Steve Jobs ou la théorie de la machine à laver

Thomas bart
6 min readDec 1, 2015

Il y a peu, j’ai déjeuné avec un ancien collègue qui travaille désormais dans un grand groupe. Nous avons une passion commune. Nous sommes des fervents lecteurs d’articles de management. Et surtout de développement personnel. C’est une méthode trop méconnue qui devrait être plus largement employée à mon avis. C’est personnellement quelque chose qui m’a beaucoup apporté au quotidien. Je pense (mais il faudrait que cela soit confirmé par mes proches) que cela m’a aidé à être meilleur. Dans le monde professionnel, à être un meilleur manager. Dans la vie personnelle, à être un meilleur mari, père et ami.

Lors de ce déjeuner, mon ancien collègue me dit que ça se passe mal avec son nouveau patron. Le précédent, admiré par de nombreuses personnes, a eu une promotion. Il était dur et austère mais ses qualités de manager visionnaire étaient unanimement reconnues. Il a laissé la business unit avec une forte croissance, des projets d’avenir et une équipe soudée.

Pour le recrutement, les RH et le cabinet de recrutement ont bien fait leur travail. Ils ont analysé les compétences et les attitudes du précédent patron. Ils ont si bien travaillé qu’ils ont presque recruté un clone. Des mêmes aptitudes, des méthodes similaires, un profil semblable de carrière et personnel.

Mais voilà, après 6 mois, la greffe ne prend pas. Là où l’autorité rigide fonctionnait, c’est du despotisme qui est ressenti avec le nouveau. Là où il y avait une vision stratégique, ce n’est plus qu’un magma avec des grands mots vagues. En conséquence, la croissance baisse. Certains commencent à regarder ailleurs (les meilleurs managers bien évidemment). Et le moral est en chute libre.

Mon ancien collègue est étonné de la situation. Il a beaucoup travaillé avec les deux. Et fondamentalement, il ne voit pas de différences entre les deux. Ni dans les méthodes, ni dans l’esprit. Il n’arrive pas à comprendre ce qui ne colle pas. Le nouveau patron, étant intelligent, a conscience de la pente glissante. Il travaille encore plus pour corriger le tir. Il adopte même certaines méthodes du précédent. Mais rien ne semble fonctionner.

Mon ancien collègue m’a demandé ce que j’en pensais. C’est toujours difficile d’avoir un avis sur des sujets aussi complexes. Surtout lorsque l’on n’est pas à l’intérieur. Mais je lui ai répondu que nous étions dans le cas classique du modèle de Steve Jobs et des machines à laver.

La machine à laver ou le biais du survivant

Le biais du survivant est une théorie assez simple. Le meilleur exemple pour l’expliquer est la machine à laver. Et surtout celle de ma grand mère.

Cela fait 35 ans que ma grand mère a la même machine à laver. Elle n’a dû changer qu’une courroie en 35 ans. C’est tout. Mes parents ont changé déjà 4 fois de machine à laver sur le même intervalle de temps. La conclusion est simple. Les machines à laver, c’était mieux avant.

Mais en fait non.

Les autres machines à laver de la même série que celle de ma grand-mère sont déjà à la casse depuis longtemps. Un certain nombre de conditions ont peut-être juste permis à cette machine de survivre plus longtemps :

  • Les conditions de fabrication. La machine a peut-être été fabriquée avec des composants de qualité. Dans une fabrication industrielle, certaines composants sont défectueux. Certains peuvent être hors norme en terme de qualité.
  • Les conditions de transport et d’installation. La machine a peut-être eu la chance de sortir de l’usine et d’arriver sans encombre ni chocs jusqu’à son lieu de vie.
  • Les conditions d’utilisation. La machine a peut-être été utilisée à la fois suffisamment pour que le système ne s’enraye pas mais pas assez pour que le moteur commence à s’abîmer.
  • Les conditions de stockage. La machine était peut-être dans une pièce ni trop chaude ni trop froide sans humidité.
  • Et certainement d’autres conditions auxquelles je ne pense pas …

Mais ce qui en ressort sur la durée de vie de la machine. C’est autant la machine que les conditions exogènes qui lui ont permis d’avoir cette durée de vie. La même machine fonctionnant 5 fois par jour aurait probablement rendu l’âme plus vite.

Mais surtout, on ne garde qu’un exemple, la survivante, pour faire une règle absolue.

Autrement dit, le biais du survivant, c’est : Ce qui a fonctionné pour un, fonctionnera nécessairement pour tous. Sauf que c’est faux.

Steve Jobs ou le modèle de management

Depuis sa disparition, Steve Jobs est célébré pour ses très nombreuses qualités. A juste titre. Et je fais partie des personnes qui ont pour lui beaucoup d’admiration. Mais Steve Jobs est un survivant. C’est un peu drôle de dire cela alors qu’il est mort mais c’est la vérité.

On ne garde à l’esprit que le parcours de Steve Jobs car il a “gagné”. Mais combien de CEO ont planté leurs sociétés en faisant comme Steve Jobs ? Certainement beaucoup.

Penser que l’on va répliquer le succès en faisant la même chose est un non sens selon moi. D’ailleurs, j’ai le sentiment (étayé par rien du tout) que Tim Cook est très différent de Steve Jobs. Et pourtant le succès d’Apple est loin d’être démenti.

Je suis incapable de pouvoir analyser la situation du patron de mon collègue. Mais ce dont je suis sûr, ce n’est pas en copiant les autres qu’il va réussir. Et si lui ne risque de remonter la pente en adoptant certaines anciennes méthodes de travail, vous n’y arriverez pas non plus.

Ne devenez pas le prochain Steve Jobs !

Internet a permis au développement personnel de gagner en notoriété. Mais avec cet accroissement de notoriété, on a vu fleurir des tonnes d’articles :

  • Comment devenir Steve Jobs ?
  • Les habitudes des grands leaders de notre monde ?
  • Comment avoir du succès comme Mark Zuckenberg ?

Sauf que je pense que c’est une erreur. J’ai beaucoup de respect les personnes que je cite au-dessus. Je suis très impressionné par leurs parcours. Et je pense qu’il est bon d’être inspiré par leurs attributs. Leurs personnalités. Leurs compétences. Leurs habitudes.

Mais je pense que ce sont les vôtres que vous devez façonner. C’est votre jardin intérieur que vous devez cultiver. Je ne vous conseille pas de ne pas lire ces articles ou ces magazines. Au contraire. Lisez les. Mais soyez critique. Soyez inspiré mais ne cherchez pas à devenir. Arrosez-le avec les expériences des autres, avec leurs savoirs. Les autres, c’est la possibilité de récolter le fruit d’expériences de 1 000 vies. Mais ne cherchez pas à devenir les autres. Inspirez-vous des autres pour être un meilleur vous-même.

Il n’y a pas de recette pour le succès. Il y a quelques années, je débutais mon premier poste de management. J’ai demandé un conseil à un ami qui avait du succès et faisait beaucoup de management. De culture germanique, il est très distant dans ses relations de travail. Il m’a conseillé de faire de même.

J’ai essayé mais j’ai craqué au bout d’un mois. Parce que j’étais en train de me crasher dans mon nouveau job. Pour une bonne et simple raison : Ce n’était pas ma vérité intérieure. Ce n’est pas qui je suis. J’ai besoin d’échanger et de parler. D’entendre les autres. Et aussi de raconter. Voilà, c’est tout. Ce n’est ni moins bien ni mieux. C’est juste que c’est ma façon d’être. Acceptant cet état de fait, j’ai adopté un management en accord avec moi-même. Et cette situation difficile s’est lentement améliorée dans le temps pour devenir sur le tard un succès (je le crois en tout cas). Et surtout mes méthodes se sont aussi améliorées avec le temps.

Il est probable que mon ami aurait réussi avec sa méthode à ma place. Car c’est sa vérité. D’autres auraient réussi avec leurs méthodes. Mais voilà, c’est leurs méthodes avec leurs vérités intérieures. Après certaines méthodes fonctionnent mieux dans certaines situations.

Dans les méthodes de lean management, un projet devient bon dans le temps. Il ne passe de l’état de mauvais à bon en un instant. Il n’y a pas de moment précis où cette barrière est franchie. C’est un processus itératif de chaque instant. En apprenant un peu chaque jour, on tend vers le bon.

Finissant de raconter cette histoire, mon ancien collègue semblait d’accord avec moi. Et surtout, il en arrivait à une conclusion qu’une organisation à succès ne devait pas évoluer ou en tout cas très lentement. Je n’étais pas d’accord avec lui. Je lui ai dit que c’était le cas de Star Wars ou la théorie du changement et de la rébellion. Mais ceci est une autre théorie.

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Thomas bart

Proud dad of two & husband. In my spare time, I write about productivity and coaching. Head of Growth in Startup Incubators in Lausanne, Switzerland