Au-delà de l’équipe Scrum : les rôles dans l’entreprise agile (Partie 1)

Bruno Borghi
Les Cahiers Agiles
Published in
8 min readOct 4, 2017

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Ni dans le Manifeste Agile, ni dans Scrum, on ne trouve une liste claire des rôles à mettre en œuvre à l’échelle d’une entreprise agile.

Je vous propose une série de trois articles pour faire la lumière sur les rôles généralement en jeu lorsqu’une entreprise fonctionne de façon agile : dans l’équipe (Partie 1), dans l’entreprise (Partie 2), hors de l’entreprise (Partie 3).

Partie 1 : les rôles dans une équipe agile

Pour une clarification des rôles agiles

Scrum, avec ses trois rôles, se limite au périmètre de l’équipe agile d’environ dix personnes. Les principes du Manifeste Agile sont de portée générale, mais ils sont principalement formulés pour une équipe.

L’absence de compréhension partagée de l’agilité, au niveau de l’entreprise, au-delà de l’équipe, constitue un frein fréquent lors d’une transformation agile. Ce manque de clarté se traduit, par exemple, par une étonnante diversité de ce que recouvre au quotidien l’appellation “Product Owner” et par l’apparition de “Proxy Product Owners”. Ou encore par un certain mal-être des managers au cours d’une transformation agile.

J’ai constaté aussi les limites de la terminologie de Scrum, surtout dans un contexte francophone où le franglais domine. Ainsi, le terme “Owner” dans “Product Owner” et le terme “Master” dans “Scrum Master” induisent parfois des comportements de “Propriétaire” et de “Maître”. On s’éloigne sans s’en apercevoir de l’esprit agile.

Le modèle que je propose ici est applicable en priorité aux entreprises agiles “ordinaires”, les plus nombreuses, celles qui n’ont pas encore rompu tous les ponts avec l’organisation traditionnelle, mais qui cherchent à tirer parti des principes agiles, pour le bien de leurs clients et de leurs collaborateurs.

Le modèle de base : les rôles selon Scrum

Le Guide Scrum définit une Équipe Scrum (Scrum Team) comme une équipe auto-organisée, pluridisciplinaire, et constituée d’exactement trois rôles : “Product Owner”, “Scrum Master” et “Membre de l’Équipe de Réalisation” (Development Team Member).

Dans Scrum, toutes les personnes qui ne font pas partie de l’équipe Scrum sont désignées par un rôle unique indifférencié : “Partie Prenante” (Stakeholder).

Ce modèle des rôles dans l’équipe a deux points forts :

  1. il distingue rôle et compétence. Ainsi, il n’y a pas de rôle d’architecte, de testeur, d’analyste fonctionnel, de développeur. Ce ne sont pas des rôles de l’équipe agile, mais des compétences utiles à l’équipe. Une même personne cumule souvent plusieurs compétences à des niveaux plus ou moins élevés et peut avoir des activités qui font appel à ses diverses compétences.
  2. il distingue rôle et responsabilité hiérarchique. Les rôles de Product Owner et de Scrum Master ne confèrent aucune responsabilité hiérarchique vis-à-vis des membres de l’équipe. La notion de hiérarchie formelle n’existe pas au sein de l’équipe Scrum.

Le point faible du modèle Scrum est que, en se limitant à l’équipe, il est incomplet par construction. Il décrit l’équipe comme un système fermé, alors que l’équipe est en interaction avec beaucoup d’acteurs en dehors d’elle.

Au-delà de Scrum : les trois niveaux de rôles dans l’entreprise agile

Ainsi, l’équipe agile ne vit pas isolée. Elle est un composant d’une organisation plus vaste, en général une entreprise. L’entreprise ne vit pas non plus isolée. L’entreprise agile vit en interaction avec son environnement — le monde — pour maximiser la valeur produite à destination de cet environnement, et ce de façon rentable et pérenne.

L’entreprise typique n’est pas une simple juxtaposition d’équipes de réalisation autonomes. C’est un système complexe, qui comporte du marketing, des ventes, du juridique, des finances, des directeurs et des managers. L’entreprise développe des stratégies pour coordonner les efforts des différentes équipes.

Les trois rôles de l’équipe agile

Une équipe agile typique fonctionne avec trois rôles et trois seulement :

  • le Champion de la Valeur,
  • les Fabricateurs,
  • le Facilitateur.

Selon le framework de référence utilisé, ces rôles archétypes portent des noms différents. Voici la correspondance avec les rôles dans Scrum :

Le Champion de la Valeur

Piloter par la valeur signifie s’organiser pour délivrer, à tout moment, le maximum de valeur en fonction de la capacité disponible. Piloter par la valeur est le marqueur fondamental d’une équipe agile.

Dans l’équipe agile, le “Champion de la Valeur” (alias le Product Owner) est responsable de maximiser la valeur fabriquée par l’équipe.

Le Champion de la Valeur fait en sorte :

  • qu’il existe une liste de ce qu’il y a à fabriquer, appelée “Backlog Produit”,
  • que cette liste soit ordonnée par priorité, afin de maximiser la valeur fabriquée,
  • que chaque élément de la liste soit d’assez petite taille, pour que l’équipe délivre de la valeur rapidement et fréquemment.

Le Backlog Produit est l’outil principal du Champion de la Valeur, car c’est la traduction opérationnelle du pilotage par la valeur.

En outre, le Champion de la Valeur a la charge de :

  • comprendre ce qui constitue la valeur du produit en cours de fabrication,
  • comprendre où se situent les difficultés techniques,
  • définir précisément les priorités dans la fabrication du produit, de façon à produire le maximum de valeur pour le minimum d’effort,
  • inciter l’équipe à respecter strictement l’ordre des priorités du Backlog Produit,
  • décrire chaque élément à fabriquer (chaque fonctionnalité) de façon à la fois simple et précise, le plus souvent sous forme d’histoire utilisateur, en juste-à-temps pour la fabrication,
  • avoir au quotidien des conversations fertiles avec les Fabricateurs, pour assurer que l’équipe partage une compréhension commune et juste de ce qu’il y a à délivrer, de la valeur apportée par chaque élément, du niveau de qualité attendu, de l’adéquation des solutions aux besoins,
  • avoir au quotidien des conversations avec les personnes extérieures à l’équipe, notamment les Responsables de Business (cf. Partie 2), avec qui il définit les priorités, et qu’il informe des progrès de l’équipe.

Le Champion de la Valeur est un acteur intégré à l’équipe — il n’est pas extérieur à l’équipe, il n’est pas un donneur d’ordre qui passe commande, il n’est pas là pour contrôler le travail, ou les personnes.

Le Champion de la Valeur ne décide pas des priorités dans sa tour d’ivoire. Le Champion de la Valeur a pour ambition d’obtenir un consensus, ou au moins le consentement, de tous les acteurs concernés de l’entreprise, quant aux priorités exprimées par le Backlog Produit.

Les Fabricateurs

Les “Fabricateurs” sont les membres de l’équipe agile qui ont la charge des activités de fabrication du produit. L’équipe des fabricateurs est pluri-disciplinaire et pratique une variété d’activités.

Par exemple, dans l’industrie du logiciel, la conception technique, le design de l’expérience utilisateur, la rédaction de spécifications, la programmation, les tests, la rédaction de manuels, la livraison sont des activités de fabrication.

Il y a un seul rôle de Fabricateur, indépendamment des compétences de chacun. Chaque Fabricateur est encouragé à acquérir, entretenir et approfondir des compétences multiples.

L’équipe est auto-organisée : les Fabricateurs définissent les tâches à réaliser pour fabriquer chaque élément du backlog ; ils se répartissent les tâches entre eux, au jour le jour, au moment de la fabrication, en respectant l’ordre des priorités.

Le Facilitateur

Le Facilitateur a la charge de faciliter les choses, c’est-à-dire réunir les conditions pour que l’équipe produise efficacement, dans la maîtrise des coûts et la bonne entente.

Le Facilitateur est au service de l’équipe pour

  • organiser et animer les cérémonies — c’est-à-dire les briefings quotidiens et réunions périodiques de planification, de revue et de rétrospective ;
  • mettre en place et maintient les outils de management visuel, qui rendent possible l’auto-organisation de l’équipe ;
  • identifier, prioriser et résoudre les obstacles, c’est-à-dire les problèmes divers et variés qui ralentissent ou empêchent la réalisation ;
  • et donner un coup de main quand il faut, notamment au Champion de la Valeur.

Le Facilitateur est réputé compétent dans les principes et pratiques agiles. Il aide l’équipe à porter un regard critique et constructif sur la façon dont elle travaille, dans un esprit d’amélioration continue. Il s’attache à ce que l’ambiance au sein de l’équipe soit saine.

Le Facilitateur, en tant que facilitateur, ne donne de consigne à personne. Il procède exclusivement par invitation, et non par injonction. Il est vraiment au service de l’équipe.

Ainsi, le rôle de Facilitateur n’a strictement rien à voir avec le rôle de chef de projet de la conduite de projet classique. Le Facilitateur n’est pas chef, il ne fait pas de planning, il ne distribue pas le travail, il ne contrôle pas le travail, il ne représente pas l’équipe auprès de la direction. D’ailleurs, l’équipe réalise un produit, pas un projet.

Un bon Facilitateur sait animer des réunions sans disposer d’une autorité formelle sur les participants. Il sait manifester de l’empathie envers ses collègues. Il se sert de ses capacités d’analyse pour identifier et prioriser les problèmes.

Une question récurrente agite les agilistes : est-il préférable que le Facilitateur ait un profil technique ? J’affirme sans hésiter que c’est extrêmement utile. En effet, pour faciliter une équipe technique, il faut identifier et comprendre les problèmes techniques, connaître les pratiques techniques. Le Facilitateur est amené à participer à l’élaboration de solutions, techniques elles aussi. Il est amené à donner un coup de main à l’équipe technique. Il est clair que de bonnes compétences techniques contribuent à l’efficacité du Facilitateur et augmentent sa légitimité vis-à-vis de l’équipe.

À suivre…

L’article suivant (partie 2) décrit les rôles de l’entreprise agile “ordinaire”, principalement impliqués dans un fonctionnement agile, et qui ne font pas partie d’une équipe agile.

Nous y verrons notamment :

  • que le pattern “Proxy product Owner” est une réponse pragmatique à une interprétation erronée du rôle de “Product Owner”, et que distinguer “Champion de la Valeur” et “Responsable de Business” résout élégamment ce problème,
  • que les Facilitateurs on besoin d’un ou plusieurs Coachs Agiles, pour éviter d’être livrés à eux-mêmes.

Merci d’avoir lu cet article. S’il vous a inspiré des remarques ou des idées, si vous êtes d’accord ou pas d’accord, n’oubliez pas de laisser un commentaire ci-dessous.

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