On ne naît pas créatif, on le devient !

Jules Zimmermann
Le Labo des Idées
Published in
8 min readJan 29, 2020

Sommes-nous tous créatifs ?

Lorsque l’on me demande ce que je fais dans la vie et que je réponds que je travaille sur la créativité, j’ai souvent le droit à de nombreuses interrogations. Mais la question que l’on me pose le plus est sans doute : “Sommes-nous tous créatifs ?”.
Cette question retient mon attention car elle traduit une vision particulière, et très répandue, de la créativité. En effet, se demander si nous sommes tous créatifs, c’est supposer qu’il existe deux catégories distinctes, les créatifs et les non-créatifs. On ne pourrait pas être « un peu créatif » ou « moyennement créatif » : on est créatif ou on ne l’est pas.

Cette vision binaire de la créativité est aujourd’hui omniprésente. En lisant sur le sujet, dans des magazines ou sur internet, on peut identifier deux principaux discours :

  • Un premier discours vous dira que la créativité est réservée à quelques individus hors normes. Une forme rare de génie, celle des grands artistes et inventeurs. Cette vision, qui a longtemps dominé notre imaginaire collectif, nous conduit à penser que ce « talent » est hors de notre portée et donc finalement à abandonner tout effort de créativité.
  • Un second discours vous dira, au contraire, que nous sommes tous très créatifs sans le savoir. Cette vision plus récente, notamment présente dans le développement personnel, suppose que nous avons tous un grand potentiel qui sommeille en nous. L’enjeu serait alors de libérer notre créativité pour voir jaillir des idées géniales. Mais ce discours, seul, peut vite sonner creux. Affirmer à quelqu’un qu’il est créatif ne lui donne pas magiquement le pouvoir d’avoir de bonnes idées. Proclamer que nous sommes tous déjà très créatifs c’est nier l’importance d’un apprentissage et de travail pour le devenir.

Dans cet article, j’aimerais vous inviter à dépasser cette vision binaire incarnée par ces deux discours. Ceux qui me connaissent, ou qui ont l’habitude de me lire, connaissent mon point de vue : la créativité n’est pas un talent inné, ou un potentiel à libérer, mais une compétence qui se travaille avec le temps, avec l’apprentissage et les efforts.
Sommes-nous tous créatifs ? Oui, mais à des niveaux différents. Et surtout, nous pouvons tous apprendre à développer notre créativité.

Nous faisons tous preuve de créativité au quotidien

Une des raisons pour lesquelles de nombreuses personnes se sentent exclue de la créativité, c’est que l’on a longtemps cloisonné cette notion. Tout d’abord, en la réduisant aux domaines dits « créatifs » : l’art, la science, l’innovation… Ensuite, en la limitant seulement aux idées spectaculaires.

Je vous propose alors de commencer par définir la créativité de façon plus universelle, plus ordinaire :

La créativité se définit en psychologie comme la capacité à trouver des solutions à la fois nouvelles et utiles (Référence : Psychologie de la créativité de Todd Lubart). Nous en faisons usage dès que les solutions habituelles ne fonctionnent pas ou ne nous conviennent pas. Il suffit alors d’observer notre vie quotidienne, qui est pleine de petits défis, de petits imprévus. Sans créativité, nous serions bloqués, démunis, face à la moindre situation inédite. Faire preuve d’adaptation, improviser, c’est déjà de la créativité.

Les exemples du quotidien ne manquent pas ! Vous faites preuve de créativité quand vous devez réorganiser votre appartement pour une soirée où il y a trop d’invités, quand vous devez faire à manger avec les restes de votre frigo, quand vous voulez souhaitez surprendre votre conjoint ou même quand vous devez trouver un cadeau à un ami qui vous a pourtant bien dit « qu’il n’avait besoin de rien ».

Chaque fois qu’il s’agit d’explorer des solutions inédites, de les concevoir par vous-même, et d’en sélectionner les plus pertinentes, on peut parler de créativité.

Se catégoriser “non-créatif” c’est abandonner tout effort

Avec ces exemples, nous voyons que la créativité fait déjà partie de notre quotidien, personnel comme professionnel. Mais cela n’implique pas pour autant que nous soyons tous aussi créatifs les uns que les autres.
Vous avez peut-être déjà constaté que l’un de vos collègues était plus à l’aise que vous face à l’inattendu et exprimait plus souvent des idées originales. Devons-nous pour autant catégoriser ce collègue de « créatif » et nous-même de « non-créatif » ? Ce serait s’exclure de toute possibilité créative et abandonner tout effort.

On observe le même phénomène dans d’autres domaines. Par exemple, de nombreuses personnes rencontrent très jeunes des difficultés en mathématiques. Elles se convainquent alors qu’elles ne sont « pas faites pour les maths » et, plutôt que de travailler, se résignent à avoir de mauvais résultats. Tout peut alors commencer par un professeur, qui n’a pas su nous donner confiance.

Ne pas se mettre dans une case est toujours préférable quand on veut développer une compétence, ce serait se priver de la possibilité d’apprendre à développer sa créativité !

Faire preuve de créativité, ça s’apprend !

Lorsque l’on connait quelqu’un qui a souvent de bonnes idées, il est très tentant de croire que ces idées lui viennent sans effort. Que cet ami a du talent, de la chance, et que l’on ne peut pas rien y faire.

Je suis convaincu, au contraire, que la créativité dépend avant tout de son expérience, de son apprentissage. Trouver des idées nécessite d’emprunter les bons chemins de pensée, d’avoir les bons réflexes. Notre cerveau ne nous rend pas la tâche facile en nous tendant des pièges qu’il faut déjouer. C’est alors l’expérience, la compréhension du fonctionnement de sa pensée, et la maîtrise de techniques simples, qui feront la différence.

Par exemple, donnez à quelqu’un qui a l’habitude de chercher des idées le défi suivant : « inventer le parapluie du futur ». Il est très probable qu’il reformule votre défi en vous proposant d’inventer « dispositif qui permet de ne pas se mouiller du futur ». Ce simple réflexe (revenir à la fonction) va éviter que le mot parapluie ne fixe sa pensée sur la forme habituelle de l’objet.

J’ai pu observer, lors des formations que je donne en entreprise, qu’une simple journée suffit à laisser des effets visibles. Les participants s’approprient les démarches, développent de nouveaux modes de pensée, et sont de plus en plus à l’aise dans la recherche d’idées. Et dans les enseignements que je donne en université, sur plusieurs mois, les effets sont encore plus importants d’un cours à un autre.

Comment enseigner la créativité ?

Une fois que l’on a dit que “la créativité ça s’apprend” on se confronte à un nouvel obstacle : comment ?

En effet, la créativité s’incarne aujourd’hui dans les entreprises principalement par des ateliers post-its très ponctuels. Or, on peut participer à de nombreux ateliers et ne pas avoir le sentiment pour autant d’être devenu plus créatifs en dehors de ces ateliers.
Lors d’un atelier, le participant va être amené ponctuellement à faire preuve de créativité. Mais la démarche, guidée par le facilitateur (l’animateur de l’atelier), est opaque pour le participant. Faute d’avoir pu comprendre les rouages méthodologiques, le participant n’apprend pas vraiment, dans le sens où, seul, il ne sera pas capable d’employer par lui-même la démarche.

Si on veut permettre aux individus de faire preuve de créativité en autonomie au quotidien, il faut aller au-delà de l’organisation d’ateliers : il faut en penser une approche pédagogique dédiée !

De plus en plus de personnes travaillent sur cette question. On peut citer en France, certains groupes comme Crea Université qui proposent des formations depuis des années. Ou encore Le Monde qui consacre depuis 3 ans une partie de ses conférences 021 (dédiées à l’orientation des jeunes) à la question « la créativité, ça s’apprend ? ».

À Montréal, on peut citer l’exemple de HEC Montréal qui a créé une école d’été multi-disciplinaire dédiée à la créativité (à destination des professionnels) ou encore de Factry, une école entièrement dédiée au sujet.

De mon côté, je développe ma propre approche pédagogique que j’ai pu concrétiser par la création en 2018 de deux cours dédiés à la créativité pour La Sorbonne et Chimie Paris-Tech. J’ai également pu l’appliquer à la formation professionnelle avec la création de programmes réguliers avec plusieurs acteurs de la formation : l’IFCAM, thecamp, l’Institut Français de la Mode, Sciences Po Executive, Engage University…

Première rencontre avec les étudiants de laSorbonne en 2017

La principale leçon que je retire de ces expériences est la nécessité de bien articuler la théorie (compréhension) et la pratique (action).
Faute de pratique, la théorie sonne creux. Elle ne crée aucun écho. C’est par la pratique que l’on éprouve, que l’on expérimente et que l’on apprend par essai-erreur.
Mais faute de théorie, la pratique stagne et reste opaque. On a du mal à mettre du sens et des mots sur ce que l’on a fait et donc à y porter un regard critique. La théorie fournit de précieuses clés de lecture qui deviennent des repères, des boussoles, dans notre cheminement créatif.

Une première façon de le faire est d’intégrer dans les moments pratique de créativité, comme les ateliers ou les hackathons, un temps de réflexivité plus théorique.
Par exemple, j’ai récemment organisé avec le programme Matrice un hackathon de 2 jours pour une entreprise de conseil. À cette occasion j’ai pu travailler avec Magali Roumy Akue, doctorante et enseignante en design. Pendant le hackathon, nous avons guidé les participants avec nos méthodes, sans leur expliquer les rouages méthodologiques employés. Mais, à la fin du week-end, nous avons dédié un moment pour retracer les deux jours, étapes par étapes, et expliquer les méthodes employées. Grâce à cette prise de recul, chacun a pu conserver un meilleur apprentissage de cette expérience. Cette façon de procéder a été particulièrement saluée par les participants eux-mêmes.

De la même façon, dans toutes mes formations, j’alterne en permanence entre théorie et pratique.
Pour la théorie, je m’appuie sur les sciences cognitives, qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement de notre pensée. C’est ce que l’on appelle, la métacognition : la capacité de penser à sa pensée, pour en faire un meilleur usage.
Pour la pratique, nous abordons des exercices et des outils destinés à ouvrir les participants à de nouvelles façons de penser et de travailler.

Alors sommes-nous tous créatifs ?

Ce n’est finalement peut-être pas la bonne question à se poser. Nous sommes tous capables de créativité, cela ne fait aucun doute. Mais surtout, nous pouvons développer notre créativité avec de la pratique, des efforts et des formations dédiées.

La prochaine fois que l’on vous demande si vous êtes créatif, vous pourrez répondre « j’y travaille », car c’est peut-être là que se trouve le véritable « secret » de la créativité.

Cet article a été initialement publié (à ce lien) pour le blog de l’IFCAM, Université du groupe Crédit Agricole et modifié pour cette seconde publication.

À propos de l’auteur : Je m’appelle Jules Zimmermann, et je suis formateur, conférencier et enseignant en créativité. Initialement diplômé de sciences cognitives à l’ENS, mon travail est aujourd’hui de croiser sciences et méthodes pour penser un véritable enseignement de la créativité. J’interviens dans des lieux d’innovation comme thecamp, dans des universités comme la Sorbonne, ou encore directement pour des organisations.

À propos de ce blog : Cet article fait partie du “Le Labo des Idées”, dédié à une prise de hauteur scientifique et méthodologique sur la créativité. Dans ce blog, je partage avec vous mes réflexions et pérégrinations sur le sujet, alimentées à la fois par mes lectures et par mes expériences en tant qu’intervenant.

Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le partager :) Ça m’aidera beaucoup !

--

--

Jules Zimmermann
Le Labo des Idées

Je parle et j’écris sur le processus créatif, la gestion des connaissances et les méthodes de travail. Je fais aussi du game design.