Hello Tomorrow : Allons-nous vivre pour toujours ? (Episode #2 — Healthcare & Wellbeing)

Marion Paolini
Possible Future
Published in
7 min readOct 31, 2017

--

S’il y a une thématique qui incarne particulièrement la notion de “deep tech”, c’est bien la santé, ou du moins la biotech. La longueur des cycles de mise sur le marché, les montants d’investissement de départ nécessaires, le niveau scientifique mobilisé, tous les critères sont là pour parler de deep tech, depuis de nombreuses années. Un petit nouveau vient s’accoler au thème santé : le bien-être. Loin des bougies parfumées, des huiles essentielles et du yoga, le bien-être à Hello Tomorrow, c’est de la deep tech, toujours de la deep tech, encore de la deep tech !

Et pour cause, la première intervention sur le thème du bien-être concerne l’impression 3D… d’organes ! Une des premières applications de cette technologie en développement : l’impression 3D de follicules pileux, d’où la classification dans la catégorie bien-être plutôt que santé. Superficiel ? Parlez-en à Fabien Guillemot, ancien chercheur à l’INSERM et créateur de Poietis.

Pour Fabien Guillemot, l’impression 3D d’organes est sa conquête de Mars.

La comparaison avec le thème d’ouverture, l’aérospatial, est explicite :

« Printing organs, for us it’s like going to Mars, we need to organise an international collaborative effort to reach this amazing goal. »

- Fabien Guillemot (Poietis)

La bonne santé, est-ce uniquement l’absence de maladie ?

Dans cet impressionnant décor de jungle, l’intervenant suivant, Larry Weiss, Chief Medical Officer d’AOBiome, nous emmène avec lui à la recherche de la bactérie perdue. Dr. Weiss nous explique qu’il fut un temps où nous vivions en symbiose avec une bactérie sur notre peau qui métabolisait l’ammoniac et nous conférait ses propriétés anti-inflammatoires. Pas d’acné, ni de lupus, ni d’eczema… Pas de maladies inflammatoires de la peau et d’ailleurs moins de maladies inflammatoires tout court. A force de se laver très fort, trop souvent et surtout avec beaucoup trop de savons et shampoings abrasifs, nous avons perdu cette bactérie bienfaitrice.

Larry Weiss, à la recherche de la diversité microbienne perdue.

Plus généralement, Larry Weiss s’interroge sur notre système économique de santé : est-il raisonnable de chercher à breveter de nouvelles espèces chimiques et de les vendre pour essayer de nous guérir plutôt que d’essayer de préserver ce que nous avons et qui nous maintient en bonne santé ?

Traiter les maladies ou plutôt retrouver la santé ? Question clé pour Larry Weiss.

« Do we want to treat diseases or to restore health? […] None of us is healthy. Some of us may be free from disease, but not healthy. »

- Larry Weiss (AOBiome)

Selon Larry Weiss, traiter les maladies avec des xénobiotiques — c’est-à-dire (littéralement) produits chimiques étrangers au corps — ne fait que reporter le problème : des effets secondaires apparaissent et ce n’est qu’une fuite en avant, à constamment essayer de réparer ce qu’on vient de casser.

Cette définition de l’état de santé (healthy state) par Larry Weiss nous est restée précieusement dans un coin de notre tête pour les conférences suivantes.

Daniel Delubac, de la startup californienne Freenome, nous explique justement que Freenome développe un outil capable de détecter non seulement le cancer, mais surtout des conditions précancéreuses. Comment ça marche ? Actuellement, pour diagnostiquer un cancer, les médecins s’appuient sur l’imagerie (des rayons X), ou l’apparition de protéines dans le sang (comme la PSA pour le cancer de la prostate). Selon Daniel Delubac, ces manifestations sont souvent trop tardives et le pronostic pour le patient est mauvais. Freenome souhaite donc avancer le moment du diagnostic, en repérant dans le sang des mutations génétiques annonciatrices !

« We are way above chance, the signal we want to find is there. […] The problem is not a scientific problem anymore, but a practical one now. »

- Daniel Delubac (Freenome)

Mais comme se le demande Daniel Delubac lui-même : “Can we detect cancer before it strikes?”, peut-on appeler ça un cancer et le traiter comme une maladie s’il n’a pas encore frappé ? Et par conséquent doit-on le traiter ?… Serions-nous tous malades ?

Allons-nous vivre pour toujours ?

Les deux intervenants suivants nous invitent à réfléchir sur des considérations plus techniques, sur des solutions pour traiter des maladies.

Joy Wolfram, chercheuse à la Mayo Clinic dresse un panorama de la nanomédecine et de ses applications. Elle explique que, contrairement aux domaines de l’électronique ou des matériaux (où les nanotechnologies sont utilisées pour miniaturiser), dans la médecine, c’est l’inverse : les nanoparticules utilisées sont bien plus grosses que les molécules thérapeutiques. Les nanoparticules font la taille de grosses protéines ou de virus et ça leur confère des propriétés mécaniques intéressantes.

« Nanotechnology in medicine: we’re actually going LARGER. »

- Joy Wolfram (Mayo Clinic)

Les avantages des nanoparticules sont leur “multifonctionnalité” : elles peuvent être utilisées comme des capsules pour les agents qu’elles transportent, leurs propriétés électro-magnétiques particulières et le fait qu’elles sont traitées par le corps différemment du fait de leur taille importante. Pour filer la métaphore spatiale : la nanomédecine, c’est un peu comme concevoir des nano-navettes pour transporter différents matériaux à travers le corps, récupérer des signaux et déposer des ressources à des endroits difficilement atteignables.

Geoffrey Siwo, chercheur à la Notre Dame University nous présente une technologie qui pourrait bien révolutionner les traitements : ce qu’il appelle les “Smart Adaptative therapeutics”. Il explique que certains virus ou bactéries modifient leur génome pour s’adapter et rester vivants. Ainsi, certaines souches bactériennes deviennent résistantes aux antibiotiques, aucun vaccin n’a pu être développé contre le VIH, et le vaccin contre la grippe est changé chaque année.

« Drugs are static, pathogens are not, pathogens are smart, drugs are not. »

- Geoffrey Siwo (Notre Dame University)

Et si les médicaments que l’on développait pouvaient, eux aussi, muter et évoluer en même temps que les pathogènes ? C’est sur quoi travaille Geoffrey Siwo, en utilisant la technologie de “copier-coller” génétique : CRISPR-Cas9 qu’il applique aux virus. Le VIH arrive à résister même à ce type d’approche en recoupant les séquences “suicide” qu’on lui a inscrites dans son génome au bout de quelques cycles. Au-delà de la difficulté scientifique, cette approche prometteuse risque d’être confrontée à des approches réglementaires : difficile de faire approuver de nouvelles approches thérapeutiques qui sortent des canevas classiques de caractérisation.

Le thème de la santé s’achève avec une discussion au coin du feu avec Laura Deming, fondatrice du Longevity Fund. Laura Deming a créé le Longevity Fund pour financer des startups dans le domaine du vieillissement. Pourtant, Laura Deming ne devrait pas trop s’en soucier, elle qui n’a que 23 ans ! Si elle s’en préoccupe, comme elle nous l’explique, c’est pour sa grand-mère. Une belle histoire, qu’elle nous raconte presque la larme à l’oeil, avant de nous confier que pour cette raison, elle a commencé sa carrière en partant travailler dans un des rares laboratoires qui s’intéressait au sujet, à l’autre bout des Etats-Unis… à 13 ans. Ce qu’elle a rapidement compris, c’est que le domaine du vieillissement était nettement moins connu et financé que le domaine du cancer par exemple. Elle a donc naturellement décidé de créer un fonds de venture capital pour soutenir les startups du vieillissement.

« Why wasn’t everyone paying me to do my research? Why do researchers have to go out and write grants and look for money? […] VCs knew everything about cancer, but nothing about aging. »

- Laura Deming (Longevity Fund)

Une des startups financées par le Longevity Fund regarde si en se débarrassant de certaines cellules, les plus vieilles et endommagées on pourrait vivre plus vieux. Laura Deming explique que les meilleures idées viennent souvent de domaines autres que le vieillissement : le cancer, le diabète, la neurologie. Laura Deming lance un appel ouvert aux scientifiques et les encourage à travailler sur ces questions : est-ce que le vieillissement est régulé génétiquement ? Est-ce qu’on a des choses dans notre corps qui ne devraient pas y être ?

« Aging is an incredibly young field. The first mutation that really impacts aging was only found in 1993! »

- Laura Deming (Longevity Fund)

Curieuse, la modératrice demande à Laura Deming si elle a des conseils pour vivre plus longtemps… “Manger modérément, c’est sans doute le meilleur conseil que je puisse vous donner !” répond Laura Deming. Déçus ?

Avec des organes imprimés, des diagnostics de conditions pré-cancéreuses et des médicaments intelligents, nous avons eu le sentiment d’un aperçu de la médecine de demain. Alors… prêts à vivre pour toujours ?

--

--