— Par Mathieu Aribart & Jérémy Mahieu pour Brass Agence, avec la complicité de Jean Laverty et son Clevermate.

Qu’apprendre des start-ups pour propulser son projet musical?

Car à bien y regarder, un projet musical a beaucoup en commun avec les ‘jeunes pousses’ du Web. Mais dispose de beaucoup moins de ressources lui expliquant comment réussir…

Brass Stories
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8 min readDec 17, 2015

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L’écosystème de la ‘tech’ et des start-up est en effet empli d’une vaste littérature de productivity. Parcouru de gourous prêchant leur Bonne Méthode. Gavé de sites dédiés tenus par des ninjas de toutes obédiences.

Entre révolution permanente & pragmatisme radical, que retenir de leurs enseignements? Quels conseils pourraient concrètement aider un musicien?

Bref: qu’aurait le monde des Startups à apprendre à celui de la Musique?

Car comme une équipe de founders, un groupe de musique est un collectif de profils variés, fédérés autour d’une vision commune. Il offre quelque chose d’original à la société et cherche à le monétiser .

Il est d’abord seul. Gère tous les aspects du projet. Cherche à faire connaitre au public sa proposition de valeur, tout en travaillant à en améliorer la forme.

Si ce projet attire à lui une base critique d’utilisateurs, il peut recevoir le renfort d’acteurs externes. De nouveaux moyens et savoirs-faire, financiers, humains ou encore techniques.

Il s’agit de se faire funder par un fond d’investissement pour une start-up.
De signer chez un label/tourneur/éditeur pour un groupe. Le but dans les deux cas: passer à une dimension supérieure pour continuer à grandir.

Si ce parallèle a naturellement de nombreuses limites, des similitudes sautent aux yeux. Essayons donc de pousser ce bouchon hypothétique plus loin…

Au programme

Trois idées clés à s’approprier. Trois best practices utilisées par certains artistes à succès. Trois parallèles pour réfléchir.

  • La Forme. Ou pourquoi il faut piquer aux start-ups leur minimalisme.
  • Le Fond. Où l’on s’inspira de leurs motivations sur cette Terre.
  • Le Business. Où le principe de réalité sera sévère. Sévère mais juste.

→GO!←

Au début d’une start-up, comme celui d’un groupe, personne ne vous connait. Et fâcheusement, personne ne vous attend. Sauf parents et proches, on ne prédispose de la bienveillance que de très peu.

Un utilisateur lambda qui débarque sur une page inconnue ne lui laisse qu’une poignée de secondes pour capturer son intérêt. Avant de refermer cet onglet parmi tant d’autres…

Comme on ne refait pas de première impression, son offre de valeur unique, sa proposition artistique doit être limpide. Quelques instants, suffire à en saisir l’essence. En entrevoir l’originalité et la pertinence.

Une façon de rendre sa page lisible est un digeste minimalisme. Qui, arrivant sur un site inconnu, se farcira vraiment 30 lignes de bio, un EP de 6 titres, 15 photos et des reviews abondantes? Non content de nuire à la clarté, et donc à la puissance du propos, ce trop plein d’informations rebute.

A la façon d’une landing-page de start-up, on favorisera l’épure la plus nue.
Un nom-manifeste, un single fort, un clip représentatif, un artwork symbole. Et basta cosi: le plus est ici l’ennemi du bien.

… Du moins dans un premier temps: on ne tient pas 2 ans sur un seul titre.

Récemment, la sensation Her a démontré l’efficacité de cette sobriété classe.
Un blaze énigmatique, un single sexy, un clip tout en [NSFW], une face B qui remet de l’huile sur le feu, un visuel simple aussi ésotérique que sensuel.

Et c’est tout.

Incisif, évident, insaisissable… On en veut plus: l’effet est parfait.

Status quo vivants.

Une start-up est à ses débuts, par essence, un challenger. Tout comme un nouveau groupe elle n’a pas les moyens des “gros”. Mais légère de toutes attentes ou de responsabilités elle est libre de polariser. D’être extrême.

Elle s’attire alors souvent l’adhésion du public en s’attaquant à un status quo mal-aimé. Comme Über avec le monopole de taxis indélicats. Air Bnb et les hôtels trop chers. Tinder et les sites de rencontres pas fun.

On n’a jamais autant les coudées aussi franches qu’au démarrage: tous les coups dans la fourmilière y sont permis. Guerilla marketing.

Un nouveau projet musical a ça en commun avec une start-up: il peut dire exactement ce qu’il veut sans se soucier de froisser.

Nous en avions déjà parlé au cour d’un précédent article. Faire de la bonne musique est une qualité nécessaire mais rarement suffisante pour réussir. Incarner des idées faisant bouger les lignes sociétales en est le grand secret.

Caravan Palace a bâti son succès sur le mélange incongru mais finalement réussi entre electro et jazz manouche.

Loin des clichés bolasses de parvis lycéens, il y a bien des status quo à défier pour chevaucher les ruades de la noosphère.

Ils peuvent être esthétiques, culturels, raciaux, sexuels, etc. Ils nourrissent nos certitudes, nos habitudes, nos craintes, nos ordres établis…

MIA s’est ainsi récemment joué du cliché selon lequel la musique engagée politiquement était morte en sortant Borders. Un track et un clip sublimant une actu chaude, en dénonçant le traitement des réfugiés. Magistral.

+FKA Twigs et son côté freak mêlée de black culture challenge la norme établie de la beauté féminine.
+Flavien Berger détonne avec sa chanson française naïve sur fond d’électro expérimentale.
+Malca change la perception que l’on a de la jeunesse marocaine mipsterisante…

“N’essayez pas de changer le monde, changez de monde.” — Henry Miller.

Parce que Anvil.

Par delà ces considérations, les start-ups sont le pragmatisme même coté business. Sans rentrer dans la technique des coûts d’acquisition, cohortes et lifetime value, la vérité des chiffres est pour elles la seule qui compte.

Elles dépassent égos et bias cognitifs pour tendre vers un product/market fit.
Le temps leur étant compté, il faut qu’elles testent au plus vite leur propale de valeur. Voir si elle rencontre une adhésion capitalisable auprès du public.

Les start-ups sont ainsi constamment en train de tester/optimiser de nouvelles sources de trafic, de conversion, de revenus. Et elles ne sont pas dogmatiques à ce sujet : si ça ne marche pas, on fait autrement.

On se lance vite, on essaie vite, et si on doit se planter, au moins on se plante vite. Ce qui évite de passer des années à peaufiner un projet qui n’intéresse en fait personne. La réalité est une bitch qu’il faut savoir regarder dans les yeux.

Que retenir de cette vision du business?

1 — Sentir le pouls.

Une start-up analyse tout. Qui est passé sur son site? Quand? Combien de temps? D’où provient le trafic? Ce call-to-action convertit-il mieux que le précédent? Combien recommandent?

Elle a l’œil rivé sur ses stats. Le but: faire monter une key-metric de 7% par semaine. L’air de rien, une croissance exponentielle. Elle pousse et optimise tout ce qui marche pour ce faire, A/B teste le reste.

Pour un groupe une bonne key-metric de départ serait la récolte d’emails. Une vue, un like, un follower peuvent n’être que superficiels. Un courriel est une donnée plus pérenne, qui marque un réel intérêt pour votre offre. Et qui permet de recontacter en propre votre futur fan.

A un stade ultérieur, monitorer toutes ses sources de revenus. En tester de nouvelles, comparer les résultats, proposer des initiatives, sonder les fans… Surtout: ne jamais se contenter de lancer son truc et attendre.

2 — Traquer la croissance.

Le monde des start-up est peuplé de roublards triomphants. De héros renards (chenapan!) pour qui le siphonnage de Craigslist par Airbnb est un fait d’arme légendaire. Des braconniers de la croissance: les Growth-Hackers.

Si cette façon de faire parfois borderline n’est pas toujours recommandable dans la musique -surtout dans l’interaction avec des pros susceptibles-, il faut reprendre à son compte cette attitude de MacGyvers de la comm’.

Peu de moyens, beaucoup d’effets. Coquin.

Il y a forcément des astuces à réadapter de cette subculture entrepreneuriale, dont l’état de l’art est en perpétuelle évolution. Cette communauté est de plus très ouverte, prête à partager ses tuyaux.

Beaucoup de ses idées sont à emprunter sur leurs forum, leurs publications, leurs chaines Youtube… Leurs outils sont forcément réutilisables par les soins de quelques musiciens bricoleurs et malinois voulant forcer le destin.

3 — Savoir changer.

Dans nos sociétés hyper-connectées, tout se sait assez vite. Si un truc suscite l’enthousiasme quelque part, il se remarque promptement dans nos feeds. C’est ce que les start-ups appellent le referral: j’aime donc je partage.

Le phénomène est encore plus vrai quand il s’agit de musique. Celle-ci faisant partie de ces formes artistiques exprimant nos sensibilités, raconte quelque part qui l’on est. Louise en est l’exemple éclatant.

Comme pour une start-up, le taux de partage initial de son offre est un bon indicateur de sa pertinence. Sa validation culturelle par quelque media est bien sûr précieuse mais ne vaut pas sa réappropriation par le public.

Si sa 1ère audience, pourtant la plus potentiellement convaincue, ne s’avère finalement pas intéressée, une start-up opérera sans sourciller un pivot. Une modification, parfois radicale, de la nature de son offre.

Certains crieront peut-être là à la traîtrise, au retournement de veste et à l’oubli de convictions.

Mais ils oublieraient que les Beastie Boys ont commencé comme un groupe de rock. Préféraient peut-être le punk “daft” de Darlin’? Ou la pop anglaise pas très Fauve des Fleet?

Changer n’est pas renoncer.

←Conclusion→

Nous invitons ceux que le sujet intéresse à se plonger dans l’art passionnant du démarrage “au cric” d’un projet de start-up. Ils y trouveront bien d’autres sources d’inspiration et astuces à reprendre à leur compte.

Pour récapituler, à la manière d’une start-up:

  • Rester simple et digeste pour être mieux compris et adopté.
  • Incarner un défi à un status quo bien choisi.
  • Etre hyper-analytique et décortiquer ce qui se passe sur votre site/page/profil pour savoir ce qui marche et pourquoi.
  • Ne surtout jamais lancer son truc et attendre que ça se fasse tout seul. Parce que ça ne se fera pas tout seul.
  • Savoir reconnaître que son offre n’intéresse pas et le cas échéant ne pas avoir honte d’en changer radicalement la nature.

En espérant que cette façon de penser vous ait donné quelques idées, nous vous laissons y réfléchir. Nous serions ravis d’entendre d’autres tips concrets de musiciens startupers dans l’âme. Pour un article follow-up pourquoi pas?!

D’ici là portez vous bien et bonnes fêtes.

La bise,

— Mathieu et Jérémy, pour Brass.

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