Vivatech 2017: le nouveau salon de l’agriculture, mais avec des robots

Benoit Raphael
La bibliothèque des robots
7 min readJun 17, 2017

Quel est le lien entre une vache et un robot ? 🤖 🐮 Je vous explique…

Journal d’un éleveur de robots — épisode 7.

Vous avez forcément entendu parler de Vivatech. Même si la technologie ce n’est pas votre truc, vous avez de toute façon vu les images du président Macron serrer des mains aux humains mais aussi aux robots. Dans ce qui est devenu, en moins de deux ans, LE rendez-vous de la tech française.

Et si c’est votre truc, vous vous êtes forcément dit : “Bon, est-ce que j’y vais, ça serait bien quand même de dire que j’y étais… mais bon ça va être tellement bruyant, il va faire tellement chaud”.

Et puis il y a ceux qui ne se posent même pas la question et qui y vont de toute façon, genre si tu bosses dans la tech, tu vas à Vivatech. C’est comme si tu étais agriculteur, tu vas au salon de l’agriculture, point.

Il fait chaud ? Tu n’entends pas les gens qui parlent dans les tables rondes ?Tu ne comprends rien à la façon dont ils ont organisé les stands mais il doit y avoir une logique ? Tu as demandé ton chemin à un robot et il t’a juste répondu “Do you want to know more about me ?” Il fait vraiment super chaud ? Ok, mais c’est bon ? Tu as fait une photo ? Tu l’as postée sur Twitter ou Facebook et tu as écrit : “C’est parti pour Vivatech?”

Tu as pris un selfie avec un robot ? Tu as fait un live Facebook ? Cool.

Je ne critique pas. Je trouve ça super bruyant et épuisant comme beaucoup d’entre-nous, mais je ne vais pas dénigrer. Avant, à Paris, on avait le salon de l’agriculture. Maintenant, on a aussi Vivatech. C’est mieux que de juste avoir le salon de l’agriculture. C’est bien d’avoir les deux. Même si en fait, toi l’entrepreneur qui n’a pas encore été acheté par un grand groupe, tu n’as pas super envie d’y aller, mais tu y vas quand même parce que c’est, en fait, le seul gros rendez-vous parisien sur le sujet. Et que c’est sans doute mieux d’avoir Vivatech chez nous que de se résigner à essayer de percer au CES de Las Vegas.

Vivatech, c’est le salon de l’agriculture de la tech. Sauf qu’à la place des vaches, on a des robots. La preuve: on a même eu Macron qui est venu faire des selfies avec eux. Comme Jacques Chirac avec les moutons, sauf que cette fois les robots ont remplacé les animaux.

Cette année d’ailleurs, les robots étaient partout. La plupart font juste des trucs rigolos avec leurs yeux en bougeant les bras. Ils n’ont souvent rien à voir avec l’intelligence artificielle, mais ils sont l’avant-garde du monde qui vient.

Comme ces vaches qui te regardent avec leur gros yeux brillants. Les vaches sont toujours photogéniques. Elles te font oublier le drame absurde de l’agriculture française qui te nourrit, qui parfois t’empoisonne et qui en même temps se suicide.

Les vaches ne pensent pas. Mais c’est vrai qu’elles sont cool.

Comme les robots.

Ils ont l’air de nous dire quelque chose.

Mais quoi ?

On ne sait pas encore très bien quoi penser de l’intelligence artificielle. Ça nous rassure un peu de les comparer à des vaches. Mais on n’est pas complètement rassuré. Les vaches ne piquent le boulot de personne. Elles mangent de l’herbe en regardant les trains et elles donnent du lait. Les robots, eux, ils peuvent remplacer les humains.

Mais ce n’est pas tout. On est en train de se rendre compte qu’il faut les élever pour les rendre plus intelligents. C’est bien. Ça crée des nouveaux métiers: éleveurs de robots. Mais on les élève aussi pour qu’ils puissent nous remplacer… en mieux.

Une vache ne te remplacera jamais. Mais un robot ?

Est-ce que nous domestiquons les robots, ou est-ce que ce sont les robots qui nous domestiquent ?

Antoni Casilli, qui connait bien le sujet (et est un peu subjectif aussi), l’explique assez bien :

“Pour fonctionner correctement et réaliser leurs prouesses, les intelligences artificielles ont besoin de beaucoup d’attention humaine. Pour qu’un ordinateur reconnaisse un chaton parmi des milliards d’images, un humain doit d’abord lui montrer des milliers de photos de chatons. Cette phase d’entraînement ne revient pas aux grands savants mais à des internautes, qui se chargent de cliquer sur de nombreuses images de chatons jusqu’à ce que l’intelligence artificielle ait compris les traits distinctifs des félins et puisse prendre le relais”.

Vous ne le savez pas, mais en 2019, 213 millions d’humains seront occupés en à entraîner des intelligences artificielles, 18 heures par semaine en moyenne, selon une estimation de l’Organisation internationale du travail.

Sans trop comprendre ce qu’ils font.

Mais tout ça va permettre à des robots de réaliser des taches trop complexes pour nous. A notre place.

Je suis moi-même éleveur de robots. J’adore. Ça me fascine. Ça me fait réfléchir.

Je reconnais que mon nouveau métier consiste à aider une intelligence artificielle à faire ce que, moi, serait incapable de faire. Parce que le monde de l’information est devenu incontrôlable.

L’intelligence artificielle m’est utile. Je pourrais même dire que ce n’est pas grave si un robot est plus efficace que moi. Après tout, un cheval court plus vite qu’un humain, ce n’est pas grave, l’essentiel est de savoir exploiter au mieux ses capacités. Oui. Mais revenons justement à l’agriculture.

Dans “Sapiens”, Yuval Noah Harari, raconte comment la domestication des animaux et la révolution agricole ont changé profondément l’humanité.

A tel point qu’on finit par se demander qui a domestiqué qui…

« La Révolution agricole fut la plus grande escroquerie de l’histoire. Qui en fut responsable ? Ni les rois, ni les prêtres, ni les marchands. Les coupables furent une poignée d’espèces végétales, dont le blé, le riz et les pommes de terre. Ce sont ces plantes qui domestiquèrent l’Homo sapiens, plutôt que l’inverse »

Sans l’agriculture, nous serions restés des chasseurs-cueilleurs, nous n’aurions pas bâti les pyramides. Mais nous n’aurions pas connu les famines, ni les guerres, ni la monotonie du travail. Nous n’aurions pas dépassé le stade du singe.

De la même manière, l’intelligence artificielle nous fait passer à un nouvel échelon. Nous n’avons sans doute pas le choix.

Ok.

Mais n’oublions pas le regard faussement servile des vaches. Au fond, qui a domestiqué qui ?

Je ne dis pas qu’il faut arrêter tout ça et troquer les incubateurs frenchtech contre des fermes de permaculture. Mais on pourrait peut-être juste se poser deux minutes et y réfléchir.

Si vous décidez d’aller faire un tour à Vivatech ce week-end, vous serez accueillis par des robots. Mais vous verrez aussi des hôtesses et des hôtes humains. Ils portent des t-shirts “I’m not a bot.”

Et en dessous : “#peoplematter”.

Comme un début de prise de conscience.

(Merci à Ariel Kyrou, Arthur de Grave et Vincent Edin pour l’inspiration)

Ce billet est le septième épisode d’une série sur le projet «Flint», où je partage mon expérience et mes réflexions en tant qu’éleveur de robots.

Vous pouvez retrouver mes autres billets sur le sujet ici :

Épisode 1 (l’histoire du projet) : «Nos robots et nou

Épisode 2 (la fabrication du premier robot) : «Comment nous avons créé et éduqué Jeff, le robot média qui parle des médias»

Épisode 3 : “Le jour où les robots nous détruiront (ou pas)

Épisode 4: “Pourriez-vous tomber amoureux d’un robot?

Épisode 5: “Comment nous avons créé le Darkbot, le méchant robot qui explore le côté obscur de l’info

Épisode 6: “Elle apprend son métier à un robot pour qu’il puisse la remplacer”

Vous pouvez vous abonner à Flint ici.

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Benoit Raphael
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AI & Media innovator. Entrepreneur. Creator of Le Lab (Europe 1) , Le Plus (l’Obs), Le Post (Le Monde). Chief Robot Officer at Flint.