« Manager bienveillant·e », ça s’apprend ! 6 pratiques essentielles pour vous et votre équipe

Gilles Cruchon
11 min readJan 27, 2019

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Dans beaucoup d’entreprises, comme dans la mienne, la bienveillance est au centre des préoccupations des ressources humaines et tous les managers sont encouragés à développer la bienveillance au sein de leur équipe. Mais il ne suffit pas de dire « je suis bienveillant·e » ou « … en toute bienveillance » pour l’être. En réalité, j’ai rencontré très peu de managers entièrement bienveillants au cours de ma carrière. Cet article vise à donner six pratiques, allant de la plus simple à la plus difficile à mettre en œuvre.

Revenons à la définition

Par définition, et par construction, la bienveillance, c’est « veiller » au « bien » d’autrui. On peut lire dans le Trésor de la Langue Française informatisé :

« Une affection qui vous porte à désirer le bonheur de notre prochain » — Francis Hutcheson

Le prérequis à la bienveillance en entreprise est donc une volonté absolue d’assurer le bien de ses collègues.

La bienveillance ce n’est pas la gentillesse absolue

Il est habituel de confondre bienveillance et gentillesse. Cela étant, paradoxalement, une personne « gentille » en permanence est néfaste pour une équipe. En effet, la gentillesse seule :

  • n’est pas forcément contextuelle : dire des choses agréables ou complaisantes peut se faire sans connaître réellement ni la personne en face de vous, ni la situation dans laquelle elle se trouve. C’est alors une politesse sans véritable sens.
  • n’est pas forcément sincère : combien de fois avez-vous entendu des compliments de la part de personnes qui, dans votre dos, n’hésitent pas à y casser du sucre ?
  • peut être intéressée : être complaisant avec sa hiérarchie pour mieux progresser mais se comporter avec dédain envers ses pairs et ses subalternes… certains modèles de promotion ou de calcul des bonus encouragent une « fausse gentillesse ».
  • peut vous amener à déformer la réalité lors d’un feedback : il requiert un certain courage pour énoncer à un collègue une vérité qui n’est pas facile à entendre. Ce malheureux collègue manquera alors une occasion de faire mieux la prochaine fois.

En anglais, j’aime l’expression “you have to be cruel to be kind”. Si la gentillesse est une des pratiques qui s’apparentent à de la bienveillance… toute seule, elle ne permettra pas à vos collègues de pleinement progresser et d’atteindre le bonheur. Il nous faut donc aller plus loin, en comptant jusqu’à six.

UN! Vous écoutez les autres…

Tout commence par l’écoute. Beaucoup de personnes pensent savoir écouter, mais en réalité elles écoutent pour répondre au lieu d’écouter pour comprendre. Cela nécessite d’avoir des temps réservés à vos collègues pour mieux les écouter. J’aurai donc deux conseils.

Premièrement, mettez en place des « one-on-ones » réguliers (adaptez leur durée et leur périodicité à la taille de votre équipe — pour mon équipe de 30 personnes, je m’attache à rencontrer chacun pendant 45 minutes toutes les 3 semaines voire plus souvent pour les nouveaux arrivants). Google a émis de bons conseils sur la façon de mener vos one-on-ones, vous pouvez commencer par les suivre. Vous les adapterez ensuite à chaque membre de votre équipe. Les « one-on-ones » sont l’occasion rêvée d’écouter vos collaborateurs, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils ont dans la tête en ce moment, leurs frustrations, leurs joies, leurs colères, leurs fiertés… Plus d’informations et de conseils dans mon article sur le sujet : One-on-One, l’outil essentiel du servant leader.

Deuxièmement, que ce soit en « one-on-one » ou en collectif, assurez-vous de pratiquer l’écoute active. Dans un premier temps, chassez vos pensées et vos opinions. Assurez-vous, de ne pas couper votre interlocuteur. S’il a du mal à s’exprimer, posez des questions ouvertes, tentez de creuser et de rentrer dans le détail de ce qu’il dit (cherchez à obtenir des faits). C’est plus difficile mais, si vous avez l’impression que la personne en face n’a pas tout dit, taisez-vous. Le silence, bien qu’il puisse paraître gênant, est une arme absolue pour faire parler l’autre. Tout au long de votre écoute, faites savoir à votre interlocuteur que vous montrez de l’intérêt à sa parole (via des signaux visuels ou verbaux). Accueillez sa parole, même si vous n’êtes pas d’accord. Après tout, c’est son opinion qu’il ou elle exprime et elle lui appartient entièrement.

DEUX! Vous comprenez les autres…

Une fois que vous savez écouter les autres, il est temps de les comprendre. Afin de s’assurer de cela, la pratique la plus efficace est la reformulation. Dès que la personne a terminé de s’exprimer, vous pourrez reformuler en commençant par « Si j’ai bien compris, … » ou « Pour être sûr qu’on soit alignés, … » ou autre formule de votre choix.

Pour comprendre une personne, il faut aussi faire preuve d’empathie. Ceci pourra faire l’objet d’un article à part entière, mais pour résumer : il faut pouvoir se mettre à la place de l’autre. Ce qui, à minima, signifie à la fois écouter ses paroles, ses émotions, ses sentiments, mais aussi comprendre son contexte actuel et connaître son histoire passée. Centrer sa propre pensée sur autrui n’est pas une mince affaire. Certains le pratiquent naturellement, d’autres doivent s’entrainer pour y arriver. Dans tous les cas, un manager se doit d’être empathique pour être bienveillant.

Dans la vie d’un manager, il arrive également que vous ayez à comprendre des choses que votre équipe n’a pas envie d’exprimer (à cause d’une peur, à cause d’une honte… ou parce que ses membres sont trop gentils entre eux). Une bonne technique est de toujours repartir des faits et de pratiquer les « cinq pourquoi ». Pour plus de détail, rendez-vous ici. Pour résumer : il s’agit d’aller au fond du problème en posant une question commençant par « Pourquoi … » jusqu’à en comprendre la cause racine.

Quelle que soit la méthode que vous emploierez, il est important de garder en tête que comprendre réellement quelqu’un ou quelque chose nécessite de dépasser les apparences et vous engage à creuser les faits, les circonstances et les causes en multipliant au maximum les points de vue. Ce n’est pas de tout repos, mais c’est essentiel dans ce processus de compréhension.

TROIS! Vous acceptez les autres tels qu’ils sont…

Jusqu’à maintenant, vous êtes capable d’écouter l’autre, de le comprendre et de se mettre à sa place. L’étape suivante consiste à l’accepter tel qu’il est.

Le premier élément à avoir en tête : un manager n’est pas un parent qui éduque ses enfants, vous n’êtes pas là pour changer la personnalité des membres de votre équipe. Vous pourrez, au mieux, influencer certains comportements de vos collaborateurs, mais, d’une manière générale : on ne change pas les gens. Vous n’êtes pas une toute puissance qui contrôle les autres. En revanche, vous pouvez vous contrôler vous-mêmes.

Cela commence par faire preuve de tolérance en toute circonstance. J’ai récemment été confronté à cette image :

Un lapin ou un canard ?

La question posée : voyez-vous un lapin ou un canard ? A vrai dire, il n’y a pas qu’une seule réponse, tout dépend du point de vue. Certains verront un lapin, d’autre un canard, les troisièmes verront les deux. Enfin, une partie réfractaire de la population ne verra ni l’un ni l’autre, mais juste « un piège que notre gouvernement comploteur a mis en place pour cacher la venue des petits hommes verts »… Dans tous les cas : il n’y a pas de Vérité Absolue, il n’y a pas de bonne réponse systématique. Il y a des doctrines et des pensées paradoxales.

Pour arriver à accepter l’autre tel qu’il est, une bonne méthode consiste à avoir systématiquement un apriori positif. Si vous êtes familiers avec les travaux de Douglas McGregor, vous avez peut-être entendu parler de la théorie X et théorie Y. Pour faire simple, la première est pessimiste alors que la seconde est optimiste. Les managers qui pensent selon la théorie X sont persuadés que l’Homme est fainéant et ne souhaite pas progresser. Les managers qui pensent selon la théorie Y sont persuadés que l’Homme est motivé et, de lui-même, souhaite progresser. Si vous rentrez dans la deuxième catégorie de managers, il sera alors plus facile d’avoir un apriori positif sur les choses et sur les gens.

Enfin, pour arriver à accepter l’autre tel qu’il est, il est primordial d’écarter ses émotions. Pour prendre du recul, vous pouvez commencer par focaliser sur l’instant présent afin de faire table rase du passé. Pour cela, il existe la méthode « S.T.O.P. » que j’ai apprise lors un atelier de méditation « Pleine Conscience » organisé au sein de mon entreprise. Dans une situation donnée, afin de ne pas réagir :

  • Silence ! Arrêtez-vous, sortez de l’automatisme !
  • Temps de la respiration : prenez plusieurs inspirations profondes, concentrez-vous sur celles-ci.
  • Observez vos émotions, vos pensées, votre corps, soyez ouverts aux autres et aux multiples opportunités qui se présentent à vous.
  • Prenez une décision et agissez.

QUATRE! Vous agissez en toute transparence…

Maintenant que vous écoutez, comprenez et acceptez les autres tels qu’ils sont, il faut vous focaliser sur vos propres actions. Comme tout manager, dans votre carrière, vous serez amené à faire des choix et à prendre des décisions pour votre équipe.

Le premier pas vers la transparence consiste à rendre public vos choix, vos décisions et vos actions. Qu’on s’entende bien, cela présuppose de tenir à l’ensemble de votre équipe le même discours. Si les « one-on-ones » sont un lieu d’écoute de l’autre et un parfait endroit pour récupérer un feedback, c’est probablement le plus mauvais endroit pour faire état d’une décision qui impacte tout ou partie de votre équipe. Tenez donc régulièrement des réunions d’équipe. Par exemple, mon équipe se réunie toutes les semaines lors d’un « Team Huddle » où chacun peut partager collectivement les décisions prises dans les divers comités, communauté de pratiques ou même à l’intérieur d’un projet.

Une fois que ces choix, décisions et actions sont rendus publics, vous devez expliquer le pourquoi sous-jacent. Il est en effet nécessaire de donner du sens à tout le système qui environne une équipe. Cela présuppose que les règles du jeu ont été explicitées à l’avance et que vous pouvez vous y référer. Un bon exemple, concernant les ressources humaines, est l’attribution des niveaux de performance individuelle d’un collaborateur. Quelle que soit la méthode d’évaluation, il est important, en tant que manager, de vous assurer que tout le monde comprenne la façon dont le système fonctionne. Bien sûr, dans un mode agile, il n’est pas exclu que ces règles évoluent, pour réagir à leur environnement. Veillez simplement à ce que tout le monde puisse comprendre et repérer facilement ces changements.

Un autre pan de la transparence est la nécessité de ne pas cacher les mauvaises nouvelles. Toute la complexité est là : il requiert beaucoup de courage pour annoncer une mauvaise nouvelle à un collaborateur ou à toute son équipe. Il convient de ne pas se cacher derrière un « ce n’est pas ma faute » pour sauver sa propre face. Par exemple : Bob, membre de votre équipe, n’a pas été augmenté cette année… vous avez fait des pieds et des mains pour défendre Bob auprès des autorités compétentes, mais les budgets d’augmentation ne sont pas à votre main et vous avez dû prioriser d’autres personnes. Il faut alors être transparent envers Bob : « certes, tu as réalisé une très bonne année, mais tu n’as pas été augmenté car nous avons priorisé d’autre personnes selon tel ou tel critère ». Soyez explicite sur les critères, référez-vous une nouvelle fois aux règles du jeu. Et pour finir, ne promettez pas une chose alors que vous n’avez pas la certitude de pouvoir l’obtenir (à proscrire : « ne t’inquiète pas, Bob, tu seras augmenté l’année prochaine »).

CINQ! Vous parlez en toute franchise…

La franchise est pour moi le point le plus important de la bienveillance. C’est aussi un point délicat car il ne faut pas que la franchise blesse votre interlocuteur. J’utilise un framework efficace qui s’appelle la « franchise radicale » (en anglais : “Radical candor”), de Kim Scott. Voici un bref résumé (je vous laisse regarder la vidéo du lien précédent pour le détail).

La « franchise radicale » ne peut intervenir que lorsque vous prenez soin personnellement et humainement de l’autre (et que cette autre personne a conscience de cela) et que vous remettez en question directement les choses.

Donner des feedbacks régulièrement. Donnez-les instantanément, n’attendez pas les « one-on-ones ». Si c’est une critique (constructive), faites là en privée. Si c’est un encouragement, faite-le en public. Un bon ratio est d’une critique pour huit encouragements. Encourager votre équipe à se donner régulièrement des feedbacks les uns aux autres (à la fois des critiques et des encouragements).

De votre côté, vous pouvez récupérer des feedbacks francs à la fin des « one-on-ones » en posant une question simple. Par exemple : « d’après toi, que pourrais-je faire ou arrêter de faire qui rendrait notre collaboration plus simple ». Les gens ne voudront pas forcément donner la réponse ou se sentirons embarrassés. Ici aussi, utilisez le silence comme une arme. Ne dites rien avant d’avoir la réponse. Quand le feedback arrive, ne répondez pas, accueillez la réponse telle qu’elle est et faites tout pour la comprendre. À la fin, récompensez cette franchise, remerciez votre interlocuteur d’avoir dit ce qu’il pense.

Si vous n’êtes pas capable de dire à un collaborateur qui vient de finir une présentation en public « pendant ta présentation, tu disais “euh…” tous les trois mots, cela donnait l’impression que tu n’étais pas sûr de toi et que ne savais pas ce que tu racontais » alors vous n’avez pas le bon niveau de franchise et vous n’êtes pas bienveillant.

ET SIX! Vous agissez en toute équité !

Nous, managers, ça pourra en surprendre plus d’un, sommes aussi des êtres humains. Cela signifie que nous avons nos affinités, nos émotions et nos atomes crochus. Nous avons des collaborateurs avec qui des automatismes se mettent en place, à qui il est plus facile de demander un feedback ou de demander de l’aide.

Cela étant, gérer une équipe, et à fortiori la gérer en toute bienveillance, n’est pas chose aisée. Le rôle de manager vous a été donné par une entreprise, le plus compliqué sera donc d’agir et de prendre des décisions pour le bien de cette entreprise tout en mettant de côté vos affinités et vos préférences, tout en oubliant ces automatismes qui pourrait mettre à mal l’équité.

En exposant les règles du jeu, en rendant transparent les décisions et les choix, il sera plus facile de vous assurer que tout le monde dans votre équipe est bien logé à la même enseigne (tout le monde pourra le vérifier). J’ai par exemple rendu publique les participations des membres de mon équipe aux conférences payées par mon entreprise. J’ai également affiché la liste des chantiers que je délègue à mon équipe (j’écrirais probablement un autre article sur le sujet).

Il est important de noter que la multiplicité des points de vue est une des meilleures façons d’adresser les problèmes complexes. Assurez-vous de n’oublier personne lorsque vous récupérer l’opinion de votre équipe. Y compris s’il s’agit d’une opinion sur vous-mêmes !

Conclusion

Il y a donc 6 pratiques clés pour gérer une équipe avec bienveillance :

  1. Écouter les autres
  2. Comprendre les autres
  3. Accepter les autres
  4. Agir de façon transparence
  5. Parler avec franchise
  6. Agir en toute équité

La prochaine fois qu’une personne vous dira : « je gère mon équipe en toute bienveillance », demandez-lui si elle a bien compté jusqu’à six !

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Gilles Cruchon

Software craftsman👨‍💻, manager for happiness🎉 & agile padawan👣