Football & Radio : Une relation tumultueuse (4/4)- Les Années 2010: Comment faire payer les stations de radio ?

Johnny Pilatte
Football & Radio
Published in
9 min readJun 3, 2021
RTL, radio officielle de L’Équipe de France de 2001 à 2009

Depuis les années 1950, les relations entre les stations de radio et les différents acteurs du football ont connu de nombreux moments de tension. Au cœur de ses conflits, une éternelle question économique : la radio doit-elle payer pour retransmettre des matchs de football ? Retour sur quatre grands moments de tension entre les stations de radio et les instances du football.

Alors que les stations de radio pensaient avoir enfin entériné la question économique des retransmissions des rencontres de football en France au début des années 2000, la Fédération Française de Football et la Ligue Professionnelle de Football ne semblent pas avoir jeté les armes. Entre partenariats économiques et remise en cause du cadre législatif, les instances du football ont réfléchi plus d’une fois à comment faire rentrer la radio dans le financement du football français.

À la recherche d’une radio officielle

Une de L’Équipe du 8 juillet 2006, veille de la finale de la Coupe du Monde, RTL s’affiche en Une avec sa mention de radio officielle de L’Équipe de France

Après quelques années de mise en sommeil, l’idée de faire des stations de radio de nouveaux partenaires financiers refait surface. Si la Ligue de Football professionnel (LFP) ne peut commercialiser les droits de retransmissions radiophoniques, la loi lui interdisant, elle reprend l’idée du partenariat en se lançant à la recherche de sa future « radio officielle ». Ce concept n’est pas nouveau, l’Équipe de France le pratique depuis 2001. Avant même que RMC ne remporte l’appel d’offre pour l’exclusivité de la Coupe du Monde 2002, la Fédération Française de Football (FFF) qui s’occupe des différents partenariats et accords commerciaux de l’équipe de France de Football avait commercialisé en 2001 un contrat radio qui permettait à son acquéreur de devenir « la radio officielle de l’équipe de France ». Quand ce contrat, le premier du genre, est signé en 2001 entre la FFF et RTL, cela provoque un véritable séisme dans le paysage radiophonique. Ce contrat, assez vague, offre des avantages à la station que personne ne connaît réellement. Peu importe, on touche au célèbre dicton stipulant que « L’Équipe de France appartient à tous les Français » et non à un seul média.

Un partenariat renouvelé deux fois et qui fera de RTL, la « radio officielle de l’Équipe de France » pendant neuf longues années pour une somme avoisinant les 800 000 euros par an. Cette stratégie marketing est d’abord une question d’image. Comme l’explique le slogan de l’époque, véhiculé dans le communiqué de presse : « En s’investissant derrière les Bleus, RTL retrouve les valeurs à la fois sportives et populaires du rassemblement et du respect, qui sont les fondamentaux de la première radio de France ». Le foot est le sport populaire en France mais aussi celui qui est le plus pratiqué. RTL se revendique comme la radio populaire par excellence, mais aussi la station leader en terme d’audience. La comparaison va de soi et le parallèle est tout trouvé : le sport roi pour la radio reine. Si le logo de la station va s’afficher avec celui des autres sponsors de l’équipe de France sur les survêtements ou panneaux publicitaires, ce partenariat va aussi permettre d’offrir à ses auditeurs des cadeaux exclusifs comme de nombreuses places pour assister aux matchs de l’Équipe de France mais également des places pour assister à certains entraînements de l’Équipe de France à Clairefontaine et bien d’autres (des ballons et des maillots dédicacés par les joueurs). Sur le plan éditorial, RTL justifie son statut de « radio officielle » grâce à des accès facilités aux joueurs ainsi qu’à son staff qui lui permet de réaliser des interviews et des reportages.

Au fil des années, le partenariat se concentre surtout autour des évènements avec un studio spécial dorénavant installé au Stade de France, après chaque rencontre à domicile (mais aussi à l’extérieur dans la mesure du possible), à quelques pas du vestiaire de l’équipe de France qui permet à RTL d’obtenir des réactions en exclusivité, avant les autres radios et juste après le diffuseur télé. Ainsi, le sélectionneur et quelques joueurs se présentent en interview avec les journalistes et consultants de la station. Cette somme versée leur permet de prendre de vitesse leurs concurrentes qui elles doivent attendre la présence du sélectionneur et des joueurs en conférence de presse puis en zone mixte pour les interviewer, ce qui arrive assez tard dans la soirée. Autour de cette exclusivité, RTL a créé en 2006, à l’occasion de la Coupe du Monde, un programme intitulé Club France RTL qui encadre toutes les rencontres de l’Équipe de France. En fin d’année 2009, la FFF lance un appel d’offres pour la période 2010–2014 avec un contrat qui se réduit seulement à « un accord commercial » comprenant des panneaux d’affichage à Clairefontaine, parfois au Stade de France et des billets d’accès aux différentes rencontres des bleus. RTL, comme les autres radios généralistes, ne répondra pas à cet appel d’offre qui perd son contenu essentiel : l’exclusivité des réactions. L’équipe de France ne possède donc plus aujourd’hui de partenaire radio, comme si cela avait perdu de son sens.

C’est pourtant seulement quelques mois après cet échec que la LFP lance son appel d’offres. Préparé par le service marketing, le document de quinze pages est expédié début août aux radios nationales qui sont priées de remettre leur dossier le 1er septembre 2010. Couvrant une période de deux saisons (2010–2011 et 2011–2012), la proposition d’accord comprend comprends trois compétitions : la Ligue 1, la Ligue 2 et le trophée des Champions. Ce partenariat propose des avantages marketing et éditoriaux calqués sur celui que la FFF avait conclu avec RTL. Ce projet proposait à la fois un enjeu marketing avec une visibilité du média partenaire (à l’intérieur et autour des stades ainsi que sur les panneaux publicitaires), et un enjeu éditorial en donnant la possibilité à cette radio de déléguer un reporter avant et après les rencontres sur la pelouse ainsi que dans le tunnel du stade. Il offrait la possibilité à la radio partenaire, comme au diffuseur télévisuel officiel, de déléguer un « homme de terrain » qui aurait un accès privilégié aux joueurs avant tous les autres médias. De ce fait, la station aurait eu la possibilité d’obtenir les réactions des joueurs plus d’une demi-heure avant ses concurrentes. De plus, LFP avance la possibilité d’un “éventuel” partage des recettes publicitaires des émissions consacrées à ses championnats [1] .

D’abord repoussé d’une semaine, l’appel d’offres ne trouve finalement pas preneur. Le Conseil d’Administration du gouvernement des clubs professionnels de football français entérine la décision de la laisser sans suite en octobre 2010. RTL, qui venait de renoncer au renouvellement de son partenariat avec la FFF a décidé de ne pas participer à l’appel d’offres. Radio France, Europe 1 et RMC ont tous les trois déposé des dossiers mais les offres financières ne répondaient pas aux attentes de la LFP. En excluant les espaces promotionnels souhaités par la LFP, une seule offre financière accompagnait ces trois dossiers pour la partie éditoriale du partenariat. Si les réactions sont un enjeu essentiel du multiplex, cela ne représente tout de même pas une véritable valeur marchande pour les stations de radio. Un nouvel échec pour la Ligue de Football professionnel.

La Ligue souhaite s’affranchir de la loi

Didier Quillot, irecteur général de la Ligue de Football Professionelle de 2016 à 2020

Le 14 mars 2016, Didier Quillot est élu directeur général de la Ligue de football professionnel. Il devient l’homme fort de la Ligue suite à la démission de Frédéric Thiriez le 15 avril 2016. À la suite du bureau de la Ligue de football professionnel du 14 juin 2016, il évoque la possibilité de faire payer les droits de retransmissions radiophoniques aux stations. Évoquant le cas de la Ligue de football allemande qui commercialise les droits de son championnat de manière autonome depuis 2008, auparavant vendus avec les droits TV, il a expliqué : « Ils ont trouvé la martingale pour commercialiser les droits radio. Il faut que l’on regarde ça. Aujourd’hui, c’est interdit en France. Mais il faut que l’on voie si l’on ne peut pas faire évoluer la loi »[2] . Un retour à un débat lointain, quatorze ans en arrière pour la Ligue et les stations de radio. Cependant la LFP est restée floue sur ses intentions, certains de ses membres évoquant également la possibilité de futurs accords marketing avec chaque radio.

La Ligue souhaitait profiter de ce qui est notamment devenu la norme depuis le début des années 2000 pour toutes les grandes compétitions qui font payer des frais techniques et logistiques pour permettre aux stations de radio de retransmettre les rencontres. Cependant, comme l’expliquait François Pesanti, à l’époque directeur général de RMC Sport : « Ce n’est pas à proprement parler des droits. Le montant correspond à des prestations techniques supplémentaires versées à l’Union européenne de radio-télévision (UER)» [3]. Après 2002 et l’exclusivité acquise par RMC, les radios ont décidé de s’unir pour négocier ces contrats. Pour le Championnat d‘Europe 2016, les diffuseurs radios (RTL, RMC, Radio France, Europe 1) ont tous dû signer un chèque de 40 000 € pour pouvoir retransmettre depuis les stades. En France, la couverture des rencontres occasionne déjà des frais techniques pour les radios qui doivent louer des lignes téléphoniques spéciales dans chaque stade de Ligue 1 et de Ligue 2 avec une facture annuelle qui peut ainsi grimper jusqu’à 15000€.

Face à cette nouvelle annonce, les stations ne semblaient en apparence pas enclines à remettre le débat sur la table. Pour François Pesenti, la radio joue le rôle de promoteur du championnat: « Il faut reconnaître les radios comme des organes de presse qui font vivre la Ligue 1 et qui lui donnent du relief au quotidien. C’est aussi notre traitement qui donne de la valeur au championnat et donc à ses droits télé ». Jacques Esnous, directeur de l’information de RTL, rappelle que ces investissements ne sont pas rentables : « Les radios ne sont pas non plus en mesure de vendre des écrans publicitaires à fort tarif comme le font les télés pour rentabiliser en partie leur investissement. Les rares événements pour lesquels on accepte de payer un droit d’accès élevé sont les Coupes du monde de football »[4]. Finalement, durant son mandat de Directeur général de la LFP (2016–2020), Didier Quillot n’aura jamais mis ses paroles à exécution.

Si les relations entre les instances du football et les stations de radio ont connu plusieurs moments de tensions au cours de ces soixante années, ils sont tous symbolisés par la question du paiement des droits de retransmission des matchs. Si cela a fini par être statué par une loi en 2002, cela n’empêche pas la Ligue de Football Professionnelle de remettre le sujet aux cœurs des discussions dans les années 2010. L’enjeu essentiel repose dans la perception de la retransmission du football à la radio : est-elle un spectacle radiophonique, nécessitant ainsi une rémunération à son promoteur, ou bien fait-elle partie de la simple information, n’utilisant pas d’image de l’événement. Cependant, la nouvelle programmation des journées de championnat, qui a notamment sacrifié le multiplex du samedi soir au profit du dimanche après-midi, semble clore ce débat au début des années 2020.

Cet article est extrait de mon mémoire de recherche en Histoire Contemporaine, soutenu en 2017, traitant de la médiatisation du sport intitulé « Football et Radio : analyse des rapports à travers l’histoire des multiplex (1975–2012) ».

Les autres épisodes :

Episode 1 : Les années 50 : La radio vide t-elle les stades ?

Episode 2 : Les années 80: La radio doit-elle payer un droit d’entrée dans les stades ?

Episode 3: Les années 2000: La radio doit-elle payer l’exclusivité des droits de retransmission ?

[1] LOUVET Bertrand-Régis, « J’ai consulté l’appel d’offres radios de la Ligue de Football professionnel », BRL TV.

[2] MOATI Etienne, « Le retour des droits radio ? », L’Équipe, 15 juin 2016.

[3] MARIVAL Julien, « Pas de sous pour la L 1 », L’Équipe, 22 juin 2016.

[4] MARIVAL Julien, « Pas de sous pour la L 1 », L’Équipe, 22 juin 2016.

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