Non, le bullshit de ChatGPT ne remplacera pas celui des consultants

Chers consultants, dormez tranquilles, bien que critiqués, vos services seront toujours nécessaires

Fabien Dussaucy
Essentiel
8 min readJun 9, 2023

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On ne présente plus ChatGPT.

  • Développé par OpenAI
  • 100 millions d’utilisateurs en moins de 2 mois
  • Des nouvelles fonctionnalités et usages toutes les semaines
  • Des contenus créés instantanément sur tout et n’importe quoi

Et selon les dernières études de Microsoft et Goldman Sachs, des centaines de métiers et des millions d’emplois risquent de se faire IAplacer.

Avec son image de “pondeur de slides”, le consultant est évidemment dans la ligne de mire de ces outils révolutionnaires.

Mais détrompez vous, les consultants ont encore de beaux jours devant eux, voici pourquoi.

Nous nous concentrerons ici spécialement sur les consultants en management (cf article précédent), mais une partie des résultats sont transposables aux autres types de consultants. Bonne lecture !

A ma gauche, les LLM (Large Language Models)

Les LLM tels que ChatGPT fonctionnent en analysant d’énormes quantités de données textuelles afin d’apprendre les modèles et les structures du langage.

Exemple d’interface sur ChatGPT

Ils utilisent ces connaissances pour ensuite générer des réponses cohérentes et pertinentes aux questions qui leur sont posées. Avec en fer de lance GPT 4.0, les LLM dépassent largement les capacités de rédaction et de restitution de la quasi totalité des individus.

Sur ce modèle, on trouve aussi de nombreux outils capable de générer des présentations PowerPoint en quelques secondes pour répondre à des questions, tels que SlideGPT, Tome.App

Même si aujourd’hui, le résultat n’est pas toujours pertinent, avec les nouvelles itérations de ces outils et une amélioration constante de la qualité des prompts (les inputs utilisateurs), il est fort probable que les résultats deviennent de plus en plus impressionnants.

A ma droite, les consultants

Dans le cadre de notre comparaison avec ChatGPT, concentrons nous sur 2 compétences clés du consultant : la résolution de problème et la restitution écrite. Nous mettons donc de coté les compétences de restitution à l’oral, ou la gestion de projet, qui semblent plus mineurs et pour le moment hors du périmètre de ChatGPT.

Le mandat d’un consultant est de résoudre le problème de son client.

Pour cela, on lui demande d’analyser des situations complexes, d’identifier les problèmes sous-jacents et de proposer des solutions adaptées aux besoins spécifiques de son client.

Cette compétence requiert une compréhension approfondie des nuances, des dynamiques organisationnelles et des contextes spécifiques.

Le consultant n’est donc pas là pour répéter une bonne pratique théorique. Ces bonnes pratiques sont d’ailleurs la plus part du temps accessibles quasi gratuitement sur internet ou dans des ouvrages spécialisés.

Si les clients payent des sommes souvent importantes, c’est pour que les consultants s’attachent à comprendre leur problématique spécifique, et en fonction de leurs enjeux, de déterminer des pistes de solutions. Et via un travail itératif avec le client d’ajuster ces recommandations, puis de les mettre en place.

L’habit ne fait pas le moine… sauf pour les consultants?

La “vraie” plus-value du consultant

Clarifier le Chaos

Tous les consultants vous le diront, la première et principale difficulté sur une mission est souvent le chaos de l’organisation dans laquelle il est mandaté:

  • absence de consensus sur la situation courante
  • avis divergents sur la cible à poursuivre
  • demandes contradictoires sur le plan de transformation

Ainsi, contrairement à ce que l’on peut penser, le principal travail du consultant n’est pas d‘apporter sur un plateau ses conseils sur la solution à adopter. Il y a souvent déjà des experts sur place, avec une vision très claire sur les transformations à mettre en place. Mais au milieu de la cacophonie ambiante, ces experts ne sont pas connus/entendus/écoutés/suivis.

Le principal travail du consultant est donc de:

  1. faire ressortir du chaos de l’organisation des éléments factuels sur son fonctionnement, pour construire une base commune permettant d’identifier des axes d’amélioration
  2. collecter et faire converger les bonnes idées vers une solution qui intègre l’ensemble des contraintes et répond aux problèmes du client

Bien sûr, une bonne maitrise du sous jacent fonctionnel, via une expertise poussée et des expériences similaires est nécessaire. Ces connaissances aideront par exemple le consultant à orienter le client vers une cible qui répond aux bonnes pratiques du marché.

Mais dans la majorité des cas, les pistes de réponses sont déjà connues par certains acteurs chez le client. Le brouillard et le chaos organisationnel empêchent “juste” de faire émerger ces solutions et de les rendre évidentes à l’ensemble des autres parties prenantes.

Pour mieux comprendre, on peut par exemple utiliser la métaphore de l’éléphant:

What is it? What should it be? How to get there?

Dans le noir, une personne qui touche la jambe d’un éléphant pourrait croire à un arbre, une autre au niveau de la trompe pourrait croire à un serpent, un 3e au niveau du corps pourrait croire à un mur.

Ils sont tous face au même éléphant, mais avec leur perspective limitée, ils ont du mal à obtenir une vision d’ensemble, à prendre du recul pour identifier l’animal.

En interrogeant chacune des personnes et en formalisant avec chacun leur niveau de compréhension de la problématique, le consultant peut faire émerger de manière itérative la situation réelle de l’organisation.

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Parenthèse sur les “perspectives limités”

Dans les grandes organisations, avec des dizaines d’échelons hiérarchiques, des centaines de managers et d’équipes, et des milliers de salariés interagissant chaque jours depuis des dizaines d’années, la complexité organisationnelle devient très vite colossale.

Il est tout à fait impossible pour un individus d’avoir une compréhension fine de l’ensemble des mécanismes à l’oeuvre, et leurs impacts :

  • Les top managers ont une vision très large mais superficielle et souvent flou et déconnectée de la réalité opérationnelle
  • Les équipes, ont une vision très précise mais forcément limitée de ce qu’il se passe et des enjeux plus globaux de l’organisation.

Le consultant externe en échangeant avec chacun des échelons hiérarchiques peut plus facilement se former la vraie représentation de la réalité.

Dans cette même logique, toutes les initiatives portant à faciliter et structurer les échanges et le partage horizontal (entre équipes) et vertical (avec la direction, vers le haut, et vers le bas), sont indispensables pour limiter les biais de myopie décrits dans la métaphore de l’éléphant.

Fin de la parenthèse

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Modéliser, cartographie, décrire

En plus de la complexité inhérente à la multitude des perspectives et des avis contradictoires, un dernier point participe au chaos organisationnel : l’abscence de documentation fiable et à jour sur le fonctionnement de l’organisation.

La première tache du consultant est ainsi souvent de :

  • formaliser un processus et ses acteurs
  • décrire une gouvernance et des échanges entre entités
  • cartographie une organisation, ou des rôles

D’expérience, il existe rarement de la documentation décrivant la problématique demandée par le client.

Et c’est plutôt normal !

En effet, comme expliqué plus haut, décrire une problématique constitue en soit un début de résolution de celle-ci. Un client qui consacrerait le temps et les efforts nécessaires pour décrire ses problèmes résoudrait de lui même 80% de ses problématiques.

Une organisation qui grandit, c’est comme des spagetti qui cuisent, au début tout est droit et simple, puis à la fin tout est dans tout, mélangé et confus

Et les LLM dans tous cas?

Revenons aux LLM, et au pourquoi ils ne remplaceront pas les consultants.

Précédemment nous avons vu que la première compétence d’un consultant est :

Synthétiser la complexité de l’organisation sous la forme d’éléments factuels et partagés par l’ensemble des acteurs

Par nature, le modèle de langage ou l’IA générative sont entrainés sur des très larges volumes de données. Mais dans le cas spécifique des problématiques des clients, ils sont confrontés à une double contrainte :

  1. les données n’existent pas et/ou ne sont pas sous une forme consommable simplement par l’IA générative
  2. la problématique et donc l’approche de résolution sont multi-dimensionnelles et spécifiques à chaque client, avec une faible profondeur d’apprentissage

Chacun des mots a son importance dans ce 2e point, procédons donc par étape.

Multi-dimensionnelle

La problématique (et sa résolution) peut toucher aussi bien des d’outil, des groupes de personnes, des individus, des interactions, des structures organisationnelle, des flux d’information, de règles opérationnels, des objectifs, des habitudes, des cultures… voire un mélange de tout cela, avec des impacts et des conséquences à court, moyen et long terme sur chacun d’entre eux.

Modéliser et jongler avec l’ensemble de ces concepts, et les causalités et conséquences associées est une tâche difficile pour une IA générative.

Spécificité

En plus de la complexité pour l’IA d’intégrer la réalité multi-dimensionnelle du client, chaque client est différent. Au point que les mots et les concepts ne veulent pas dire la même chose d’un client à l’autre!

Un consultant doit faire preuve de beaucoup de recul pour adapter son approche et minimiser son effort (et sa capacité de dérangement!) auprès des différents interlocuteurs clients. Il n’y a pas de standardisation possible, chaque mission est une nouvelle découverte, avec son lot de surprises et d’adaptations.

Une organisation n’est pas un concept pré défini, carré et lisse. Pour la comprendre, il est nécessaire creuser et de l'envisager dans toute sa complexité.

Faible profondeur d’apprentissage

On pourrait alors se dire qu’il suffirait d’entrainer une IA avec de très nombreux cas clients pour lui permettre avec ses milliards de paramètres de trouver des synergies cachées. Et elle pourrait ainsi adopter une approche spécifique pour chaque client.

Mais dans la réalité, il faudrait un effort considérable pour construire ces données d’entrainement, et elles ne regrouperaient au plus que quelques dizaines d’entreprises avec des problématiques similaires. Sans compter que modéliser les données d’entrainement d’une entreprise pour une IA (en plus d’être très chronophage) reviendrait à quasiment résoudre la problématique elle-même.

Et les problématiques clients évoluent !

Par définition une fois qu’une problématique est résolue, le client passe au problème suivant. Le marché dérive ainsi naturellement vers des nouvelles problématiques, ce qui forcent les consultants à toujours continuer à apprendre pour rester pertinents.

Pour les LLM cet entrainement continu sur la base de données rares, spécifiques, multi conceptuelles et partielles, semble hors de portée des technologies actuelles.

Et pour la suite?

Remplacer les consultants par des ChatGPT n’est donc pas pour tout de suite.

OUI, des IA pourront créer des présentations plus rapidement et efficacement que des consultants.

OUI, des IA pourront apporter des réponses 24h/24 7j/7 sur des éléments de modèles théoriques, et peut être les bonnes pratiques du marché.

NON, les IA telles que ChatGPT ne pourront pas comprendre la problématique spécifique d’un client, et proposer des recommandations adaptées.

OUI, le métier de consultant évoluera fortement dans les années à venir.

On peut alors imaginer qu’il utilisera des bots pour automatiser les phases d’interviews, de collectes des données, de synthèses et de restitutions.

On aurait alors des “consultants augmentés”, pilotant une armée de IA génératives spécialisées, pour les diriger sur les bons sujets grâce à son expertise.

Bien sûr, les cartes seront rebattues le jour où une intelligence généralisée sera développée.

Et par définition elle pourra remplacer les consultants.

Mais elle pourra aussi remplacer l’ensemble des activités non manuelles.

Et ca, c’est une autre histoire.

Inspiré? vous pouvez retrouver l’ensemble de mes articles ici:

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Fabien Dussaucy
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