AURÈLE LOST DOG

DOGGY STYLE

Jean-Fabien
LE18BIS

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À l’occasion de la sortie de sa monographie aux Éditions “La Différence”, Le 18Bis a invité Aurèle Lost Dog à se saisir de l’espace de la galerie entre le 27 et le 30 octobre prochains. “Stranger in the Night” mettra en scène plusieurs de ses désormais célèbres Lost Dogs. Nous avons donc profité de son passage boulevard Voltaire pour discuter librement de cette monographie, de ses 30 ans de carrière et de ses colères toujours intactes.

Le 18Bis : Qu’est-ce que la publication d’un tel ouvrage “fixe” et qu’est-ce que ça libère aussi ?
Aurèle Lost Dog : Cet objet fixe 30 ans de travail, définitivement. Ce n’est pas un catalogue raisonné c’est une monographie, il y a donc à peu près toutes les séries que j’ai réalisé depuis que je travaille, je leur ai consacré à peu près trois pages à chaque fois. Ça libère donc tout ce qui a pu être fait auparavant. Cela m’a également permis de faire la rencontre des critiques Georges Sebbag et Cynthia Fleury qui ont écris sur mon travail. C’est surtout un énorme pavé qui permettra d’aller trouver des galeries, dans l’optique de me représenter de façon ferme et définitive. Une monographie c’est un outil très professionnel même si c’est aussi quelque chose que j’ai réalisé en pensant à mes collectionneurs.

Ceux qui possèdent un Lost Dog dans leur collection vont la recevoir. La monographie des éditions de “La Différence” est en français et en anglais et doit également me permettre de mieux toucher le marché anglo-saxon, dans la mesure où je suis surtout présent en Europe et en Asie.

ENTRE ARMAN ET ZAO WOU-KI

Entre le moment où on l’a signée et le moment ou elle est sortie, 5 ans seront passés. Il y a eu onze versions différentes pour arriver à l’actuelle. On a également un peu manqué de chance puisque Jean-Louis Pradel qui devait écrire le texte a été emporté par un cancer foudroyant, la galerie de Shanghaï qui devait en assumer une partie des coûts de production à fermé ses portes. Il nous a donc fallu retrouver de nouveaux partenaires, ce qui a pris du temps. Donc, là, c’est un vrai bonheur. L’idée est désormais de profiter de l’année qui vient pour diffuser l’œuvre, organiser des signatures et en entrant dans une certaine institution de rassurer l’acquéreur potentiel puisque je me trouve entre Arman et Zao Wou-Ki. Du point de vue de mon travail, les mêmes valeurs que je défendais il y a trente ans n’ont pas changé aujourd’hui.

Il y a trente ans je traitais des SDF, du Sida. J’étais sans doutes un peu moins axé sur le développement durable et sur l’écologie; c’est venu au fil des années. Mais disons que ce chien perdu est à appréhender comme une métaphore de notre propre existence. Le Lost Dog c’est toi, c’est moi et ce sont surtout les générations futures. Le Lost Dog voudrait laisser une planète pour les jeunes générations qui soit un peu moins pourrie que celle que l’on connaît actuellement tout en essayant de faire en sorte que le Sida ne soit pas une maladie honteuse ou homosexuelle. Sans oublier le scandale des SDF qui continuent de dormir sur des cartons.

PLUSIEURS GRILLES DE LECTURE

C’était le début de ce travail de chien perdu puisque dans l’affiche originelle il y avait l’argent, omniprésent, le dollar, le reward, le friendly, le wanted. C’est à ce moment là, à New York sous l’administration Reagan, que les premiers Golden boys qui venaient de se faire virer sont apparus dans les rues. Pour la première fois des Golden Boys dormaient sur des cartons à Washington Square. Je me suis dit “on donne 100 dollars pour retrouver ce chien mais on ne filerait pas 10 dollars pour aider un mec perdu, en train de dormir dans la rue”. Cette dimension existe toujours dans mon œuvre. D’ailleurs, ma monographie démontre bien que je n’ai eu aucune rupture entre les différentes étapes de mon parcours.

Je continue de travailler sur le billet de banque, sur l’or, sur le chien perdu, sur la culture pop évidemment. Mon travail offre toujours plusieurs grilles de lectures : un mec qui n’y connaît rien peut trouver la pièce belle et un mec s’y connaissant très bien en art contemporain peut rigoler pendant un moment parce que j’ai piqué à droite, j’ai piqué à gauche; il y a parfois trois ou quatre artistes qui composent en fait une de mes œuvres. Donc si tu as les références pour lire la grille, tu vas te marrer car ce ne sont que des clins d’œil. Cela passe par le collage, la citation, le détournement et surtout par cette idée fixe de donner du sens.

DONNER DU SENS

Ce qui m’importe dans mon travail c’est la notion de sens. Je me fous du chien, du Lost Dog. Ce qui m’importe vraiment c’est qu’il soit perdu. Et de quelle façon je peux l’associer à ce que l’on vit tous en tant qu’être humains. J’ai tout récemment reçu une vidéo, sans un mot d’accompagnement, pour m’informer de la situation catastrophique des droits de l’Homme au Vénézuela. Je lis la vidéo et je vois des mecs en train de se faire taper, n’ayant plus rien à manger, alors que le Vénézuela est un pays très riche et aussi très corrompu. Je reçois ces infos qui rebondissent dans mon esprit, pour parfois devenir une pièce et cette vidéo reçue ce matin me fait forcement cogiter.

Le 18Bis : Quels sont tes rapports avec Le 18Bis ?
Aurèle Lost Dog : Il y a des causes auxquelles je m’attache et lorsque Gildas Gentil est venu me voir pour m’annoncer qu’il voulais transformer une agence bancaire du Crédit Lyonnais en espace d’art contemporain en plein cœur d’Oberkampf, l’idée d’investir une banque de manière totalement illégale, dans un premier temps, pour parvenir à en faire un centre d’art ouvert aux expressions diverses et multiples m’a terriblement plu. Car auparavant, et cela a très nettement changé, les artistes composaient une forme de grande famille. Alors qu’ on a quand même désormais affaire à une bande de mecs qui auraient pu faire autre chose que de l’art: de la publicité ou m’importe quel autre truc. Ces gens ont des égos démesurés qui ne leur permettent pas d’échanger avec les autres. Ils estiment dire la Vérité, que seul leur truc l’exprime. Dans mon travail, j’ai toujours amené mes amis, ma famille, à participer à des événements. Donc quand Gildas m’a proposé de participer, je ne me suis pas pointé avec un seul mais avec tous mes chiens perdus ! Tous les artistes qui continuent à exposer ici sont, au départ, des gens que j’ai contribué à faire venir. Car mon idée c’est de faire le chien d’arrêt, le garde barrière, le passeur de frontières. Même si les travaux que l’on peut voir ici sont totalement différents des miens : l’œuvre de Sébastien Layral ou celle de Tristam sont assez éloignées de mes préoccupations plastiques. Mais ces artistes sont de belles personnes et ma philosophie de vie est celle là : rencontrer et pouvoir échanger avec de beaux individus. Je pense d’ailleurs que l’on gagnera parce que l’on était les plus faibles.

ON GAGNERA PARCE QU’ON ÉTAIT LES PLUS FAIBLES

Je pense que l’art peut changer le monde mais le problème, à l’heure actuelle, c’est que c’est d’abord aux artistes de changer. On est désormais confrontés à des hommes d’affaires, à des mecs qui ont les deux pieds dans le CAC40. La grosse différence entre la Renaissance et maintenant vient du fait qu’à cette époque les artistes parlaient dans l’oreille d’un prince ou d’un Pape. Grâce à cela ils pouvaient éventuellement changer la vie de tous les citoyens qui dépendaient de ce pouvoir. À l’heure actuelle il faut parler au plus grand nombre pour exister, c’est la presse qui fait chambre d’écho.

Si Damien Hirst fait un pet, le lendemain tout le monde est au courant qu’il a pété la veille. Les artistes sont surtout devenus des putes pour le Grand Capital. Murakami est vendu à Pinault, Hirst est certes vendu à lui même mais il s’est aussi beaucoup vendu par ailleurs. Jeff Koons est aussi avec Pinault. En France tout se joue entre Bernard Arnault et François Pinault. Ces deux entités font la pluie et le beau temps et décident de ton statut. Soit tu es un grand artiste soit tu n’existe pas. Mais je pense que ce système sera révisé dans les siècles qui viennent pour la simple et bonne raison c’est qu’à la fin du 19e, un artiste du nom de William Bouguereau, qui vaut péniblement aujourd’hui 30.000 € pour une très belle pièce à Drouot, était une immense star de son époque. Il était l’égal d’un Jeff Koons, d’un Murakami et d’un Damien Hirst, le tout réuni.

ÉCHANGER UN HÔTEL PARTICULIER

Quand tu lis ses mémoires, tu t’aperçois que le nombre de collectionneurs qui se mettent en liste d’attente dans l’espoir d’acquérir l’une de ses œuvres touche au délire. Il y a même à un moment un collectionneur qui se dit prêt à échanger un hôtel particulier avec son atelier attenant pour griller la file d’attente alors qu’aujourd’hui, qui connaît encore ce peintre mis à part les gens qui s’intéressent vraiment à l’art pompier ? Personne ne connaît Bouguereau. Et à la même période tu avais un mec qui s’appelait Vincent et qui faisait des tournesols… Il faut bien se dire qu’avec 50 ans de recul je me demande ce qu’il restera vraiment de l’œuvre de Jeff Koons dans 100 ans. Aura-t’elle été représentative de notre époque ? Je n’y vois rien, son œuvre ne me dit rien. Elle a pour seule fonction de trouver des fonds de placement, ce n’est pas une œuvre qui te communique un message.

UNE GUÉRILLA OUVERTE

Le 18Bis : c’est peut être parce que le social media et le mainstream ont ruiné l’idée même de contre-culture…
Aurèle Lost Dog : Il y a une contre culture, on est la contre culture ! C’est vrai ce sont souvent des actes de résistances isolés mais il y a aussi des réseaux. Nous sommes entrés dans une forme et une époque de guérilla ouverte. Bien que certaines personnes agissent de manières isolées à l’échelle mondiale elles finiront par se rencontrer autour d’un but commun qui est celui de changer l’état de la planète. C’est sans conteste l’axe le plus inquiétant à l’heure actuelle. Combien de temps allons-nous continuer de défoncer cette pauvre Terre pour faire du blé dont personne n’en voit jamais la couleur ?

J’ai commencé mon Lost Dog CO2 en 2008 pour une présentation à l’occasion de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghaï donc ça a pris deux ans. Mais j’avais déjà fait l’expérience d’un cœur végétal à Auroville. J’ai toujours essayé de fricoter dans des endroits spirituels. J’avais donc réalisé un énorme cœur en végétation à l’école des Beaux Arts d’Auroville en 1999.

Le 18Bis : Comment le Lost Dog CO2 a-t’il été interprété par les autorités chinoises ?
Aurèle Lost Dog : Le chien est le fidèle ami de l’homme : il n’y a donc aucun problème entre la Chine et le chien. C’est l’un des animaux du zodiaque chinois. Par contre, je me suis fait défoncer par les instances artistiques de la France. Il y avait le prix Marcel Duchamps qui réunit encore de bons gros capitalistes qui décident de ce qui est ou non de l’art. Et là, grosso modo, étant donné que ce chien était en végétation, il s’est fait une comparaison directe avec le Puppy de Jeff Koons. Je devenais soudain un sous traitant de l’œuvre de Koons à Bilbao. Je me suis même demandé s’ils avaient seulement lu le dossier de presse puisque philosophiquement je suis diamétralement opposé à cette œuvre composée de topiaire de luxe à petites fleurs. Mon Dog était exclusivement composé à partir de plantes dépolluantes sans fleurs. Donc, conceptuellement et philosophiquement, nous sommes dans des mondes diamétralement opposés.

LORSQUE TU NE PEUX PLUS RIEN FAIRE

Je ne creuse désormais plus que la voie de l’écologie et de la sauvegarde de la planète. Avec les “Lost Sentences” qui sont des citations que j’ai enlevées du grand réseau mondial, cet Internet où j’ai trouvé des phrases dont je me suis accaparé l’existence. C’est arrivé lors de séjours à Maison Blanche, l’asile psychiatrique de Bichat, dans lequel j’ai séjourné l’année dernière. C’est arrivé à un moment ou je voulais vraiment me pendre dans un coin, me tuer car tellement au bout du rouleau que plus rien n’avait de sens. Toute notion de combat était devenue inutile. J’ai perdu Jean Cabut au moment des attentats de Charlie Hebdo. Il était le père de Mano Solo, mon meilleur ami de jeunesse, avec qui j’ai commencé à faire de la peinture. J’étais proche de Jean, c’était le mec le plus gentil de la terre, il n’aurait jamais fait de mal à une mouche. Je passais mon temps à pleurer dans mon lit en attendant que la nuit revienne pour dormir enfin. J’ai vécu des mois terribles. Puis, dans les attentats du Bataclan, j’ai également perdu des gens.

Coup sur coup, cette année 2015 a vraiment été atroce. Je me suis donc fait hospitaliser deux fois en clinique psychiatrique de façon à pouvoir revenir au monde. Ils sont été très gentils et lorsque toi tu ne peux plus rien faire, la chimie peut encore agir.

UN CENTRE DE COMMANDEMENT EN FORME DE LOST DOG

Je continue donc le combat et mon idée est actuellement de construire des espaces d’habitation. Je voudrais que l’on puisse rentrer dans les Lost Dogs. Mon objectif est d’en faire soit des grottes, soit des immeubles. Imaginer des endroits où il soit possible de se réunir et de faire intervenir un certain nombre d’éléments issus des 4 coins de la planète. Un peu comme un centre de commandement en forme de Lost Dog. Et je les vois en Inde. C’est la suite du projet de Musée pour les générations futures sur lequel j’avais travaillé et qui aurait mis en scène tout ce que l’homme dans sa course à la modernité a détruit et est encore prêt à détruire. Évidemment les chinois n’ont pas voulu de ça pour l’exposition universelle. On a gagné le concours international mais aucun des quatre projets non chinois n’a finalement été réalisé. Il est vrai que la Chine est le grand producteur de tout ce phénomène de surconsommation mais c’est aussi, et on le sait moins, le premier investisseur dans les énergies vertes. Les chinois ont investi mille fois plus cette année que les États Unis dans ces nouvelles technologies durables.
Avec cette idée d’habitat j’essaie donc vraiment de travailler sur un endroit ou des volontés et des personnalités peuvent se réunir et œuvrer autour d’un but commun. À ce propos, j’ai récemment eu l’opportunité de rencontrer un millionnaire qui a réussi dans l’hôtellerie de luxe, ce qui va peut être me permettre de construire un premier bâtiment d’au moins 20 mètres de haut, en forme de chien perdu. Car si on veut réussir à faire quelque chose, il faut bien que toutes ces énergies un peu disparates se réunissent à un moment donné. Il va falloir trouver un endroit.

DONNER DU SENS ET CRÉER DU LIEN

Le 18Bis : Cela participe de la notion d’intelligence collective, initiée entre autre par le web 2.0 au début des années 2000…
Aurèle Lost Dog : Lorsqu’il me rencontre en 1999, Pierre Restany me dit que je créais déjà, avant l’avènement du web 2.0, un réseau de contacts, de rencontres avec les uns et avec les autres. C’était déjà créer du lien. C’est là que l’on doit être, dans cette capacité à créer du lien. Tout est parti en couilles de partout. Tout part à vau-l’eau et donc que devons nous faire si ce n’est donner du sens et créer du lien. En restant en mode Glocal • Think Global, Act Local. Je n’ai pas d’autres prétention que de faire mon boulot et de changer la vie de trois ou quatre personnes qui m’entourent. Je ne suis ni Napoléon ni Jésus Christ Le 18Bis participe d’ailleurs exactement de cette démarche. Et quand je me retrouve face à des égos insupportables vient le moment où ça ne peut plus coller.

Propos recueillis par Jean-Fabien

Le 18Bis est une galerie d’art contemporain alternative, un espace d’expérimentation ouvert aux multiples activités culturelles.
18 Bis boulevard Voltaire, 75011 Paris

Aurèle Lost Dog au 18 Bis, du 27 au 30 octobre 2016

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Jean-Fabien
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