Les femmes fortes n’existent pas

Aline Mayard
La Funny Feminist
Published in
4 min readNov 19, 2018

« Vous savez, il n’y a pas de personnes fortes et de personnes faibles. Nous sommes tous forts à certains moments et faibles à d’autres. » Mon médecin généraliste est sage. En entendant ses mots, qui n’ont pourtant rien d’extraordinaire, je sens un poids s’envoler.

Depuis aussi longtemps que je me rappelle, j’ai joué « au dur ». Il me fallait prouver au monde entier que je n’étais pas une fillette, que j’étais aussi forte qu’un garçon, que je ne pleurais pas, que je savais me battre, que je n’avais pas peur d’aller au snowpark, que je savais tenir tête. Cette obsession à être une « femme forte », qui m’avait permis de survivre l’adolescence, commençait à me peser. Vers mes 25 ans, j’ai décidé d’arrêter de jouer à la dure, de commencer à accepter mes faiblesses, à écouter mes sentiments et sentir mon corps. Mais parfois ce refus d’être faible revient me hanter, tel un boomerang qui serait aussi un fantôme.

Les femmes voyez-vous sont soit faibles, soit fortes. Il n’y a pas d’entre deux, en tout cas pas dans les films et dans les médias. Les femmes faibles, ce sont les femmes ordinaires, celles qui nous entourent mais qu’on ne regarde pas, celles qui vivent des vies normales, celles qui ont des sentiments et en parlent, celles qui vivent la vie que la société leur a suggérée.

Les femmes fortes, à l’inverse, débordent de qualités masculines, elles ne pleurent pas, sont agressives, taisent leurs émotions, ne perdent pas de temps à se maquiller (mais sont toujours magnifiques) et vivent la vie qu’elles souhaitent, pas celle qu’on leur a imposé. Ce sont celles qui ont osé faire de la politique, celles qui sauvent le monde dans les films de Besson, celles qui travaillent 60h par semaine, bref, celles qui vivent avec la même liberté que les hommes.

Quand j’étais gamine dans les 90s, je rêvais d’être cette femme 👆 en power suit qui est trop busy et puissante pour qu’on l’embête

Au cinéma, on parle de « strong female leads » à chaque fois que le personnage principal est une femme, pour bien signifier que le personnage principal est peut-être une femme mais qu’elle n’est pas trop une femme. Les femmes fortes sont donc des exceptions, des femmes aux vies tellement masculines que même les hommes peuvent les trouver intéressantes. Pas comme les autres là, celles de Sex & the City, qui ne font que parler de leurs vies, leurs maquillages et leurs mecs. Beurk. La femme forte existe par opposition aux femmes normales, qui, elles, sont infiniment faibles.

Parfois, la femme forte est une mère de famille, une Erin Brokovitch, une Alicia Florrick qui se bat bec et ongles pour sauver ses enfants. Elle n’a généralement pas de mari ou alors il est une cause perdue, sinon bien sûr ce serait lui qui s’en occuperait. C’est la mère qui se sacrifie par définition. Celle qui enchaîne les jobs pour permettre une meilleure vie à ses rejetons. Elle n’a pas le temps d’avoir un coup de mou, elle se bat. Elle est parfaite. Normal, ce n’est pas une femme, c’est une mère.

Derrière chaque femme forte, il y a une fille faible — euh, normale

La femme normale, elle, n’est pas forte, elle ne mérite pas votre respect, votre temps ou votre intérêt. Pauvre chatoune, elle ne sert pas à grand-chose. Elle a choisi — volontairement, cela va de soi — de suivre la route de la facilité : de ne pas parler fort, d’être gentille, de vouloir une famille, de ne pas se faire remarquer, en un mot de faire ce qu’on l’a conditionnée à faire.

En revanche, l’homme est fort par défaut. Vous ne trouverez pas de catégorie « strong male leads », juste des « male leads ». L’homme moyen s’impose, il dit ce qu’il veut, n’est pas encombré par ses sentiments, donne des ordres et s’énerve s’il n’est pas content. L’homme est visible. Bien sûr ce modèle de l’homme fort pose problème, il conduit les hommes à s’endurcir et à se nier — oh hi masculinité toxique — , mais c’est une autre histoire. Revenons aux femmes.

Nous sommes amenées à croire qu’une femme ne peut être que a- gentille, respectant le modèle donc faible b- forte. Si nous ne voulons pas être une femme faible, nous devons être parfaites, sans jamais un moment de mou ou de doute. Tough it up ! Vive l’empowerment ! Ne montre pas tes larmes, ne sois pas trop féminine. Mais Katniss Everdeen aussi doit bien avoir ses faiblesses ?

C’est le soleil dans les yeux ou elle est émue ?

On m’a dit que j’étais forte parce que j’avais continué de faire mon boulot alors qu’une cliente me harcelait — comme si j’avais le choix — , on m’a dit que j’étais forte parce que j’avais osé partir — comme si j’avais le choix. C’est bien gentil mais qu’étais-je alors quand j’arrivais au boulot avec la boule au ventre et la larme à l’oeil, quand j’étais au lit en pleine journée pendant mon arrêt maladie ? Est-ce que je valais encore quelque chose ?

Il ne faut pas saluer les femmes fortes, il faut saluer toutes les femmes !

Saluer leurs moments de force, leurs décisions courageuses, leurs sauts dans le vide, leurs sacrifices, leurs refus de sacrifice, leurs choix d’être heureuses, leur persistance à vivre les vies dont elles ont envie, bref toutes ces actions qui nécessitent de mettre de côté sa peur. Mais surtout, il faut saluer leurs moments de « faiblesse », quand elles restent sous la couette, quand elles pleurent, quand elles choisissent l’option la plus facile, quand elles baissent les bras, quand elles pètent un câble, quand elles font demi-tour.

La femme forte n’existe pas, car chaque femme est, à sa façon, forte et faible en même temps.

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Aline Mayard
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