Comment la systémique a changé ma vision du monde ? (2/3)

Dan Dang
Impact Responsable
Published in
7 min readSep 25, 2023

Dans ce deuxième article, je vais aborder les solutions proposées par Arthur Keller pour remédier aux problèmes décrits dans l’article précédent.

Arthur Keller propose une réaction en 4 temps, ce qu’il appelle les “4R” :

  1. Réinvention culturelle
  2. Remise en question active
  3. Résilience territoriale
  4. Reliance solidaire

1 — Réinvention culturelle : Façonner de nouveaux imaginaires collectifs

Il nous encourage à être critique vis-à-vis des informations fournies par chacun des silos de spécialisation :

  • Fuir le “solutionnisme” qui consiste à trouver des solutions pour maintenir le système existant.
  • Revoir notre rapport à la nature.
  • Réinventer le métier d’ingénieur.
  • Apprendre à raconter de nouveaux récits, car “Les récits influencent nos perceptions de l’avenir.

A ce sujet, j’ai découvert récemment l’existence de la Fresque des Nouveaux Récits, atelier dont l’objectif est de “faire émerger un futur compatible avec les limites planétaires et désirable pour tous.”, auquel je vous encourage vivement à participer, et pourquoi pas animer.

Le célèbre psychologue américain Elliot Aronson décrit l’être humain comme un “animal rationalisant”. Quelle différence avec le rationnel, me direz-vous ? Eh bien, un animal rationnel va adapter son comportement s’il constate ou apprend que celui-ci est inadapté à une situation donnée.

Or, un animal rationalisant fera l’inverse, c’est-à-dire qu’il changera sa vision du monde pour légitimer un comportement qui aura pu créer une dissonance cognitive avec ses valeurs ou croyances.

Pour que les gens se mobilisent et changent les choses, il faut leur donner des opportunités pour qu’ils passent à l’acte. Il faut trouver des incitations, des carottes pour les motiver.

Selon Arthur Keller, l’être humain est un pentamoteur, c’est-à-dire que ses leviers de motivation sont au nombre de 5 :

  1. Désir
  2. Intérêt personnel
  3. Obligation morale
  4. FOMO (la peur de manquer quelque chose)
  5. Peur

Au sujet de la peur, Arthur Keller remet en cause 3 idées reçues sur les récits :

  1. Ils ne doivent pas être positifs, mais “inspirants
  2. Ils doivent générer de l’espoir, oui, mais un espoir “lucide
  3. La peur peut être utile, non pas comme un objectif du récit, mais une conséquence indirecte

Il énonce 4 pré-requis à une utilisation efficace de la peur pour mobiliser les gens :

  1. Que la menace soit grave et palpable
  2. Qu’ils se sentent concernés
  3. Qu’une réponse efficace existe
  4. Que la réponse leur soit accessible

Selon lui, “La guerre des imaginaires de l’avenir a commencé.” entre ceux qui souhaitent s’accrocher au système existant coûte que coûte, et ceux qui souhaitent changer de système.

Une alternative serait donc de proposer des “imaginaires inspirants vecteurs d’espoirs lucides”.

2Remise en question active de l’existant

Selon Arthur Keller, il faut basculer d’un système destructeur de l’environnement à un système basé sur des modèles régénératifs. Il faut dire stop à certaines activités du système existant, qui sont uniquement destructrices.

Il faut se mobiliser.

Souvent, nous sommes réduits au rôle de “consommateurs”, or nous pouvons agir davantage en tant que “citoyens”. Si vous pensez que c’est aux autres de changer : les marques, les grandes entreprises, les politiques, sachez que rien ne changera. C’est à vous de les faire changer, et de quelle meilleure manière qu’en montrant l’exemple ?

C’est l’habitabilité de la planète Terre qui se joue dans les 20 à 30 prochaines années.

Gardez également en tête l’homéostasie du système, c’est-à-dire qu’en changeant une partie de ce dernier, celui-ci va se réorganiser, à l’image d’un paquebot que nous pousserions, et qui reviendra à son cap d’origine.

3Résilience territoriale

La résilience des systèmes socio-écologiques est leur capacité à absorber un choc, résister si celui-ci n’est pas trop gros, ou se déformer, puis s’adapter, et s’améliorer, pour être encore plus résilients face aux chocs suivants.

Ce terme est malheureusement dévoyé, car certains assimilent la résilience à l’écologie.

Or, les 2 n’ont pas forcément de rapport.

La résilience est une question de sécurité, de ne pas s’effondrer. La soutenabilité est liée à l’écologie.

Concrètement, une voiture écologique est une voiture légère, qui ne consomme pas beaucoup, qui va optimiser avec de l’électronique l’injection dans le moteur, etc. pour optimiser la consommation. Une voiture résiliente, va être un vieux teuf teuf increvable qui va pouvoir rouler longtemps, mais catastrophique pour l’environnement en termes d’émissions de gaz à effet de serre.

Autre exemple : une ville est beaucoup plus écologique qu’un ensemble de maisons, grâce aux synergies de chauffage, etc., mais elle n’est absolument pas résiliente, car dépendante de flux d’approvisionnement non contrôlés, et si ces flux (gestion des déchets et autres) s’arrêtent, celle-ci devient invivable.

Arthur Keller détaille les conditions pour rendre un système résilient en 18 points :

  1. Création de stocks “collectifs”, et de surcapacités
  2. Culture du risque, et barrières pour identifier les risques et s’y préparer
  3. Diversité des solutions / projets, et réseau
  4. Solidarité / partage, et construction de relation de confiance
  5. Redondance
  6. Sobriété systémique
  7. Apprenant
  8. Robuste
  9. Flexible (à l’inverse d’un os qui peut casser, s’il est trop dur)
  10. Inclusif
  11. Régénératif
  12. Autonome pour les besoins de base
  13. Préparation à la probabilité d’un effondrement (énergétique et du vivant notamment), et humeur sociale
  14. Pensée système
  15. Communs : quelles sont les choses dont nous avons absolument besoin pour survivre (nourriture, foncier nourricier / terres agricoles, etc.) ?
  16. Courage, et implication citoyenne
  17. Identification des ennemis, et futurs perdants, pour leur faire accepter le changement
  18. Équilibre avec le vivant

Pour répondre à cette problématique, un concept intéressant à creuser est celui des “Low-tech”, dont l’objectif est de chercher un équilibre entre un impératif de soutenance écologique et de résilience, avec une dimension de transformation culturelle et systémique.

Infographie « Low-tech : Assurer durablement l’essentiel pour tous » (avril 2022).

Pour ce faire, le concept d’optimum de Pareto peut être utilisé.

Celui-ci consiste à indiquer un point de bascule au-delà duquel il n’est plus possible d’optimiser un endroit du système sans détériorer une autre partie, ce qui oblige à faire des arbitrages basés sur des valeurs.

4Reliance solidaire

Les solutions ne pourront être mises en oeuvre qu’ensemble, c’est à dire au sein d’un écosystème avec des profils complémentaires :

  • Penseurs
  • Faiseurs
  • Inspirateurs
  • Organisateurs
  • Facilitateurs
Ecosystème “reliance solidaire”.

Take-aways

Avant chacune de nos prises de décisions, il est utile de nous rappeler leur impact sur les 9 sphères suivantes du “système Terre”, les 7 décrites dans le précédent article, en y ajoutant les 2 qui vont permettre de générer des solutions pérennes et durables :

  1. Lithosphère
  2. Hydrosphère
  3. Cryosphère
  4. Atmosphère
  5. Biosphère
  6. Pédosphère
  7. Anthroposphère
  8. Sphère des idées
  9. Sphère du faire

L’effort devrait être mis sur ces 2 dernières, afin d’explorer le champ des possibles en vue de changer de système, générer un impact positif, et faire émerger un futur compatible avec les limites planétaires, et désirable pour tous.

Un autre point à avoir en tête est la distinction entre les 3 sphères sur lesquelles nous pouvons agir (ou non) :

  • Sphère de contrôle
  • Sphère d’influence
  • Sphère de préoccupation

Les 2 sphères sur lesquelles nous pourrons le plus facilement avoir un effet sont les 2 premières.

La 3e sphère est la plupart du temps hors de notre portée, à moins d’occuper une position (politique, gouvernementale ou un poste clé) qui nous permette d’avoir de l’influence, en inspirant un nouveau système, dont l’impact pourrait dépasser le niveau local.

Par exemple, influencer des façons de faire en Chine ou en Inde, dont le contexte et les moyens sont très différents de ceux des pays européens.

Pour les autres, c’est-à-dire la majorité du commun des mortels, qu’est-il possible de faire ? :

  • Agir sur le système (par exemple en se constituant en collectifs)
  • Agir de manière locale, en mettant en place de nouveaux récits, à travers des projets

NB : le conseil d’Arthur Keller est de surtout bien documenter ces derniers (photos, témoignages, etc.), afin de créer des récits lorsqu’ils auront réussi.

Concrètement, voici quelques éléments de réponse sur des exemples d’actions possibles :

  • Là où vous êtes le plus utile et le meilleur (votre sphère de contrôle), faites des choses concrètes, faites des projets, et surtout communiquez dessus, en les documentant
  • Creuser le modèle du Donut de Kate Raworth dont l’objectif est de revisiter les principaux concepts de l’économie en y associant les enjeux d’intégrité environnementale et de justice sociale
  • Travailler à la résilience territoriale en diversifiant les sources d’approvisionnement, afin de produire localement tout ce dont un territoire a besoin sans nécessité d’importations

Conclusion

Ce cours magistral d’Arthur Keller a bouleversé ma vision du monde, en analysant de manière très pragmatique l’inadéquation des solutions actuellement proposées aux défis et enjeux environnementaux de notre temps.

Un des plus grands enseignements que j’ai retiré est qu’aucune solution pérenne et durable ne sera possible sans une approche “systémique” des défis environnementaux auxquels nous faisons et ferons face dans les décennies à venir.

Là où il se démarque des discours que j’ai pu entendre ailleurs, est la clarté des solutions alternatives, notamment la nécessité de changer de système, qu’il nous invite à mettre en œuvre dès aujourd’hui.

L’un des leviers principaux pour y parvenir passera par notre capacité à proposer de nouveaux récits, en travaillant notamment avec des communicants, artistes ou Designers, afin de mettre en avant le travail accompli, et le partager de manière “inspirante”.

Enfin, j’ai particulièrement aimé la phrase de clôture de son discours, à savoir “C’est le moment du sursaut, et nous sommes à un moment de l’histoire, où c’est le déclic ou le déclin.”

Image issue du support de cours magistral d’Arthur Keller

Et vous, que vous a inspiré cet article ?

Quels seraient les premiers petits pas que vous mettriez en œuvre dès demain ?

--

--