L’écolieu urbain : oxymore ou utopie ?
Alors que nous poursuivons notre réflexion collective sur Facebook à propos du futur des lieux de travail, nous réalisons qu’il est compliqué de bâtir un écosystème inspiré du vivant en conservant le modèle du bureau que l’on connaît. On peut faire pousser une fleur dans une boite de conserve, mais pas une forêt. Il nous faut donc accepter de décloisonner ce concept de lieu de travail pour le voir comme un élément ouvert du tissu urbain.
L’infrastructure physique, tangible, restant à contours fini (un immeuble par exemple), le décloisonnement va s’observer par la perméabilité des usages qui ont lieu sous un même toit, des activités qui s’y opérent, remettant au passage en question le statut de “lieu de travail”. Peut-être devrions nous parler de “lieu de production” ?
Passons la question du vocabulaire, et étudions notre système : dans cet immeuble, il y a des humains. L’objectif de notre système est bien de permettre à ces personnes d’être heureuses de façon durable, tout au moins de respecter leur liberté, donc ne pas les assujetir, les subordonner. Pour qu’elle soient heureuses d’être ensemble, de se voir, c’est que forcément elles ont une aspiration commune, un rêve partagé, des causes communes qui les motivent à se retrouver, source de leur joie d’être ensemble.
Autre chose dont on est sûr : ces personnes interagissent. Nous utiliserons bien entendu le modèle des 5 flux pour qualifier ces interactions : flux marchands, financiers et matériels d’une part, et non-marchands : émotions, connaissance, confiance d’autre part. Les flux marchands étant rares, pour assurer la pérennité du système il faut un mécanisme qui en produit autant qu’il ne consomme, ce qu’on appelle un modèle d’affaire durable. Les flux non marchands sont eux abondants, subjectifs, et peuvent servir deux objectifs : contribuer au modèle d’affaire (hybridation des flux), et contribuer au bien être des humains parties prenantes.
Dans un souci d’efficacité fordiste, nous avons l’habitude de faire ce choix d’optimiser la ressource “espace physique” en l’allouant au service des projets. C’est le plus “raisonnable”, “rationnel” : on met au point une règle qui définit comment les mètres carrés seront affectés à chaque projet, traditionellement en fonction de ce qu’il paye (“c’est 200€ le poste”), mais pas forcément (“une salle par projet, chacun se débrouille dedans”, “Le comité des sages décide”, “On vote”). Si un parfait connu entre dans un espace, sans qu’on lui dise rien, il peut dénombrer les projets, voir qui travaille avec qui.. rien qu’avec l’agencement du bureau, puisque l’espace est loti en zones dédiées à chaque projet. Cette approche est tellement logique qu’elle semble être la seule bonne manière de faire.
Pourtant, un choix différent est possible. Si l’on voit le lieu comme un seul grand espace protégé qui a vocation à relier les personnes partageant des causes communes, la logique de la nature nous engagerait à rapprocher les personnes dont les causes sont les plus proches, et non pas les personnes qui font des choses similaires. Ca tombe bien, s’entourer de militants du même bord est une bonne façon de s’épanouir avec son entourage, d’oser s’exprimer, de se sentir en sécurité psychologique, et donc d’être plus efficient. Bien entendu il va y avoir recoupement progressif : ces personnes vont vouloir faire des projets ensemble, donc on va sans doute retrouver des grappes de personnes qui travaillent ensemble sur un même projet. On va aussi trouver des porteurs de projet où ils sont tellement impliqués qu’ils ne font rien d‘autre, d’autres même qui ont pris l’engagement écrit de ne rien faire d’autre, en signant un contrat de travail par exemple. Et donc des parties de l’espace qui seront devenues de facto dédiées à tel ou tel projet.
La magie opère dans la longue traîne : les personnes qui connectent plusieurs projets, les mobilités d‘un projet à l’autre, les visiteurs qui apportent un regard extérieur, la contribution ponctuelle et singulière du voisin qui jette un oeil par dessus votre épaule, ou qui a entendu votre discussion au téléphone (oui, on se permet !)…
Anecdote typique de cette organisation : en recevant un visiteur pour tel projet qui pénètre pour la première fois dans le lieu sans savoir que c’est un coworking (aucun indice visuel ne le révèle), on a plusieurs fois entendu “Ah mais vous être bien avancés sur votre projet dites, je n’avais pas conscience que vous étiez déjà une vingtaine !”
Comme pour la permaculture maraichère, cette approche en permaculture humaine peut bien sur inquièter pour la productivité, pour la possibilité de tenir un planning, d’avoir une communication efficace dans un tel environnement, pour la confidentialité qu’il faut parfois savoir assurer pour tenir ses engagements vis à vis de tiers… inquiétudes légitimes, si l’on se dit que ne pas fonctionner comme le reste du monde est générateur de friction à l’interface.
Alors, on peut soit essayer “rationellement” de quantifier les plus- et moins-values du fonctionnement organique, tenter de mesurer le bénéfice en résilience, soit prendre le parti que le système fordiste en pur flux marchands n’est plus une option car s’il maximise l’extraction des ressources naturelles, il sacrifie le bien-être des individus qui jouent ce jeu.
Pas de méprise : si ce texte peut ressembler à une tribune à sens unique, il n’en est rien. C’est en fait un fragment de conversation. Le monde de demain doit être co-construit. Si ces réflexions vous intéressent, si vous avez repéré des écolieux urbains qui réinventent le lieu de travail, si votre meilleur ami est directeur RSE/Innovation/Digital d’un grand groupe immobilier, si vous avez hérité de 1000m2 dans Paris Centre et ne savez pas quoi en faire : laissez nous un commentaire, ou retrouvez nous sur Facebook !
(Illustrations par la merveilleuse Creative Tribe.)