Quel bilan carbone pour les grandes installations solaires thermiques en France ?

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20 min readSep 6, 2022

Chez Inuk, nous avons eu l’opportunité de travailler cette année avec l’une des entreprises pionnières du secteur, Newheat, sur une mission de mesure d’empreinte carbone de la centrale solaire thermique Narbosol, l’une des premières alimentant un réseau de chaleur en France et la 2ème plus grande au niveau national. A travers cet article, nous avons souhaité vous partager les principaux enseignements de cette étude et mettre en lumière le solaire thermique, une technologie encore largement sous-exploitée, bien qu’elle soit particulièrement fiable, mature, et présente un fort potentiel de décarbonation.

Disclaimer :
Cet article n’est pas un booster de SE0, il est donc long et détaillé, comme à notre habitude, pour essayer de partager dans le détail et de manière la plus accessible possible les principaux enseignements de notre étude.

Introduction

Les effets du changement climatique sont aujourd’hui connus et indéniables. Les conclusions des derniers rapports du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) sont sans appel : le dérèglement climatique s’accélère et s’intensifie, et cela est entièrement dû aux activités humaines[1]. Si nous souhaitons avoir une chance de rester sous le seuil des 2°C — au-delà duquel les effets du changement climatique risquent de devenir incontrôlables — , il est nécessaire de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre (GES).

Rappel des principales causes et des principaux effets du changement climatique

Les énergies fossiles, principale source des gaz à effet de serre

Depuis 1850, 64% des émissions de gaz à effet de serre sont issus des combustibles fossiles. Sur ces 10 dernières années, ce chiffre est passé à plus de 85%.[2] Le principal levier d’action pour réduire les émissions — et donc ralentir le réchauffement climatique — est bien de réduire nos utilisations d’énergies fossiles que sont le charbon, le fioul, le gaz. Plus facile à dire qu’à faire, étant donné que celles-ci sont le carburant de l’économie mondiale et de notre mode de vie moderne.

En effet, les énergies fossiles représentent encore aujourd’hui plus de 80% du mix énergétique mondial.[3] En France, notre consommation d’énergie dépend encore à plus de 60% des énergies fossiles.[4]

Mix énergétique v. mix électrique, quelles différences ?

Le mix énergétique, également appelé « bouquet énergétique » correspond à l’ensemble des sources d’énergies utilisées à l’échelle d’un territoire pour satisfaire tous nos besoins énergétiques (électricité, transport, chaleur). Le mix énergétique est composé principalement de sources fossiles (pétrole, charbon, gaz) ; de sources fissiles (le nucléaire) et les sources renouvelables (solaire, éolienne, hydraulique, etc.)

Attention à ne pas confondre mix énergétique et mix électrique, qui sont souvent utilisés de manière interchangeable (à tort!).

En effet, l’électricité ne représente qu’une partie de la consommation finale d’énergie (environ 25% dans l’Union Européenne), derrière la chaleur et les transports.[5] Le mix électrique ne représente donc qu’une sous-partie du mix énergétique.

En France, nous avons la chance d’avoir un mix électrique relativement décarboné, notamment grâce au nucléaire, qui assure plus de 60% de la production d’électricité. Le nucléaire est une source d’énergie non-renouvelable mais qui présente l’avantage de n’émettre que très peu de gaz à effet de serre. Les autres sources composant notre mix électrique sont les énergies renouvelables (hydraulique principalement, suivi de l’éolien et du solaire) et les énergies fossiles.

La chaleur représente près de la moitié de nos besoins énergétiques

Du côté des consommations, il est intéressant de noter que la chaleur représente la moitié de nos besoins d’énergie finale (les secteurs résidentiel et tertiaire représente trois quart de la consommation nationale, le dernier quart allant à l’industrie.) Or, si notre mix électrique est relativement décarboné en France, nos besoins de chaleur dépendent eux à 80% des énergies fossiles, et notamment du gaz (cf. diagramme ci-dessous). Cela pose un double problème : celui de l’épuisement des ressources naturelles, mais également celui du réchauffement climatique car il s’agit de sources d’énergie fortement émettrices. Ainsi, décarboner notre chaleur représente un levier crucial de la transition énergétique.

Source : Association négaWatt

Quels leviers d’action pour « décarboner la chaleur » ?

Avant tout, on ne rappellera jamais assez que « la meilleure énergie est celle qu’on ne consomme pas », et la chaleur n’y fait pas exception. Or, le moyen le plus efficace de réduire notre consommation de chaleur est d’améliorer la performance énergétique des bâtiments. La rénovation énergétique des bâtiments anciens, et l’optimisation du neuf (isolation, mode de chauffage, etc.) sont donc deux leviers d’action prioritaires.

Pour atteindre les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone, « le levier principal reste la massification de la rénovation du parc immobilier français. La SNBC souhaite porter le nombre annuel de rénovations complètes et performantes dans le logement de 300 000 sur 2015–2030 à 700 000 sur 2030–2050 »[6]

En parallèle, il est essentiel de décarboner notre mix énergétique, aujourd’hui dominé par les énergies fossiles.

Bien qu’elles présentent un levier de décarbonation majeur ainsi que l’avantage d’être abondantes, les énergies renouvelables ne représentent que 20% de la production de chaleur en France aujourd’hui. Pourtant, les solutions ne manquent pas : biomasse, géothermie, solaire thermique, pompes à chaleur et récupération d’énergie.[7]

Décarboner la chaleur, au cœur de la nouvelle règlementation RE2020

Alors qu’aujourd’hui, la grande majorité des logements neufs sont encore chauffés intégralement au gaz, la RE 2020 a pour ambition « la disparition progressive du chauffage utilisant des énergies fossiles dans les logements neufs » et systématisation du recours à la chaleur renouvelable [8]

« Alors qu’une maison moyenne existante chauffée au gaz émet près de 5 tonnes de CO2/an, la même maison aux normes RE2020 émettra moins de 0,5 tonne, soit 10 fois moins ! »[9]

A travers cet article, nous avons souhaité nous pencher sur le solaire thermique, une technologie encore largement sous-exploitée, bien qu’elle soit particulièrement fiable, mature, et présente un fort potentiel de décarbonation.

Chez Inuk, nous avons eu l’opportunité de travailler cette année avec l’une des entreprises pionnières du secteur des grandes installations solaires thermiques, Newheat, sur une mission de mesure d’empreinte carbone d’une nouvelle centrale solaire thermique afin d’estimer les émissions évitées grâce au projet.

Nous vous présentons ci-dessous les principaux enseignements de cette étude.

Contexte

Tout d’abord, qu’est-ce que le solaire thermique ?

Si la plupart d’entre nous est aujourd’hui familier avec le solaire photovoltaïque, le solaire thermique reste un concept peu connu du grand public.

Pourtant, il s’agit d’une technologie particulièrement simple et robuste (un capteur solaire thermique plan est une simple plaque de métal qui chauffe au soleil, à l’arrière de laquelle de l’eau circule et se réchauffe à son contact), et présente en France depuis plus de 30 ans.

Contrairement aux panneaux solaires photovoltaïques, qui permettent de transformer les photons du soleil en électricité, cette technologie permet de convertir le rayonnement solaire en chaleur. Cette chaleur peut être utilisée pour les besoins d’eau chaude et de chauffage des particuliers mais aussi pour l’industrie et les réseaux de chaleur.[10]

Concrètement, comment ça fonctionne ?

Les panneaux solaires captent le rayonnement solaire et réchauffe un fluide caloporteur (qui peut être de l’air, de l’eau, une huile ou encore un mélange d’eau avec du propylène glycol) placé sous ces panneaux. Le fluide, une fois chaud, restitue ensuite l’énergie accumulée via un circuit hydraulique.

Une image vaut mille mots, et nos amis de Newheat ont très bien schématisé le fonctionnement d’un panneau solaire thermique. Concrètement, un fluide caloporteur, c’est-à-dire un fluide qui transporte de la chaleur, circule dans les capteurs solaires et chauffe grâce au rayonnement solaire. Pour être efficace, le fluide caloporteur circule dans des tuyaux en cuivre, en contact avec une plaque de métal qui permet d’absorber efficacement la chaleur du soleil. A l’arrière, un isolant permet de ne pas perdre la chaleur ainsi transférée au fluide. A la sortie du champ de capteurs solaires (plusieurs capteurs mis les uns à côté des autres), le fluide peut atteindre une température de 100°C.

Source : newheat

On peut grâce à cette technologie obtenir différentes formes de chaleur :

  • de l’eau chaude solaire, grâce à des échangeurs eau/eau
  • du chauffage, grâce à des échangeurs eau/air
  • de la vapeur, dans le cas industriel
  • de la cogénération, c’est-à-dire de la production d’électricité en plus de la production de chaleur

Dans certains cas, le fluide caloporteur rejoint d’abord un système de stockage. En fonction du système utilisé, l’énergie calorifique peut être stockée pendant une durée variable : cela peut aller d’un stockage journalier, à un stockage saisonnier afin de restituer la chaleur sur les périodes hivernales.

Source : Atlansun

Que disent les études précédentes sur le sujet ?

Plusieurs études scientifiques ont été menées sur la performance énergétique et environnementale des installations solaires thermiques, principalement dans le cadre d’usage domestique ou industriel, à travers l’Europe.

Si les résultats varient en fonction du contexte géographique, de la technologie employée, et de l’usage des installations, toutes les études s’accordent sur le potentiel élevé de cette technologie d’un point de vue énergétique et décarbonation.

En effet, la littérature existante confirme que le rendement énergétique de cette technologie est élevé, et que la durée de « retour sur investissement énergétique » (energy payback) varie entre deux ans[11] dans le cadre d’une installation en Irlande à moins de deux mois dans le cadre d’une étude réalisée en Corse.[12] Peu d’études fournissent des données précises sur les émissions carbone associées aux projets et à leur potentiel de décarbonation. Une étude espagnole analysant l’ensemble du processus d’un capteur solaire (de l’extraction des matières premières pour le fabriquer à son traitement, en passant par son transport et sa fabrication) a trouvé que : « pour chaque kWh thermique produit, l’énergie solaire thermique n’émet que 2,1 grammes de CO2, alors que les émissions des autres technologies d’électricité renouvelable sont 14 fois plus élevées. » [13]

Une autre étude, comparant l’efficacité énergétique et la performance environnementale de cette technologie dans différents contextes géographiques européens, révèle que des systèmes solaires thermiques industriels à grande échelle « ont permis de réaliser des économies d’énergie et de carbone allant de 35 à 75 GJ et de 2–5 tonnes de CO2 par kWth, en fonction de l’emplacement géographique. »[14]

A travers cet article, nous souhaitons contribuer à la littérature en apportant une étude détaillée sur l’empreinte carbone d’une installation solaire thermique sur un réseau de chaleur urbain, prenant en compte l’ensemble des émissions directes et indirectes associées à la construction et à l’exploitation du projet.

Contexte de l’étude : présentation de Newheat et de la centrale Narbosol

Newheat est une entreprise bordelaise créée en 2015, spécialisée dans la chaleur renouvelable. Producteur indépendant de chaleur solaire et de récupération, Newheat assure l’étude, la conception, le financement, la réalisation et l’exploitation de projets pour l’industrie, les réseaux de chaleur urbains et les serres maraîchères.

La centrale Narbosol a vu le jour en octobre 2021 et permet d’alimenter le réseau de chaleur du quartier Saint Jean Saint-Pierre de la Ville de Narbonne pour une durée prévue d’au moins 25 ans. Ce réseau de chaleur a un besoin d’alimentation de 12 GWh thermiques (de chaleur) par an, il dessert 26 sous-stations pour un total de 947 logements, 3 établissements scolaires et 3 sites tertiaires. Il est actuellement exploité par la société Dalkia.

Avant l’installation de la centrale solaire thermique, ce quartier était alimenté par une chaufferie mixte bois/ gaz composée d’une chaudière biomasse (chaudière fonctionnant grâce à la combustion de bois)et de deux chaudières gaz en fonctionnement d’appoint.

La centrale Narbosol a pour objectif de diminuer la part du gaz utilisée par le réseau de chaleur au profit des rayonnements du soleil. Grâce à ce projet, la part du renouvelable dans le réseau de chaleur passe à plus de 70% (contre moins de 40% avant). En effet, elle vient s’ajouter à la chaudière biomasse déjà existante et permet de diminuer la consommation de gaz. En été, la centrale solaire thermique produit la majorité de l’énergie nécessaire au bon fonctionnement du réseau. En hiver et mi-saison, la chaufferie biomasse et la centrale solaire fonctionnent simultanément grâce à une régulation fine et interconnectée des systèmes de production du réseau. La chaufferie au gaz naturel déjà présente sur site permet un appoint et un secours pour garantir en tout instant l’approvisionnement en chaleur des abonnés du réseau.

Caractéristiques techniques de la centrale :

La centrale Narbosol est une installation de production de chaleur constituée de 3232 m² de capteurs solaires représentant une puissance crête de 2,8 MW thermiques, associée à une cuve de stockage d’eau chaude de 1000 m3. Le rayonnement solaire est transformé en chaleur, stocké puis fourni au réseau pour les besoins en chauffage et eau-chaude sanitaire du quartier. La chaleur solaire livrée annuellement pourra atteindre près de 2300 MWh par an soit 18% de la production annuelle totale du réseau.

La centrale est composée de :

  • 180 grands capteurs solaires (capteurs plans vitrés, sans concentration)
  • une cuve de stockage,
  • un réseau de canalisation pour chauffer l’eau,
  • des pompes pour acheminer l’eau ;
  • des échangeurs ;
  • du glycol (antigel) ;
  • des instruments de mesure ;
  • des pièces de rechange ;
  • la protection de la centrale avec des clôtures.
source: Newheat

L’objectif de cette étude est de calculer les émissions générées par la centrale sur l’ensemble de sa durée de vie, puis de comparer les émissions avec un scénario de référence (i.e. utilisation de gaz) afin de quantifier les émissions carbone évitées par le projet in fine.

Méthodologie

L’approche d’Inuk

Chez Inuk, pour certifier nos projets de contribution carbone (si vous souhaitez en savoir plus sur notre méthodologie, nous vous recommandons cet article), nous commençons par réaliser le bilan carbone de chaque installation. Cela nous permet de mesurer les émissions émises par le projet, et de les retrancher aux émissions qui auraient été émises par le scénario de référence, afin de calculer les émissions effectivement évitées.

Dans le cas de Narbosol, même si ce projet permet d’éviter des émissions de gaz à effet de serre puisqu’il permet de remplacer du gaz (énergie très carbonée), il ne faut pas oublier que lors de ses phases de vie — construction, opération, maintenance, fin de vie — ce projet a lui-aussi émis du CO2e. Il est donc indispensable de prendre en compte l’ensemble des émissions émises par le projet pour les retrancher aux émissions qui auraient été émises par la chaudière au gaz.

Voici un graphique résumant les étapes d’intégration d’un nouveau projet partenaire à notre portfolio : mesure d’impact, modélisation des émissions évitées, mise en place de relevé des données et conversion des émissions évitées en crédits carbone.

Pour quantifier les émissions générées, nous nous appuyons sur la méthodologie Bilan Carbone®, qui permet de quantifier les émissions générées par le projet sur tous les postes d’émissions (énergie utilisées, matières premières et équipements, déplacements, fret, etc.) et à travers toutes les phases de vie (développement, construction, utilisation, maintenance, fin de vie.)

Zoom sur la méthodologie Bilan Carbone

D’après l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), le Bilan Carbone® est une évaluation de la quantité de gaz à effet de serre émise (ou captée) dans l’atmosphère sur une année par les activités d’une organisation ou d’un territoire.[15]

Plus précisément, il permet de comptabiliser les émissions de tous les gaz à effet de serre définis dans le protocole de Kyoto : le dioxyde de carbone, le méthane, le protoxyde d’azote, l’hydrofluocarbure, le perfluorocarbure, l’hexafluorure de soufre. Il s’agit donc de calculer l’empreinte carbone d’une activité donnée en passant au peigne fin tous les postes émettant des gaz à effet de serre dans une entreprise.

Cet outil a été imaginé par l’ADEME en 2004. Il a aujourd’hui été repris pour être appliqué et diffusé par l’Association Bilan Carbone. Il ne s’agit pas d’un outil pour juger ou comparer les performances de l’entreprise, mais bien d’un outil d’introspection s’inscrivant dans une démarche d’amélioration. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on comptabilise toutes les émissions qu’elles soient directes ou indirectes (celles d’un fournisseur par exemple). Le but n’est donc pas de sous-estimer ou d’omettre certaines émissions carbone, sous prétexte que «l’entreprise en étude ne génère pas elle-même ces émissions», mais bien de tout visualiser pour avoir le maximum de leviers d’action pour réduire ou limiter son impact.

Les étapes du Bilan Carbone ®

Dans le cadre du projet Narbosol, le périmètre de l’étude prend en compte toute la durée de vie de la centrale : de la phase de construction à sa fin de vie. Cela inclut notamment les données suivantes :

  • Déplacements pour la phase de développement
  • Equipements et acheminement de ces équipements
  • Consommation de carburant des engins pour la préparation du terrain
  • Consommation d’électricité du projet
  • Déplacements pour la maintenance et prise en compte des pièces de rechange
  • Déchets générés par la centrale
  • Fin de vie estimée des équipements.

A chaque donnée brute est ensuite associé un facteur d’émission pour quantifier les émissions de GES totales. Par exemple : pour calculer les émissions liées aux déplacements, on regarde les kilomètres parcourus et on y associe le facteur d’émission du véhicule en question (en gCO2/km)

Pour cela, nous utilisons différentes bases de données : la base carbone de l’ADEME, la Base INIES, pour les équipements du bâtiment, des facteurs d’émission présents dans SIMAPRO, etc. Lorsqu’il n’existe pas encore de facteur d’émission pour certaines données (par exemple, des équipements composants la centrale), nous les calculons en interne.

Analyse des principaux résultats et limitations de l’étude

Pour notre cas d’étude, la centrale solaire thermique Narbosol, nous avons obtenu un impact carbone total sur toute la durée de vie de l’installation de 730 tonnes d’équivalent CO2, soit l’équivalent de l’empreinte carbone d’un français moyen pendant 73 ans.

Principaux postes émetteurs :

Les équipements de la centrale représentent ¾ de l’empreinte carbone totale, suivi par la consommation d’énergie (16%), le fret (5%), la fin de vie des équipements (3%) et les déplacements (2%)

Zoom sur les équipements de la centrale : 530 tonnes CO2

Parmi les équipements, les capteurs solaires sont les plus émetteurs avec 250 tonnes de CO2e, soit plus d’un tiers des émissions de la centrale. Un capteur solaire de la centrale Narbosol émet environ 1.2 tonne de CO2. Ils sont essentiellement constitués d’acier, d’aluminium et de verre, des matériaux particulièrement émetteurs. Ci-dessous, un tableau présentant la composition d’un capteur solaire utilisé par Narbosol et les facteurs d’émission associé à chaque matériau.

Composants d’un capteur solaire thermique utilisé sur la centrale Narbosol et facteurs d’émission associés

La cuve de stockage, composée principalement d’acier, est le deuxième élément le plus émetteur : elle permet de stocker 1000m3 d’eau chauffée, et émet l’équivalent de 80 tonnes de CO2.

Il est intéressant de noter la différence entre la répartition des matériaux dans la composition des équipements, et leur poids carbone respectif :

  • Le béton (principalement utilisé pour les fondations de la cuve de stockage et du local technique) représente plus de la moitié des équipements en poids mais seulement 5% du total des émissions ;
  • L’acier, qui représente 30% des équipements en poids, est responsable de plus de la moitié des émissions ;
  • L’aluminium représente seulement 2% des matériaux utilisés mais presque 17% des émissions.

L’énergie est le deuxième poste d’émissions le plus important : il est composé principalement des émissions associées à la consommation d’électricité et des combustibles des engins de chantier. L’électricité utilisée pour les pompes compte à elle seule pour 80 tonnes de CO2e, puisque le projet nécessite une consommation de plus de 1.4 GWh sur toute sa durée de vie.

Si l’on rapporte l’empreinte carbone totale du projet à la production d’énergie annuelle (2400 MWh), chaque kWh produit par Narbosol émet l’équivalent de 11,8 gCO2. A titre de comparaison, le facteur d’émission du gaz selon l’ADEME[16] est 227 gCO2e/kWh, soit près de 20x plus élevé !

Incertitude

Le Bilan Carbone est une méthodologie permettant d’estimer les émissions carbone associées à une activité, il ne s’agit pas d’un calcul exact au gramme de CO2 près. Ainsi, il existe toujours un niveau d’incertitude plus ou moins élevé. Dans le cadre de cette étude, le niveau d’incertitude est de 13%, un niveau relativement faible au regard des niveaux d’incertitudes classiques observés sur d’autres Bilans Carbone. Cette incertitude résulte du manque de précision ou de l’absence de certaines données d’activité, qui nous contraignent à utiliser des hypothèses.

Les données qui mériteraient d’être précisées pour les futurs bilans carbone sont : l’utilisation de carburant pour les engins lors de la préparation du terrain ; l’acheminement des matériaux ; les données concernant les déchets et la fin de vie des équipements composants la centrale.

Limitations de l’étude

Tout d’abord, le Bilan Carbone est un outil d’analyse monocritère, c’est-à-dire qu’il ne prend en compte qu’une seule dimension de l’impact d’un projet : les émissions de GES. Dans le cadre de cette étude, il aurait été intéressant d’élargir le périmètre de l’étude en prenant en compte d’autres indicateurs environnementaux, tels que l’épuisement des ressources naturelles ou l’impact sur la biodiversité par exemple. Il est tout de même important de préciser que, comme pour tous nos projets partenaires, nous nous sommes assurés que le projet n’avait pas entraîné d’artificialisation des sols (la zone étant déjà artificialisée).

Il est également essentiel de rappeler que les résultats de cette étude s’appliquent uniquement au contexte précis de la centrale Narbosol. Ils ne permettent pas de tirer des conclusions sur l’impact carbone des centrales solaires thermiques en général, car celui-ci dépend d’une série de facteurs (zone géographique, taux d’ensoleillement, type de technologie utilisée, fournisseurs des équipements, etc.).

Ainsi, cette étude ne permet pas de définir l’impact carbone précis d’une centrale solaire thermique, mais propose un ordre de grandeur : en prenant en compte l’ensemble de son cycle de vie, une centrale solaire thermique émet entre 10 et 20 grammes de CO2e par kWh produit et présente donc un fort potentiel de décarbonation, surtout lorsqu’elle remplace du gaz.

Ces chiffres sont basés sur l’hypothèse que la durée de vie de la centrale correspond à la durée du contrat initial, mais il est fort probable que l’installation ait une durée de vie bien supérieure, sans remplacement des équipements principaux (de simple tuyaux et capteurs peuvent tenir 40 à 60 ans). Bien évidemment, plus la durée de vie de la centrale est élevée, meilleure sera son empreinte carbone par kWh (puisque les émissions sont amorties sur une durée plus longue).

Une fois le Bilan Carbone réalisé, comment calculer les émissions évitées ?

Une fois le Bilan Carbone réalisé, l’objectif est de calculer les émissions évitées grâce au projet. Cela nécessite une comparaison entre deux scénarios : le scénario de référence c’est-à-dire l’utilisation de gaz en l’occurrence, et le scénario de Narbosol avec l’utilisation de chaleur solaire thermique. Comme le montre le schéma ci-dessous, l’objectif est de comparer les tonnes de CO2 émises par chacun des scénarios pour une production de chaleur équivalente. D’après les études de faisabilité menées pour Narbosol, la centrale permettrait de produire 60 000 MWh sur 25 ans (la durée de référence du projet).

Commençons par le scénario de Narbosol. L’impact total du projet est de 730 tonnes de CO2. En divisant l’impact carbone du cycle de vie complet par la production de chaleur sur 25 ans, on obtient pour la centrale solaire thermique de Narbosol un facteur d’émission d’environ 12 gCO2e/kWh.

Pour le scénario de référence, on considère à 100% du gaz (la source d’énergie que va permettre de remplacer l’énergie produite par Narbosol). Le facteur d’émission utilisé est celui de l’ADEME et vaut 227 gCO2e/kWh . Il est nécessaire de prendre le rendement de la chaudière en compte, environ 90% toujours d’après l’ADEME. Cela correspond à une énergie nécessaire de 67 000MWh de gaz sur 25 ans (en entrée de chaudière). En multipliant cette valeur par le facteur d’émission, on obtient donc les émissions carbone liées à l’utilisation du gaz sur une durée de 25 ans, soit 15 200 tCO2e.

Ainsi, par soustraction évidente des empreintes carbone des deux scénarios, on peut en déduire que le projet Narbosol permet d’éviter 14 400 tonnes sur la durée de 25 ans de cycle de vie de la centrale. Cela correspond à 600 tonnes de CO2e évitées par an et 240 gCO2e par kWh produit. Dit autrement, on obtient un “retour carbone” au bout d’un peu plus de 1 an.

Méthodologie de comparaison entre deux scénarios d’émissions

Source : Clean Development Mechanism, UNFCCC

Valorisation des émissions évitées grâce aux crédits carbone

Une fois les émissions évitées modélisées, la méthodologie d’Inuk consiste à valoriser ces émissions via la contribution carbone volontaire. Pour assurer la mesurabilité des émissions évitées, Inuk se connecte directement au compteur de la centrale partenaire et relève les données de production en temps réel. Puis nous mettons en place notre solution blockchain qui permet de garantir la traçabilité et transparence des données. Les émissions évitées sont ensuite converties en crédits carbone, que nous commercialisons aux entreprises souhaitant contribuer à la neutralité carbone.

Concrètement, cela permet aux porteurs de projets d’avoir accès à un financement additionnel pour développer leur activité et améliorer leur impact environnemental (par exemple, en sourçant des matériaux moins carbonés mais plus chers pour les opérations de maintenance) résultant en davantage d’émissions évitées : c’est ce qu’on appelle un cercle vertueux !

Conclusion

Parmi les solutions de production de chaleur renouvelable, le solaire thermique est donc une technologie particulièrement vertueuse et largement sous-exploitée. Elle présente un fort potentiel d’un point de vue énergétique et de décarbonation, particulièrement lorsqu’elle remplace du gaz ou du fioul. De plus, les panneaux solaires thermiques ont une durée de vie élevée (plus de 25 ans) et 90% des matériaux composants les capteurs sont aujourd’hui recyclables.

Alors comment expliquer le faible déploiement de cette technologie ?

Il n’y a pas d’explication unique, mais l’un des facteurs est sûrement la concurrence des énergies fossiles, qui offrent une alternative moins chère et non soumise aux variations météorologiques, rendant le solaire thermique moins attractif. Cependant, cela peut vite évoluer comme nous l’avons observé récemment avec la guerre en Ukraine et l’explosion du prix du gaz.

C’est justement la mission d’Inuk, par le biais de la contribution carbone, de permettre à ce type de projets de devenir plus attractifs face à la concurrence des énergies fossiles qui, rappelons-le, ne sont pas pénalisées pour le coût carbone qu’elles génèrent.

Sources

[1] IPCC. (2021). Summary for Policymakers. In: Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I. Cambridge, UK: Cambridge University Press. doi:10.1017/9781009157896.001

[2] The Shift Project. (2021). Synthèse du rapport AR6 du GIEC publié le 09/08/2021.

[3] Ministère de la Transition Ecologique (2021) Data Lab, Chiffres clés de l’énergie https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/11-international

[4] Ministère de la Transition Ecologique, La transition énergétique en France https://www.ecologie.gouv.fr/transition-energetique-en-france#:~:text=Le%20mix%20%C3%A9lectrique,produire%20plus%20d'%C3%A9lectricit%C3%A9%20d%C3%A9carbon%C3%A9e.

[5] European Technology Platform on Renewable Heating and Cooling (2017), basée sur les statistiques Eurostat et les calculs de l’AIE (extrait du site internet de Newheat)

[6] Carbone 4, Le bâtiment, un secteur en première ligne des objectifs de neutralité carbone de la France en 2050, 2019. https://www.carbone4.com/article-batiment-snbc

[7] ADEME Expertises, produire de la chaleur.https://expertises.ademe.fr/energies/energies-renouvelables-enr-production-reseaux-stockage/passer-a-laction/produire-chaleur#:~:text=La%20chaleur%20renouvelable%20peut%20%C3%AAtre,en%20place%20le%20Fonds%20chaleur.

[8] Ministère de la Transition Ecologique (2021) RE 2020 Éco-construire pour le confort de tous. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2021.02.18_DP_RE2020_EcoConstruire_0.pdf

[9] ibid

[10] ADEME expertises, solaire thermique. https://expertises.ademe.fr/energies/energies-renouvelables-enr-production-reseaux-stockage/passer-a-laction/produire-chaleur/solaire-thermique

[11] Hernandez, Patxi, and Paul Kenny. “Net Energy Analysis of Domestic Solar Water Heating Installations in Operation.” Renewable & Sustainable Energy Reviews, vol. 16, no. 1, Elsevier Ltd, 2012, pp. 170–77, https://doi.org/10.1016/j.rser.2011.07.144.

[12] Lamnatou, Chr, et al. “Building-Integrated Solar Thermal Systems Based on Vacuum-Tube Technology: Critical Factors Focusing on Life-Cycle Environmental Profile.” Renewable & Sustainable Energy Reviews, vol. 65, Elsevier Ltd, 2016, pp. 1199–215, https://doi.org/10.1016/j.rser.2016.07.030.

[13] La renovable con menos emisiones de CO2 en todo su ciclo de vida. Energias renovables. 2020 https://www.energias-renovables.com/solar-termica/solar-termica-14-veces-menos-emisiones-de-20191108

[14] Kylili, Angeliki, Paris A Fokaides, Andreas Ioannides, et al. « Environmental assessment of solar thermal systems for the industrial sector », Journal of cleaner production. 2018, vol.176. p. 99 109

[15] En l’occurrence, nous ne réalisons pas un Bilan Carbone conventionnel dans le cadre de cette étude, mais nous nous appuyons sur la méthodologie pour estimer l’empreinte carbone du projet sur l’ensemble de sa durée de vie.

[16] ADEME, Base Carbone, Gaz https://bilans-ges.ademe.fr/fr/accueil/documentation-gene/index/page/Gaz

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