Design circulaire

Maximiser la valeur des conceptions en pensant circulaire

éléonore sas
La Boussole des designers
9 min readMay 10, 2021

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En 5 secondes, kézako ?

  • Courant de pensée du design qui s’appuie sur l’idée de passer d’une économie linéaire à une économie circulaire
  • Le design circulaire propose une solution aux enjeux écologiques sans changer de paradigme
  • L’objectif est triple : éliminer les déchets et la pollution ; maintenir les produits et matériaux utilisés en état d’usage ; régénérer les systèmes naturels

L’économie circulaire

Passer du linéaire au circulaire

Notre système économique actuel est linéaire. De cette façon, les produits conçus passent par trois phases : fabriquer, utiliser, jeter. Pourtant nous dépendons entièrement de ressources finies. Les jeter en fin de cycle est donc particulièrement dommageable, d’autant plus que cela génère de la pollution.

Le Cradle to Cradle (C2C), pensé par William McDonough et Michael Braungart, puis le Ellen MacArthur Foundation, créé en 2010, proposent alors de passer de cette économie linéaire (qui génère des déchets) à une économie circulaire. Cette théorie s’inscrit dans la lignée de nombreux autres courants de pensée (économie de la performance, biomimétisme, écologie industrielle, Design régénératif, économie bleue…)

“We must transform all the elements of the take-make-waste system: how we manage resources, how we make and use products, and what we do with the materials afterwards. Only then can we create a thriving economy that can benefit everyone within the limits of our planet.” Ellen MacArthur Foundation

Les principes de l’économie circulaire

L’économie circulaire repose sur trois principes fondamentaux :

  • Éliminer les déchets et la pollution
  • Maintenir les produits et matériaux utilisés en état d’usage
  • Régénérer les systèmes naturels (au-delà de ne plus être dommageables pour eux)

Diagramme du système de l’économie circulaire

L’économie circulaire est souvent représentée via le diagramme ci-dessous, aussi nommé “butterfly diagram”.

Circular economy systems diagram, par le Ellen MacArthur Foundation

Ce dernier se compose de deux cycles (repris de la théorie du C2C) :

  • En vert, les matériaux biologiques (qui peuvent re-rentrer dans le monde naturel sans problème, et donc être “consommés”)
  • En bleu, les matériaux techniques (qui doivent rester et maintenir leur valeur dans système, et donc être “utilisés”)

Le design circulaire

Le design, compris comme création avec une intention, a un rôle particulièrement important concernant le passage à l’économie circulaire. En effet, il faut tout re-penser, notamment pour correspondre au premier principe (éliminer les déchets et la pollution).

“Le design occupe une place prépondérante au cœur de l’économie circulaire. Elle nous oblige à tout repenser : les produits, les modèles commerciaux, les villes et les systèmes linéaires qui ont perduré au cours des siècles passés.” — traduit du Ellen MacArthur Foundation

Méthodologie globale

Le processus méthodologique proposé est fortement inspiré du “design thinking” et du design centré humain. Il se compose de 4 phases itératives :

  • Comprendre (apprendre à connaître l’utilisateur et le système)
  • Définir (mettre des mots sur le défi de la conception et sur l’intention du designer)
  • Faire (imaginer, concevoir et prototyper de façon itérative)
  • Lancer (lancer la conception dans la nature et construire son récit)

Le designer doit alors passer son temps à naviguer entre deux échelles : un niveau systémique et un niveau plus concret.

“[…] balance user needs with systems awareness” — Ellen MacArthur Foundation

L’approche systémique est importante pour penser le produit dans son système avec des relations externes dont certaines sont intouchables, d’autres peuvent être modifiées et d’autres peuvent être influencées.

Le Circular Design Guide

Site du Circular Design Guide

Ce guide résulte d’un partenariat entre la Ellen MacArthur Foundation et IDEO, “to help innovators create more elegant, effective, creative solutions for the circular economy. Solutions that are invaluable for people, give businesses a competitive advantage, and are regenerative for our world” .

Y sont proposés 28 outils, rangés selon les 4 grandes phases, afin de permettre aux designers de tester des outils et entrer petit à petit dans cette nouvelle façon de penser. Sur ce même site, on retrouve des exercices d’application pour s’entraîner.

Principales stratégies et exemples

Chaque projet est unique mais 6 stratégies apparaissent régulièrement en design circulaire :

  1. Concevoir pour les boucles internes
  2. Passer du produit au service
  3. Prolonger les durées de vie
  4. Choisir des matériaux sains et circulaires
  5. Dématérialiser
  6. Modulariser

Les voici plus en détail et illustrées avec des exemples :

1. Concevoir pour les boucles internes

Prioriser les boucles des matériaux techniques les plus internes du diagramme du système d’économie circulaire (réparation, réutilisation, partage…) plutôt qu’au recyclage (qui perd le plus de valeur), par exemple. De cette façon, plus la boucle est proche du centre, moins on perd de valeur. En design, il s’agit donc de le prévoir dès la conception.

Un exemple célèbre est celui de la marque de vêtement Patagonia. Celle-ci a développé un modèle éthique basé sur des produits de haute qualité et de longue durée (contre la “fast fashion”). De plus, elle propose un programme de réparation et de réutilisation (boucles internes du diagramme). Par ailleurs, la plupart des matériaux utilisés sont fabriqués à partir de tissus recyclés, comme le polyester, le nylon et la laine (boucle externe). Enfin, Patagonia prône la transparence de la marque en informant ses consommateurs sur la fabrication des vêtements et en allant même jusqu’à les encourager à acheter moins de vêtements neufs.

Publicité de Patagonia

2. Passer du produit au service

Il s’agit principalement de questionner l’importance de la propriété privée. En effet, avons nous forcément besoin de posséder en permanence la chose où simplement d’y avoir accès au moment désiré ? L’objet peut alors être utilisé au juste nécessaire puis rendu au fournisseur de services ou transmis à un nouvel utilisateur. Ce principe se développe de plus en plus, notamment via la location, l’abonnement, le partage ou le “leasing”.

On peut citer l’exemple de la marque Petit nomade, qui propose de louer des vêtements d’enfants pour une durée allant de 4 jours à 1 mois, plutôt que de les acheter alors que les enfants changent très vite de taille. La box dans laquelle arrive la commande permet de la renvoyer avec une étiquette de retour prépayée. Les tâches et autres dégradations des vêtements sont pris en charge par l’entreprise à travers leur assurance et leur pressing écologique.

Publicité Facebook du Petit Nomade

3. Prolonger les durées de vie

En utilisant le produit le plus longtemps possible, on maximise sa valeur. Pour ce faire, il faut prendre en compte la durabilité à la fois physique et émotionnelle (par exemple : les effets de mode). Une autre stratégie consiste à trouver un moyen de concevoir des produits qui s’adaptent à l’évolution des besoins de l’utilisateur au fil du temps. En allant jusqu’au surcyclage (ou upcycling), la réutilisation, la réparation et/ou le détournement d’usage peut donner encore plus de valeur à l’objet.

L’art traditionnel japonais du Kintsugi consiste ainsi à “réparer un objet en soulignant ses lignes de failles avec de la véritable poudre d’or, au lieu de chercher à les masquer”. La vaisselle recollée de cette façon prend alors davantage de valeur, de par la noblesse de la “colle” utilisée, ainsi que la richesse de son expérience mise en avant positivement (plutôt que comme une vulnérabilité). Ce dernier point ressemble fortement à l’éthique du design with Care, dont nous avons parlé dans un précédent article.

Film d’animation de la fondation Younique, qui soutient les femmes victimes d’abus et propose ici une métaphore à travers l’art du kintsugi

4. Choisir des matériaux sains et circulaires

Tous les matériaux ne sont pas adaptés à une économie circulaire. Certains peuvent contenir des produits chimiques dangereux pour l’Homme ou l’environnement. Parfois, les temporalités de certains matériaux et les nôtres peuvent entrer tellement en contradiction qu’elles sont irréconciliables (par exemple : les déchets nucléaires). Enfin, il est recommandé de toujours prêter attention aux coûts de production / environnementaux des matériaux inventés et/ou utilisés comme solutions de substitution.

Le Circular Design Guide propose une série de méthodes et d’outils pour aider les concepteurs à faire des choix de matériaux sûrs et circulaires.

Ici, on peut prendre l’exemple du packaging Ooho qui réduit le contenant de l’eau à son minimum et le rend consommable. Cet emballage fabriqué à partir d’algues peut contenir de l’eau, des boissons gazeuses, des sauces ou même de l’alcool. Il se dégrade naturellement en 4 à 6 semaines naturellement s’il n’est pas mangé.

Bouteilles Ooho

5. Dématérialiser

Optimiser l’utilité des matériaux employés peut passer par une dématérialisation. Cela passe parfois par une virtualisation de l’offre. Dans ce cas, il faut néanmoins se méfier du déplacement des coûts (ou externalités négatives) car la virtualisation peut revenir très cher ! Autrement, il est également possible de dématérialiser en concevant un produit ou service de manière à ce que sa création ne nécessite qu’une quantité minimale de matériel physique.

Par exemple, Miwa est une entreprise qui a radicalement dématérialisé ses matériaux d’emballage, en utilisant des conteneurs durables et réutilisables plutôt que des emballages à usage unique. De plus, elle relie le plus directement possible le producteur au consommateur, limitant ainsi le nombre d’intermédiaires. Cette approche permet également aux consommateurs de choisir la quantité exacte qu’ils souhaitent, évitant ainsi les déchets alimentaires qui surviennent lorsque les proportions standards ne conviennent pas aux besoins.

Modèle de réutilisation par Miwa
Installation Miwa, à Prague

6. Modulariser

La conception modulaire facilite la réparation et la mise à niveau des produits. Il s’agit alors de rendre possible le retrait et l’ajout d’éléments avec le moins d’efforts, de dégâts et de coûts possibles. De plus, cette flexibilité permet de s’adapter davantage aux variations de besoins et envies des utilisateurs, rejoignant ainsi le point 3 “prolonger les durées de vie”.

Le célèbre cas du Fairphone illustre parfaitement ce point. Outre l’éthique de cette marque, la conception modulaire de ses téléphones permet de remplacer rapidement et à moindre coût les pièces endommagées. Elle permet également de récupérer (et réutiliser) autant que possible les composants électroniques, dont les matériaux sont particulièrement rares et coûteux en production.

Pièces modulaires du Fairphone 2

Conclusion / réflexions

Le design circulaire semble assez connu en France, y compris par des non-designers. Par exemple, l’analyse du produit qu’il requière se rapproche beaucoup de l’analyse de cycle de vie (ACV), qui est souvent étudiée par les ingénieurs. De même, afin d’appréhender la circularité, un regard systémique est nécessaire dans la plupart des cas. De ce fait, le design circulaire utilise aussi du design systémique.

Par ailleurs, l’économie circulaire propose de changer de modèle en passant du linéaire au circulaire. Pourtant, cette idée ne semble pas avoir la volonté de changer le paradigme actuel. Il semble donc s’agir surtout d’une nouvelle façon d’innover (tout en gardant des termes spécifiques à notre cosmologie actuelle, tels que : “ressources”, “capital”, “valeur”…). Mais de ce fait, cela rend son applicabilité plus aisée dans les entreprises basées sur le modèle capitaliste contemporain.

Enfin, il faut garder en tête que l’installation d’un système circulaire venant “se brancher” sur la sortie d’externalités négatives d’un autre système va solidifier ce dernier. Ainsi par exemple, trouver une réutilisation aux déchets nucléaires entraînerait sûrement une consolidation du modèle nucléaire lui-même, qui ne rejetterait alors plus de déchets inutilisables.

Aller plus loin

Après le recyclage, voir la notion de “surcyclage”/”upcycling” proposée également par McDonough et Braungart après le C2C pour créer de la valeur ajoutée lors de la réutilisation de ce qui était avant considéré comme des “déchets”

Principales sources

Autres références de l’article

Nos fiches synthétiques ont pour objectif d’ouvrir le débat. N’hésitez pas à laisser vos remarques, compléments, corrections, idées, etc. en commentaire !

Vous pouvez également nous contacter : boussoledesdesigners@gmail.com

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éléonore sas
La Boussole des designers

UX designer et doctorante en géographie (La Rochelle Université-CNRS), je cherche à déconstruire/changer le rapport humain-nature occidental via un jeu sérieux.