MM RADIO : LECTURE AVEC ANNE-CLAIRE GENTHIALON — “LE PIEGE DU METIER PASSION”
“À partir du moment où on met autant d’affect personnel dans la sphère professionnelle, oui, on peut ressentir ce genre d’émotions violentes avec son travail.”
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MM RADIO débute l’année 2023 avec la Saison 8 de l’émission dédiée aux auteurs, LECTURE, et Anne-Claire Genthialon pour un sujet salutaire qui nous pousse à réfléchir sur nos priorités de vie.
Nous retrouvons l’auteure de l’ouvrage “Le Piège du Métier Passion” (Editions Alisio/Leduc) à distance — avec la collaboration du confortable, ergonomique et anti-scintillement écran de la série Modern MD241 de MSI ainsi que la participation des nouveautés de la gamme focus mobilité Surface de Microsoft — le confortable Laptop 5 et la flexible tablette Surface Pro 9.
Pour cette nouvelle saison, les émissions Lecture sont nettement divisées en deux temps : conversation sur l’ouvrage des auteurs puis, autour de leur travail d’écriture ainsi que leurs expériences dans le monde de l’édition.
Première partie sur le métier passion et ses pièges dont Anne-Claire Genthialon a fait l’expérience durant ses 10 années de journaliste en presse écrite.
“C’est un récit et c’est un récit qui est personnel. C’est plus un récit qui vaut comme une mise en garde.”
Définition du métier passion selon l’auteure. “Au début, je pensais que, justement, les métiers passions englobaient tout ce qui a une dose de créatif, tout ce qui est très dur — “beaucoup d’appelés, peu d’élus”. Mais même au tout début, je voyais les métiers passions comme la chanson, les acteurs et plus on fait des recherches, plus on creuse — puisque moi-même j’exerçais un métier passion — plus on se rend compte que tous les champs professionnels sont gagnés par la mobilisation de la passion. Dans l’exercice, ça va être pour les professeurs, ça va être aussi pour les médecins, parfois passion ça vaut aussi pour vocation. Et plus j’avançais dans mes recherches, plus je me suis rendu compte que le métier passion, c’est celui qui va comporter en lui-même une promesse et la promesse d’un épanouissement personnel.”
“Il n’y a plus de frontières, on ne fait plus le distinguo entre sphère personnelle, professionnelle. J’ai l’impression d’avoir semé des miettes de travail dans tout mon appartement.”
Les pièges des métiers passions. “Je ne suis pas prophète, je parle de risque. Le risque, c’est qu’à force de trop s’identifier à ce métier passion, on perd de sa personnalité et son identité propre. Que son identité personnelle devienne soit complètement emmêlée avec l’identité professionnelle et personnelle, qu’il n’y ait plus de barrière entre les deux et qu’au final, la sphère professionnelle flanche. Et à ce moment-là, c’est tout votre être entier qui s’écroule.”
“J’ai toujours réussi à échapper au statut d’auto-entrepreneur mais j’ai des amis, collègues et confrères qui sont contraints et notamment, les jeunes journalistes, pour l’insertion, pour essayer de trouver du travail, tout simplement.”
“Il faut aimer son travail ou pas, chacun est libre, mais c’est vrai que ça sera toujours plus agréable d’aimer ce que l’on fait, d’aimer ses collègues, raisonnablement, pas mobiliser ce sentiment (passion, ndlr) qui est aussi destructeur et qui porte une notion mortifère, en elle-même, dans la sphère professionnelle.”
Equilibrer la passion pour se protéger et éviter les situations précaires. “Maintenant, ça me fait un peu comme sur Tinder quand j’ai des copines qui me montrent des “red flags” (signaux d’alerte, ndlr). Quand j’entends, “on cherche des gens passionnés”, ça me heurte parce que je vois tout ce qu’il y a en creux : des heures pas payées, essorer les gens, souvent des jeunes diplômés qui ont très envie de s’intégrer sur le marché du travail et qui vont être capables de tous les sacrifices. […] Réguler sa passion, c’est savoir se mettre des barrières. J’aime ce que je fais, je suis très impliquée, mais baser tout son épanouissement personnel sur sa réalisation professionnelle, ça peut être risqué. Quand un simple aléa géopolitique peut, par un effet de dominos, briser tous vos rêves et vos espoirs. Je me garderai bien de dire, “il faut, faites, pensez”, je dirais que pour ma part, il a fallu rééquilibrer ces sphères, réinvestir certaines et aussi, investir certaines sphères que je m’interdisais d’investir, comme la famille.”
“Moi, c’est passé par une réorientation. Alors, je n’ai pas bifurqué vers la poterie, je suis encore journaliste mais dans un autre secteur que je n’avais pas exploré, c’était l’audiovisuel. J’ai recommencé un peu à zéro.”
Reconversion professionnelle pour se reconstruire. “Pour se relever, je pense qu’il faut effectivement essayer de se retrouver. Moi je n’y arrivais plus, physiquement je n’arrivais plus à travailler. Alors, est-ce que c’était un burn-out, est-ce que c’était une dépression ou un syndrome dépressif ? Bref, ça n’allait pas et la solution, ça a été de couper avec, d’abord, un employeur chez qui j’ai misé beaucoup mes espoirs, sur tous mes espoirs de stabilité et du coup, d’épanouissement professionnel reposaient. Un divorce. Oui, oui, il faut savoir, parfois, partir. Après, ça m’a mise encore plus en difficulté financière.”
“[La reconversion] peut donner un petit coup de “boost” aussi, de se questionner déjà, “qu’est-ce que j’attendais de ce métier, de cet employeur, est-ce que je me voyais vraiment rester là-bas 20 ans ou toute ma carrière ?””
Anne-Claire Genthialon conclut son ouvrage avec un “postface” écrit par Elise Fabing — avocate spécialiste en droit du travail et derrière l’Instagram “Balance Ta Start-Up” — intitulé “10 Règles d’Or Pour Les Salariés Victimes de Violences au Travail”. “C’était plus comme une continuité, montrer que ce n’est pas parce que on est pigiste ou extérieur à l’entreprise qu’il faut — parce que c’est un des gros problèmes — renoncer aux droits, le renoncement aux prud’hommes, le renoncement à réclamer ce qui est dû. Parce que quand on est pigiste ou externe à l’entreprise, on peut tellement se faire éjecter d’une pichenette ou à la faveur d’un changement de chef, on est tellement fragilisé que c’était pour ajouter une dose d’”empowerment” (estime de soi et de ses droits, ndlr) à la fin de l’ouvrage, pour dire que ce n’est pas pour autant qu’il faut renoncer à ses droits, même si c’est très difficile dans ces positions fragiles et précaires.”
“Il n’y a pas de métier passion, métier raison, je trouve qu’il faut être impliqué et qu’il faut toujours, encore une fois, aimer ce que l’on fait, c’est primordial.”
L’auteure explique l’importance du moment approprié pour écrire sur un sujet à la fois personnel et socioéconomique. “Après avoir sorti la tête de l’eau. Après, ça a été une longue gestation ce livre. Au début, j’ai tourné un petit peu autour du pot. J’avais envie de raconter ce que la précarité faisait à nos intimités, avec les relations parents, les relations conjoint. Et puis, ce n’était pas exactement ça, donc je cherchais, je cherchais et puis, je me suis rendu compte — pendant le confinement quand que je réfléchissais à cette expérience — que c’était un chagrin d’amour que j’avais vécu avec cet employeur, un chagrin d’amour professionnel, que ça pouvait exister, qu’on pouvait avoir le cœur brisé, les mêmes émotions aussi violentes qu’après une rupture. Quand j’ai commencé à creuser cette veine-là, c’est là où je me suis dit qu’évidemment on peut vivre des chagrins d’amour professionnel parce qu’on exerce des métiers passions. […] En plein milieu, je pense que je n’avais pas le recul, pas les ressources nécessaires pour voir pour me mettre à distance et analyser. Là, ça fait 5 ans à peu près, ces événements sont digérés. On peut avoir un recul, un autre regard, se remettre aussi en question et puis apporter un point de vue avec toute la ressource documentaire que j’ai pu accumuler. C’est vrai que ça donne une mise en perspective pour montrer que ce ne sont pas des trajectoires isolées.”
“C’était un soulagement, la fin de quelque chose, un point final. C’est une aventure. Moi je n’avais jamais publié donc je ne connaissais pas. Je ne connaissais pas la promotion. Je ne connaissais pas l’impression, le fait de recevoir les premiers ouvrages, c’est pas mal comme sensation, il y a une forme d’accomplissement qui n’est vraiment pas désagréable.”
Un prochain projet d’écriture ? “Pour l’instant, non. Je sens qu’il y a des choses, peut-être de la fiction, à voir. C’est vrai que ça a ouvert des portes aussi, une envie de peut-être reprendre la parole sur quelque chose d’autre mais peut-être pas dans l’immédiat.”
“Le métier passion occulte quand même tout ce qui est relation commerciale, contractuelle, comme on est dans des sphères intellectuelles, on n’est pas intéressé par l’argent, mais l’argent, on n’en a tous besoin pour vivre, se loger, se nourrir et c’est un des pièges du métier passion.”
Bonne lecture à tous !
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