Baron Noir : la politique ne se fait pas qu’à Paris

Valentine Serino
4 min readFeb 10, 2016

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Baron Noir est la toute nouvelle série de Canal + diffusée depuis ce lundi, déjà disponible en intégralité à la demande. La critique presse est unanime pour cette fiction politique française : une série bien réalisée, des acteurs crédibles dans leurs rôles respectifs, et des faits réalistes qui nous font vivre, en 8 épisodes, ce qu’est une partie de la vie politique française. Vous trouverez quelques avis ici et .

La série met en scène Philippe Rickwaert (Kad Merad), député-maire de Dunkerque qui, après avoir été trahi par son meilleur ami, décide de lui pourrir la vie, ou plus précisément de lui ruiner son mandat. Parce que son ami n’est autre que Francis Laugier (Niels Arestrup), Président de la république nouvellement élu.

Le programme de Canal peut être classé parmi les séries politiques cyniques à la House of Cards, axée sur les magouilles, les querelles personnelles qui deviennent politiques, les enjeux de pouvoir en général. Mais elle surprend aussi par son côté réaliste, comme l’était la série danoise Borgen. Le sentiment de réalité se cache dans des détails, avec par exemple des explications du système électoral (allez parler d’abstention différentielle à 20h50), des scènes de « boitage » de tracts plus vraies que nature, et même des partis en présence que nous reconnaissons bien — puisque ce sont les nôtres !

L’un des sujets les plus intéressants de cette série est de présenter, en creux, un thème classique de la vie politique française, auquel nous allons nous attacher ici : l’opposition entre « la politique de Paris » et « le terrain ».

Baron Noir a d’abord pour ressort une tension entre deux personnages, Philippe Rickwaert, fils d’ouvrier devenu député-maire ; et Amélie Dorandeu (Anna Mouglalis), conseillère du président et énarque issue de la bourgeoisie parisienne. Comme le constate rapidement Rickwaert, « on n’est pas du même monde ». Et chacun devient le représentant des deux principaux cursus honorum de la profession politique en France :

  • Le/la militant(e) qui réalise une carrière politique « par le bas ». Il s’agit d’intégrer sa fédération locale, l’antenne décentralisée du parti en charge de faire passer les messages et de coordonner les actions militantes telles que le collage d’affiches. Ensuite, l’enjeu est de se faire repérer par le parti, de connaitre au mieux son territoire afin d’être légitime pour obtenir l’investiture — puis les mandats.
  • Le/la technocrate a un parcours scolaire du type Sciences Po — ENA, et commence sa carrière au sein des principales institutions nationales, européennes, ou directement en cabinet ministériel, avant d’envisager — ou non — de se présenter devant les électeurs.

Autre tension, le tiraillement de tout parlementaire entre la politique nationale et les enjeux locaux. Le député a beau être un élu de la nation, il est attendu par les citoyens-électeurs (-clients ?) sur le territoire où il a été élu, à plus forte raison lorsqu’il cumule ce mandat avec celui de maire. L’élu doit pouvoir peser de tout son poids pour porter certains dossiers à la connaissance de ses collègues et des membres du gouvernement. Dans Baron Noir, c’est à la fermeture d’une usine dans sa circonscription que Rickwaert est confronté, et c’est le sauvetage des salariés qui sonnera la fin de son amitié avec le futur président.

Enfin, le clivage entre Paris et le terrain est symbolisé à travers les luttes entre la direction nationale d’un parti — ici le Parti socialiste — et ses fédérations locales. L’investiture d’un candidat dépend de son ancrage territorial (en un mot : est-il populaire auprès de ses concitoyens ?) mais aussi de sa compatibilité avec l’orientation et les dirigeants du parti. Etre élu, c’est d’abord être éligible, ce qui dépend d’un équilibre fragile entre l’avis des militants, sur le terrain, et celui des apparatchiks… qui décident depuis Paris.

Au-delà d’une histoire accrocheuse, riche en rebondissements et en coups bas, la série se fait pédagogue en ouvrant grand les portes du pouvoir politique aux téléspectateurs.

Mais tous les Français, notamment ceux qui s’éloignent de la politique, regardent-ils ce genre de programme ? Ou n’intéresse-t-il que les aficionados des questions au gouvernement ?

Comme en politique, parfois il vaut mieux ne pas savoir…

Une campagne promotionnelle qui brouille les pistes

Sans doute moins poussée que celle de House of Cards S4, la campagne de lancement de Baron Noir s’inspire des codes des campagnes électorales et emploie les mêmes outils : affichages dans l’espace public, envoi de sms pour rappeler l’échéance à venir (en l’occurrence, le début de la saison) ou encore visite de Kad Merad auprès des commerçants de Dunkerque.

A quand des campagnes électorales aussi originales que les séries ?

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