Vers la fin des cabinets de conseil ?

En 2040, existera-t-il encore des consultants ?

Fabien Dussaucy
Essentiel
8 min readJul 28, 2021

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Penses tu que le conseil est un domaine d’avenir ? Dans 20 ans, il y aura-t-il encore des consultants ?

Bien sûr ! Tout d’abord, n’oublions pas que derrière l’appellation « consultant » se cachent des réalités très différentes. Si tu considères qu’un consultant est un expert qui répond aux problématiques des entreprises, il ne disparaîtra pas. Tant que des entreprises existeront, elles continueront à faire appel à des compétences externes pour résoudre leurs problèmes. Et les consultants existent depuis des centaines, voire des milliers d’années…

Des milliers d’années ? Mais le concept d’entreprise n’existait même pas ?

À l’antiquité, les maîtres de rhétoriques ou les sophistes parcouraient déjà les villes grecques. Ils proposaient leurs expertises à des riches citoyens contre une rémunération. Les sujets traités étaient principalement l’art oratoire et comment convaincre son auditoire. Un peu après, on voit aussi apparaître des conseillers à la cour des rois. Ils accompagnent les puissants pour les aider à prendre les meilleures décisions. Leur expertise est reconnue et louée par le roi, et leurs avis deviennent rapidement indispensables au bon fonctionnement du royaume.

Protagoras, maitre de rhétorique est considéré comme le premier « consultant ».

Ok, je vois, mais ce n’est pas du tout le même métier que toi…

Effectivement. C’est pour cela qu’il est important de distinguer plusieurs catégories dans le monde du conseil :

  • les conseillers individuels que l’on peut rapprocher des sophistes grecques
  • les cabinets de conseil qui ont pris de l’importance avec la révolution industrielle
  • les sociétés de service d’ingénierie en informatique (SS2I) qui sont nées avec le développement de l’informatique

Et donc, est-ce que tu fais partie d’un cabinet de conseil ? Ou d’une SS2I ?

Les frontières entre ces deux catégories sont de plus en plus floues. Par exemple, on peut distinguer 3 sous-catégories au sein des cabinets de conseil :

  • les cabinets de conseil en stratégie qui interagissent plutôt avec les directions générales des entreprises
  • les cabinets de conseil en management qui offrent une palette de services très large autour de la transformation et l’amélioration opérationnelle
  • les cabinets spécialisés qui se spécialisent sur une expertise ou un secteur

L’enjeu pour beaucoup de ces cabinets est de pouvoir répondre aux besoins de leurs clients de bout en bout, de la stratégie à l’exécution. Et ça peut aller jusqu’à développer des solutions informatiques. On parle alors d’ESN, Entreprise de Services du Numérique.

Je dirais que chez Alenia, je suis plutôt dans la partie de conseil en management d’une ESN, car nous avons une forte spécialisation autour des problématiques IT.

L’équipe de conseil Alenia

Oui je me souviens, on en avait discuté ici. Et donc est-ce que certaines catégories de cabinets de conseil seraient plus à risque de disparaitre que d’autres ?

Comme tu l’as vu, le « conseil » regroupe des activités très différentes. Les principaux risques que rencontrent les cabinets de conseil sont :

  • l’internationalisation, avec la mise en concurrence des cabinets traditionnels par des acteurs low cost des pays émergents
  • l’uberisation avec la création de plateformes de mise en relation directe entre indépendants et entreprises clientes
  • l’obsolescence avec l’émergence d’autres acteurs innovants du monde académique ou des start ups

Mais oui bien sûr ! pourquoi passer par un cabinet de conseil Français, quand je peux avoir la même qualité de service pour moins cher en provenance d’Inde ? Cette logique a fonctionné avec le textile et l’industrie, pourquoi cela ne serait pas la même chose avec le conseil ?

Effectivement c’est un risque important, mais qui ne touche pas de la même manière toutes les catégories des cabinets de conseil. Pour mieux comprendre, il faut revenir au service rendu par les consultants, ce pour quoi on fait appel à eux.

Je t’écoute

Suivant le positionnement du cabinet de conseil, on mesurera plutôt le succès de la mission de conseil à la qualité du livrable qui a été transmis au client ou aux changements qui auront été opérés chez le client. Je m’explique :

Pour un cabinet de conseil en stratégie, le client attend principalement une réponse à une problématique stratégique, ou des analyses poussées d’une entreprise dans un processus d’achat ou de revente. Ces activités nécessitent donc un back office très développé pour analyser des volumes colossaux de données et les restituer de manière synthétique. Un cabinet de stratégie pourrait donc ne garder qu’une activité commerciale et de relation client en France et délocaliser la quasi-totalité de ses ressources à l’autre bout du monde. Cela sonnerait la fin des consultants en stratégie tels que nous les connaissons.

Aurel — Le Monde

Je le savais, le conseil en stratégie c’est fini !

Non, tu vas trop vite. Cela signifierait uniquement la possibilité de délocalisation des consultants en stratégie. Ils passent aujourd’hui des heures à mener des analyses détaillées et construire des présentations avec finalement assez peu d’interactions directes avec le client. La crise du COVID en forçant les consultants à rester chez eux contribue largement à montrer qu’il était possible de « consommer » du conseil à distance.

Mais que les consultants restent en France ou soient délocalisé en Inde, les clients auront toujours des problématiques stratégiques à traiter. Et la logique est assez similaire pour les ESN. Une large part des « forces vives » peut être délocalisée dans des pays où les salaires sont plus faibles pour ainsi réduire le coût des prestations. Mais les besoins en services du numérique ne disparaitront pas. Il y aura toujours des entreprises innovantes et d’autres entreprises moins matures qui devront combler leur retard et auront besoin de faire appel à des expertises externes.

Oui enfin bon, il n’y aura plus aucun consultant en France si on suit ton raisonnement…

Ce raisonnement n’est valable que pour les cabinets de conseil en stratégie, et les ESN. Pour le conseil en management, je serais plus nuancé.

Les clients n’attendent pas des entreprises de conseil en management qu’elles leur fournissent de beaux documents ou des applications. Elles attendent une amélioration dans leur mode de fonctionnement. Si on reprend l’analogie du médecin ou du kiné, tu n’attends pas uniquement de lui qu’il te donne les meilleurs médicaments aux meilleurs prix. Tu souhaites ne plus avoir mal au dos, ou plus généralement être soigné. La qualité du kiné ne dépend pas des soins qu’il te prodigue, mais de leur impact sur ta santé.

Et donc ? Quel est le lien avec l’internationalisation ?

Le conseil en management nécessite une forte proximité avec le client qui est très difficilement délocalisable. Lors d’une mission de transformation, le cabinet de conseil demandera au client de faire des efforts importants et de renoncer à certaines de ses habitudes de fonctionnement. Pour y arriver le consultant doit faire preuve d’empathie, se mettre à la place du client pour le comprendre. Il doit créer un espace de confiance où ses recommandations pourront être entendues, comprises et acceptées. Cette intimité client s’établit plus difficilement à distance, d’autant plus lorsqu’on y ajoute la barrière de la langue ou de la culture.

Sans proximité avec le client, il est très difficile de réussir une transformation

Ok je vois. Même si les cabinets de conseil en management aident des entreprises, fondamentalement ils accompagnent les hommes et les femmes qui y travaillent. Et pour les autres risques que tu as cités ? Le conseil va-t-il se faire uberiser par des plateformes telles que Malt ?

Je ne pense pas. Ces plateformes aident les entreprises à trouver des indépendants de qualité et répondent à une vraie problématique de « sourcing ». En revanche, ce modèle répond moins facilement au besoin des entreprises de mener des transformations globales, ou avec une approche standardisée. Avec 5 indépendants, même très performants, l’entreprise risque de se retrouver avec 5 lots de recommandations qui traduiront les affinités de chacun des 5 consultants. De plus, ces entreprises souhaitent généralement construire une relation de confiance dans la durée, ce qui est compliqué avec un regroupement d’indépendants.

Cela ressemble beaucoup à ce que les hôtels, ou les sociétés de Taxi auraient pu dire il y a 20 ans…

Effectivement, mais il y a pour moi une différence majeure : un cabinet de conseil ne possède quasiment aucun actif, il est par nature hyper adaptable et flexible. Plus que dans toute autre industrie, la valeur d’un cabinet de conseil repose avant tout sur ses salariés. Si on met de côté la marque, un cabinet de conseil ne possède en général ni brevet, ni machinerie complexe, ni certification, ni technologie secrètement gardée. Tout repose sur ses consultants, leurs carnets d’adresses, leurs expertises et leur volonté de travailler. C’est d’ailleurs pour ça que les rachats de cabinets de conseil sont si difficiles, et qu’il suffit d’un manager expérimenté pour en créer un nouveau.

Les cabinets de conseil sont en compétition permanentes pour gagner en productivité

Il n’y a donc quasiment aucune barrière à l’entrée pour les nouveaux acteurs, c’est un secteur en constante évolution qui répond à une logique de compétition féroce. C’est tout le contraire des Taxi, des libraires, des avocats ou des banques.

Donc selon toi, les cabinets de conseil sont « uber-proof » et ne deviendront jamais obsolètes ?

Les cabinets de conseil, petits comme gros subissent déjà aujourd’hui de fortes pressions pour se transformer et devenir plus efficaces. Dans ce milieu hyper compétitif, des dizaines de cabinets naissent et meurent chaque année. Les cabinets de conseil ne se feront pas uberiser du jour au lendemain par un acteur externe car ils s’entre-dévorent déjà tous les jours !

Et uberiser les consultants reviendrait à rendre obsolète la résolution de problèmes complexes. Je ne vois qu’une « super Intelligence Artificielle » pour réussir ce défi, et lorsque ce jour arrivera trouver du travail aux consultants en management sera le dernier de nos soucis !

Une IA capable de résoudre facilement les problèmes complexes des entreprises sera capable de changer le cours de notre civilisation… — Terminator

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Fabien Dussaucy
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