Bilan de 17 ans de design d’interface et d’UX en agence digitale

Début février 2018, j’ai quitté l’univers des agences digitales pour rejoindre un acteur français du logiciel SaaS. Les équipes de design intégré, je les ai souvent observées, du dehors, jamais du dedans. J’ai mené des missions de conseil pour elles, j’ai adopté leur perspective, mais je n’ai jamais encore eu à vivre dans leur quotidien.
Pendant 17 ans, j’ai oscillé entre deux modes d’exercice — salarié et indépendant –, parfois en les cumulant. Aucune année ne s’est ressemblée et les moments où l’on peut prendre de la distance ne surviennent que tous les trois ou quatre ans. Entre les deux, le rythme, les enchaînements et l’exigence ne le permettent pas. En avançant, j’ai cumulé les rôles, comme beaucoup de managers : directeur UX, directeur de projet, directeur de clientèle, consultant éditorial. Les agences sont pour moi des lieux d’apprentissage ultimes. Elles exigent de vous la capacité à dépasser le seuil de votre propre incompétence. Aucune position n’est vraiment confortable. C’est intéressant, c’est fait.
Mickaël David, qui a quitté lui aussi les agences, explique la difficulté de faire son métier de designer en agence : “l’absence de vision des agences, la nullité du business model, la fatigue des équipes, le manque de culture digitale des managers”. Je ne me retrouve pas dans ces constats. Les difficultés que j’ai rencontrées ne sont pas les mêmes, à quoi bon en dresser l’inventaire, si ce n’est pour dire qu’en 15 ans le niveau de maturité de nos clients est toujours la principale faiblesse. Pas pour tous, bien sûr.
J’ai donc lu ça et là la satisfaction de certains à quitter les agences pour trouver une position dans un grand groupe (souvent) ou dans une start-up (parfois), comme l’évolution logique de gens fatigués de travailler en agence. Trouver l’herbe plus verte, ailleurs. Oui, il y a une difficulté sur le long terme, pour rester dans la course, mais dans ce métier de passion, le renouvellement technologique, l’évolution des usages surviennent tous les 18 mois, pas le temps d’être fatigué ou usé. Cette difficulté, c’est plutôt une question de croyance dans le modèle.

Mes raisons sont tout autres, je n’ai pas fait le tour de mon métier, je ne suis pas fatigué.

J’ai débuté comme le 13e (jeune) directeur artistique d’un studio de design de 30 personnes, chez Himalaya. Ironiquement, j’ai fait des études littéraires et c’est Virginie Baudelaire (directrice de création) qui m’y a appris mon métier ; en 2001, ce n’était plus l’âge d’or du web, la bulle avait éclaté. Plus tard, Laetitia Puyfaucher (présidente de WordAppeal) m’a appris tout le reste, c’est-à-dire la rigueur, le sens du service client et l’exigence. Ces entreprises qui m’ont fait confiance m’ont permis de réaliser la plupart des choses que je pensais impossibles à partir de mes capacités. Et une autre chose, primordiale pour moi, qui va à contre-courant de ce que les gens imaginent des agences, c’est qu’il est possible de concilier business et exigence intellectuelle.
Voilà pour les accomplissements, une centaine de projets plus tard, j’ai une vision claire de ce que le design peut apporter dans une entreprise et de comment mener un projet. Avec la conscience que cette certitude est caduque tous les 18 mois et qu’il faut la renouveler (et ça n’a rien d’automatique). Les méthodes aussi évoluent. Ce ne sont pas que des designers qui me l’ont appris.

Mais voilà, en 17 ans, le monde a changé, les entreprises (nos clients) se sont saisies du design. La question n’est pas de savoir si elles réussissent, si elles font bien, si elles seront un jour matures. C’est un mouvement global, essentiel. Les compétences en design n’ont jamais autant circulé (voir l’étude de *designers interactifs* sur le sujet). L’agence n’est plus le (seul) centre de gravité. Elle est même en concurrence directe avec ses clients pour recruter de nouvelles compétences. Et aussi : quand les organisations sont différentes et ne se valent pas, quelle est la meilleure pour mener à bien son travail ? Il me semblait important d’expérimenter de nouvelles façons de créer de la valeur autrement qu’à partir d’appels d’offres remportés, d’un compte de production et d’une feuille de temps. Même s’il serait injuste de ne pas évoquer la satisfaction de mes clients, qui m’a portée. Pour avoir une expérience totale de la chose, il me faut (re)descendre sur le terrain où tout reste à construire, y compris la façon dont nous pourrons mesurer le succès des projets à venir.

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