ont aussi chuté de 20 % à 30 % en février par rapport aux trois années précédentes. Le pays a ainsi vu ses émissions de gaz à effet de serre diminuer d’au moins un quart entre le 3 février et le 1er mars comparé à 2019, selon une estimation du Centre de recherche sur l’énergie et la qualité de l’air, ce qui est une preuve pour convaincre les climato-sceptiques que l’activité humaine a des conséquences sur l’environnement. De surcroît, en février 2020, le trafic aérien a diminué de 4,3% en raison de l’annulation de nombreux vols.

« Le coronavirus peut avoir plusieurs conséquences indirectes et difficilement mesurables sur les émissions de gaz à effet de serre, estime le chercheur François Gemenne. En écornant le bilan économique de Donald Trump, par exemple, l’épidémie peut participer à sa défaite électorale. Ce qui serait plutôt une bonne chose pour le climat. »

Toutefois, cette pause de quelques mois de l’activité économique ne suffira pas à changer les choses sur le long terme, puisque que comme le rappelle François Gemenne :

« le climat a besoin d’une baisse soutenue et régulière des émissions de gaz à effet de serre, pas d’une année blanche ».

Nous laisserons le mot de la fin au climatologue Hervé Le Treut :

« On est encore loin d’inverser la courbe. Les émissions ont continué d’augmenter ces dernières années. Le changement climatique est lié à l’accumulation de gaz à effet de serre produits depuis plusieurs décennies, ce n’est pas quelques jours ou mois de pause qui changeront le phénomène. C’est complètement marginal. […] L’épidémie et les mesures prises à son encontre vont créer un choc psychologique dans nos sociétés. L’épisode que nous allons vivre ne va pas nous laisser indemnes. Il aura des conséquences sur les politiques environnementales à venir, prévoit-il. Le déni envers le coronavirus et le changement climatique est finalement assez similaire, c’est toujours face à la catastrophe que nous réagissons en urgence. »

Ainsi, nos prochains articles s’intéresseront à la manière dont nous pouvons tirer des apprentissages de la crise du coronavirus, en en étudiant précisément les enjeux, pour lutter contre le réchauffement climatique et se préparer à l’effondrement, bien que coronavirus et changement climatique ne soient pas deux logiques tout à fait identiques.

Sources

  1. https://reporterre.net/Pour-le-climat-il-y-aura-un-avant-et-un-apres-coronavirus
  2. https://www.franceinter.fr/emissions/le-virus-au-carre/le-virus-au-carre-30-mars-2020
  3. La vidéo d’Aurélien Barrau à propos du coronavirus : https://www.youtube.com/watch?v=mr9IEab49eY
  4. La FAQ de Jean-Marc Jancovici sur le coronavirus : https://www.youtube.com/watch?v=CXA2BA9in30
  5. https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/changement-climatique-covid-19-bon-climat-vraiment-80213/

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